Quand je regardais attentivement le ciel d'un bleu immaculé et sans nuage, je dirigeais parfois mon regard dans une direction déterminée ou, d'autres fois, je le parcourais d'une extrémité à l'autre. Parvenu à l'horizon, je poursuivais mentalement ma trajectoire ; je voyais alors en esprit le ciel entourant notre planète. Je cherchais à en voir les profondeurs et m'efforçais de le pénétrer jusqu'en ses ultimes limites. Plus je fixais mon attention sur cet admirable phénomène, plongeant intensément mon regard dans la sphère céleste toute saturée de lumière, plus j'étais fasciné par son mystère. Lorsque, par un don accordé d'En-haut, je fus jugé digne de voir la Lumière incréée de la Divinité, je reconnus avec joie dans le ciel d'azur de notre « planète bleue » un symbole du rayonnement de la gloire divine. Ce rayonnement est partout présent ; il remplit tous les abîmes de l'univers. Pourtant, il demeure à tout jamais insaisissable, inaccessible pour la créature. Le bleu est la couleur de l'au-delà, de la transcendance. La félicité de voir cette Lumière merveilleuse fut accordée à de nombreux hommes sur terre. La plupart d'entre eux ont gardé cette bénédiction comme le secret le plus précieux de leur vie ; ils sont passés dans l'autre monde, fascinés par ce miracle. A d'autres cependant, il a été ordonné de laisser pour leurs frères proches ou lointains un témoignage sur cette suprême réalité.
Ce n'est pas sans crainte que l'âme se résout à parler de cette Lumière, qui visite l'homme assoiffé de voir le visage de l'Éternel. La nature de cette Lumière est mystérieuse ; par quelles images pourrait-on la décrire ? Indéfinissable, invisible, elle devient parfois visible même à nos yeux corporels. Calme et délicate, elle attire à elle le cœur et l'esprit, si bien qu'on en oublie la terre, ravi que l'on est dans un autre monde ; cela peut arriver en plein jour comme durant les ténèbres de la nuit. Douce, elle est cependant plus puissante que tout ce qui nous entoure. D'une manière étrange, elle saisit l'homme de l'extérieur ; on la voit, mais l'attention se tourne vers les profondeurs de l'homme intérieur, vers le cœur, brûlant d'un amour tantôt de compassion, tantôt de reconnaissance. Il arrive que l'on ne ressente plus la matérialité - ni la sienne, ni celle de la réalité environnante - et que l'on se voie soi-même comme lumière. Alors, la perception de la douleur disparaît ; on oublie les préoccupations terrestres ; l'angoisse fait place à une paix pleine de douceur. Parfois, cette Lumière apparaît au début comme une flamme délicate qui apporte guérison et purification, brûlant à l'intérieur et à l'extérieur tout ce qui lui déplaît ; mais elle le fait avec douceur, en nous effleurant légèrement, d'une manière à peine perceptible.
Lorsqu'elle se manifeste avec puissance, cette Lumière apporte l'humble amour, bannit tout doute et toute crainte, laisse loin derrière elle toutes les relations humaines établies, toute la pyramide des conditions sociales et des rangs hiérarchiques. L'homme cesse alors, pour ainsi dire, d'être « quelqu'un » ; il ne se trouve pas sur la route de ses frères, ne brigue aucune place pour lui-même en ce monde. Cette Lumière est en elle-même la vie incorruptible que traverse la paix de l'amour. Elle fait connaître à notre esprit un autre Etre, qui échappe à toute description ; notre intellect s'immobilise, car il se trouve au-dessus de la pensée discursive par son entrée dans une nouvelle forme de vie. Impondérable, plus subtile que tout sur la terre, cette Lumière rend l'âme invulnérable et la met à l'abri de tout ce qui auparavant l'écrasait. La mort s'enfuit devant sa face, et la prière « Saint Dieu, Saint fort, Saint immortel » s'accorde merveilleusement bien avec elle. Notre esprit triomphe : cette Lumière est Dieu. Il est tout-puissant et en même temps ineffablement doux. Oh ! Avec quels ménagements II se comporte avec l'homme ! Il n'accable pas l'âme brisée par le péché, mais guérit le cœur broyé par le désespoir... Il inspire l'âme en lui faisant espérer la victoire.
Cette Lumière, inhérente au Père des lumières (voir Je 1, 17), nous régénère et même nous crée à nouveau. L'orientation de notre attention change radicalement : auparavant, elle était attirée vers la terre et les choses temporelles ; sous l'influence de la grâce, elle se fixe à l'intérieur et, de là, monte dans la sphère spirituelle de «l'invisible et de l'éternel» (voir2 Co4, 18). Ce qui autrefois nous semblait important et même fondamental devient insignifiant pour notre esprit : richesse, pouvoir, gloire de ce monde et autres réalités de ce genre perdent tout leur attrait. Même la science, qui ne nous donne pas la connaissance la plus essentielle -celle de Dieu -, ainsi que les spéculations philosophiques, privées qu'elles sont de la vie authentique, n'apparaissent plus que comme des valeurs passagères.
Lorsque la Lumière - inviolable par nature et innommable - nous enveloppe et pénètre dans notre âme, nous sortons en quelque sorte du temps. Cette Lumière, qui procède du Père, est lumière de l'amour et de la connaissance. Un amour et une connaissance particuliers qui, en fusionnant, deviennent un ; en fait, ils sont un dans l'éternité. L'amour unit dans l'Être même, avec l'Être même. Voici que, demeurant en cet Être, nous le connaissons par notre union avec Lui - mais quant à formuler cela en paroles, il faut y renoncer. L'amour nous attire si fort que notre esprit n'arrête son attention sur rien de ce qui nous arrive, bien qu'il vive au sein même de cette réalité. Il n'y a aucun retour sur soi-même ; notre esprit est tout entier tendu dans un élan pour saisir l'Insaisissable, étreindre Celui que rien ne peut contenir, comprendre l'Inconcevable - être seulement en Lui, et ne plus rien voir d'autre."