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par Vladimir Lossky
et archimandrite Pierre L’Huillier
Christ en Gloire |
L’Introduction et le commentaire de l’article 1 du Symbole de Nicée-Constantinople furent rédigés par Vladimir Lossky peu avant sa mort en 1958. Les commentaires des autres articles furent écrits par l’archimandrite Pierre L’Huillier (ordonné évêque en 1968). Le texte fut publié dans la revue Contacts, nos. 38-39 en 1962.
INTRODUCTION
Le Credo ou Symbole de la foi est une confession solennelle des dogmes chrétiens, lue ou chantée pendant la Liturgie, avant le commencement du mystère eucharistique. Le premier mot de ce texte sacré en latin – Credo, « je crois » - se rapporte aux articles qui suivent et donnent à cette expression de la foi commune du peuple chrétien la valeur d’un engagement personnel de chaque membre de l’Église qui dit, avec tous les autres : « je crois » et plus loin « je confesse », « j’attends » (ou « j’espère »).
Mais est-il suffisant de confesser avec les lèvres, même quand on le fait en toute piété de cœur, si la pensée n’adhère pas au sens de ces parles qui ont été trouvées par les Pères de l’Église pour mettre la vérité révélée à la portée de chaque intelligence illuminée par la foi en Christ ?
Un grand théologien orthodoxe du siècle dernier, le Métropolite Philarète de Moscou, distinguait entre la foi – Vérité révélée, et la foi – adhésion consciente à la Révélation. Une fidélité aveugle à l’autorité de la foi n’est pas suffisante pour « avoir la foi » : « Tant que votre foi réside dans la Sainte Écriture et dans le Symbole, elle appartient à Dieu, à ses Prophètes, à ses Apôtres, aux Pères de l’Église ; elle n’est pas encore votre foi. Mais quand vous l’avez dans vos pensées, dans votre mémoire, vous commencez à acquérir la foi… »
Il faut donc étudier les douze articles du Symbole de la foi, afin que ces paroles que nous entendons à chaque Liturgie éveillent notre pensée et nous rendent ainsi des membres conscients de 1’Église du Christ.
Avant de commencer l’examen des dogmes chrétiens que le Credo exprime succinctement, disons quelques mots sur l’histoire de cette « règle de la foi » qui a reçu une autorité universelle dans l’Église.
Avant le début du IVe siècle, les « symboles » ou formulations brèves de la foi chrétienne étaient liés surtout au baptême et à la préparation catéchétique. Ils étaient donc assez nombreux et variaient selon les pratiques locales des Églises. Ces formules de confession que les nouveaux baptisés devaient prononcer le jour de leur baptême, s’appelaient au IIe siècle la « règle » ou le « canon » de la foi.
Un nouveau type de Credo, répondant à la nécessité de définir l’enseignement orthodoxe en l’opposant aux doctrines hérétiques, apparaît au IVe siècle : ce sont les symboles conciliaires, qui ne sont pas rattachés uniquement à la pratique baptismale, mais reçoivent une place plus large dans la vie de l’Église.
Le premier Credo promulgué par un concile général fut celui de Nicée (325). C’était un Credo local (« baptismal »), probablement de l’Église de Jérusalem, remanié par une commission de théologiens qui a dû l’amplifier pour rendre plus explicite la confession de la divinité du Christ, contre l’arianisme. Ce Credo avait encore l’autorité universelle d’une confession dogmatique aux Conciles de Constantinople (381), d’Éphèse (431) et de Calcédoine (451).
Le Credo que nous utilisons aujourd’hui sous le nom de « Symbole de Nicée-Constantinople » n’a qu’une ressemblance générale avec le premier Credo de Nicée. Notre Credo était, originairement, l’une des expressions de la « foi de Nicée », avec une confession de la divinité du Christ très développée, née dans la famille des symboles baptismaux d’Antioche-Jérusalem après 370. Ce Credo de type liturgique a été probablement retouché à Constantinople par les Pères du IIe Concile œcuménique pour usage baptismal, sans intention de la substituer au symbole de Nicée. On le lit avec celui-ci au IVe Concile (Chalcédoine) comme une formule dogmatique officiellement reconnue et il se trouve introduit en cette qualité dans la pratique liturgique de la capitale de l’Empire. Vers la fin du Vesiècle, ce Credo liturgique de Constantinople sera considéré comme la formule complète et définitive du Credo de Nicée, qu’il remplacera. Il sera reçu partout comme la « règle de foi » parfaite et il supplantera les autres symboles, baptismaux ou conciliaires, de la foi chrétienne. Le VIe Concile œcuménique (680) confirmera d’autorité du Credo dit « de Nicée-Constantinople ».
La chrétienté de l’Occident a conservé, à côté de ce Credo universel, un symbole local, dit « le Credo des Apôtres ». Les origines premières de ce Credo baptismal latin doivent remonter, sans doute, à une antiquité très vénérable, mais sa formulation définitive ne date que du VIe siècle.
Je crois en un seul Dieu, Père Tout-Puissant,
Créateur du ciel et de la terre, et de toutes les choses visibles et invisibles.Le Dieu de la révélation chrétienne, Dieu de la Sainte Écriture et de la foi traditionnelle de l’Église, n’est pas un Être impersonnel, un Absolu sans visage, indifférent aux destinées des personnes humaines. Le monothéisme des chrétiens n’est pas celui des philosophes. Mais il se distingue aussi du monothéisme restrictif des traditions religieuses telles que le judaïsme et l’islam qui reconnaissent le Dieu vivant et personnel de l’Ancien Testament, sans admettre toutefois que ce Dieu-Personne puisse se distinguer de son Essence absolue et sortir, pour ainsi dire, de sa solitude pour être plus qu’une Personne, réduite à son unicité. La plénitude de la révélation appartient au Nouveau Testament : le Fils de Dieu s’est fait homme et nous a rendus aptes à recevoir l’Esprit Saint qui procède du Père. Le Dieu unique et personnel du christianisme est une Tri-Unité de Personnes. C’est pourquoi le Christ ressuscité envoya ses disciples « de toutes les nations faire des disciples, les baptisant au Nom du Père, du Fils et du Saint Esprit » (Matthieu 28, 19). Le Credo de l’Église est une explication de cette formule baptismale.
L’article initial, où l’on professe la foi « en un seul Dieu », se rapporte à la Première Personne de la Trinité, au Père qui est le Principe personnel de la Divinité indivisible, commune aux Trois Personnes. Les Trois – Père, Fils et Saint Esprit – sont également Dieu, sans être cependant « trois Dieux », mais « un seul Dieux », une seule essence, substance ou nature en trois Hypostases ou Personnes. En vertu de cette unité absolue d’être, rien ne distingue les Personnes de la Trinité, sauf les modes de subsister propres à chacune : innascibilité paternelle, génération filiale, procession spirituelle. Il faut ajouter que ces propriétés personnelles posent une triple relation qui, tout en permettant de distinguer le Père, le Fils et le Saint Esprit, doit nous apprendre à référer positivement chaque Personne aux deux autres, sans jamais les isoler dans notre pensée. Ainsi, en parlant du Père Tout-Puissant et « Créateur », n’oublions pas qu’il créa tout par son Verbe (Jean 1, 3) et que la même puissance créatrice n’est pas étrangère à l’Esprit-Vivificateur.
Il faut remarquer que l’expression « tout-puissant », bien qu’elle soit juste, ne rend pas fidèlement la valeur du terme grec Pantocrator, qui veut dire : « Maître de toutes choses » : Dieu qui maintient tout dans l’existence. Seul le Dieu de la Bible, qui révéla son Nom à Moïse en disant : « Je suis Celui qui suis » (Exode 3, 14), est « Créateur » dans le sens absolu de ce mot, Producteur de l’être à partir du non-être. Il n’est pas un Artisan divin, un « Démiurge » organisateur d’une matière éternelle informe, d’un chaos préexistant au monde. Si Dieu a créé toutes choses « de rien », il ne faut pas s’imaginer qu’un « néant » préexistait à la création comme une possibilité d’être. Le « néant » n’est pas un principe que l’on pourrait opposer à l’Être absolu de Dieu : cette expression reçoit un sens uniquement par rapport à l’être créé qui commença d’exister, sans qu’il y ait eu aucune condition préalable à ce « commencement » (Genèse 1, 1) en dehors de la volonté tout-puissante de Dieu. Il ne faut pas croire cependant que cette absence de conditions externes nous oblige à supposer que Dieu créa tout « de lui-même », par une sorte d’émanation, d’extériorisation : le monde n’est pas la Divinité dégradée et amoindrie, mais une être absolument nouveau, produit à l’existence par un Créateur qui n’a été déterminé à créer par aucune nécessité interne. La création est un acte absolument libre, un acte gratuit de la volonté de Dieu, ce qui ne veut pas dire un acte « arbitraire » : l’ordre de l’univers nous fait connaître la Bonté, la Sagesse, 1’Amour du Créateur qui donna au monde un sens et une destination suprêmes en le soumettant aux êtres personnels et libres, créés « à l’image et à la ressemblance » de Dieu (Genèse 1, 26-27).
« Le ciel et la terre », expression scripturaire (Genèse 1, 1), qui doit désigner l’ensemble du cosmos, tout ce qui existe étant créé par Dieu, reçoit dans l’exégèse patristique un sens disjonctif, celui des réalités spirituelles et corporelles, du monde invisible des esprits « célestes » et du monde visible où nous vivons, auquel nous sommes étroitement liés par la condition biologique de notre corporéité « terrestre ». On voit que cette distinction entre le « ciel » et la « terre » n’implique aucunement la nécessité d’admettre une cosmologie géocentrique. Il faut dire, en général, que le « conflit entre la science et la religion » est un faux problème qui ne saurait préoccuper aujourd’hui que certains croyants mal informés ou certains scientifiques bornés, érigeant en dogmes du « matérialisme » leurs négations arbitraires de tout ce qui dépasse le champ visuel des sciences expérimentales. En effet, ce n’est pas en explorant les espaces cosmiques que l’on découvrira l’immensité spirituelle de l’univers créé. Ce n’est pas, non plus, la physique nucléaire qui nous fera connaîtra, en analysant la structure de la matière, cette énergie toute-puissante du Créateur qui confère l’existence à « toutes choses visibles et invisibles ».
Et en un seul Seigneur Jésus Christ, Fils unique de Dieu,
né du Père avant tous les siècles,
Lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu,
engendré, non créé, consubstantiel au Père,
par qui tout a été fait.Il y a une évidente disparité dans le Symbole entre l’unique article se rapportant à la première Personne de la Sainte Trinité et les six articles concernant la deuxième Personne. Cela est facilement compréhensible : la croyance en un Dieu tout-puissant, créateur de l’univers, était commune au judaïsme et au christianisme. Il en va tout autrement en ce qui concerne la personne et l’œuvre de Notre Seigneur Jésus Christ.
Initialement, la relation de Dieu le Père avec le Fils pose la question du monothéisme : le Nouveau Testament affirme expressément la divinité du Christ (Jean, 1, 1) sans renoncer le moins le moins au monothéisme strict : le Père et le Fils sont Un ; le Seigneur lui-même le proclame (Jean 17, passim), mais la manière de comprendre cette unité, ou plutôt l’approche humaine de cette vérité a été l’objet d’âpres controverses. Deux fausses solutions ont été apportées : celle des modalistes, qui niaient toute distinction entre le Père et le Fils, et celle des Ariens, qui refusaient au Fils la plénitude de la divinité. Par ailleurs, le caractère absolument réel de l’humanité du Christ fait surgir la question de la relation de l’humain et du divin dans son être. Les controverses sur ce second point n’ont pris de l’ampleur qu’à une période postérieure à la rédaction de notre Credo et l’Église a dû préciser par d’autres définitions – notamment celles du Concile d’Éphèse (431) et de Calcédoine (451) – ce qui était déjà affirmé dans le Symbole de Nicée-Constantinople.
Il faut ici ouvrir une parenthèse pour souligner que les articles du Credo se rapportant à la Personne et à l’œuvre du Christ, de même que les définitions des Conciles œcuméniques ultérieurs, ne peuvent en aucune manière être considérés comme de vaines spéculations qui auraient, soi-disant, altéré la pureté du message évangélique, car ce que l’Église défend dans ces dogmes c’est justement ce qu’il y a de plus fondamental dans la révélation néo-testamentaire : l’annonce du salut offert à l’humanité en Jésus Christ. Or, si le Christ n’est pas réellement et pleinement Dieu et Homme, l’abîme entre le divin et l’humain demeure infranchissable. Nous reviendrons sur ce point en abordant les articles du Symbole concernant l’incarnation et la Rédemption.
L’Église confesse, dans le deuxième article du Symbole de la Foi, d’abord l’unicité du Fils de Dieu ; par là même est écartée l’interprétation hérétique de l’adoptianisme, selon laquelle Jésus n’aurait été qu’un homme adopté par Dieu. Seul Jésus Christ est pas nature Fils de Dieu ; l’adoption des chrétiens qui, par le baptême, deviennent en Christ fils de Dieu, n’abolit en rien la distinction radicale entre l’incréé et la créature. Nous devenons fils de Dieu par grâce, le Christ l’est par nature et c’est seulement parce que le Christ l’est par nature que nous pouvons le devenir par grâce.
En confessant que le Fils est « né du Père avant tous les siècles », nous n’affirmons pas que la naissance est simplement antérieure à la création, mais qu’elle est hors du temps, puisque la notion du temps est liée à celle de la création. C’est pourquoi dans l’Évangile nous lisons cette parole du Seigneur : Avant qu’Abraham fût, je suis (Jean 8, 58), et non pas « j’étais », ce qui n’aurait marqué que l’antériorité dans le temps. Il faut noter que cette affirmation de la naissance « avant tous les siècles » était discrètement dirigée contre la formule blasphématoire des Ariens à propos du Fils : « Il était un temps où il n’était pas ».
Le Fils est « Lumière né de la Lumière, vrai Dieu né de vrai Dieu », car sauf les notions personnelles (c’est-à-dire les propriétés par lesquelles nous discernons une Personne de l’autre dans la Sainte Trinité), les trois Personnes divines sont absolument identiques ; c’est ce que remarque saint Grégoire de Nysse : « Si nous confessons, écrit-il, la nature de Dieu sans variation, nous ne nions pas la différence de la Cause et du causé, et c’est en cela seul que l’un se distingue de l’autre » (Quod non sint tres dii, PG 45, 133).
Pour exprimer cette parfaite similitude du Père et du Fils, l’apôtre Paul nous dit que le Christ est image de Dieu (2 Corinthiens 4, 4) ; dans l’Épître aux Hébreux, la relation du Fils vis-à-vis du Père est exprimée en ces termes : Resplendissant de sa gloire, empreinte de sa substance (1, 3).
Un Père du IIIe siècle, saint Grégoire le Thaumaturge, évêque de Néo-Césarée, a résumé admirablement cette théologie de l’Image dans sa profession de foi où nous lisons : « Un seul Dieu, Père du Verbe vivant, de la Sagesse subsistante, de la Puissance, de l’Empreinte éternelle ; Parfait engendrant le Parfait, Père du Fils unique-engendré. Un seul Seigneur, Unique de l’Unique, Dieu de Dieu, Empreinte et Image de la divinité, Verbe actif, Sagesse qui maintient l’ensemble de toutes choses, Cause efficiente de toute création, Fils véritable du Père véritable, Invisible de l’Invisible, Incorruptible de l’Incorruptible, Immortel de l’Immortel et Éternel de l’Éternel » (Apud saint Grégoire de Nysse¸PG 46, 912).
Précisant ce qui est affirmé au début de l’article, l’Église confesse toujours, contre Arius et ses partisans, que le Fils est « engendré, non créé », car la génération éternelle du Fils par le Père, comme d’ailleurs la procession du saint Esprit, est un acte de la vie intra-trinitaire divine qui n’a rien de commun avec la création. On ne peut donc même pas établir une analogie entre la génération du Fils par le Père et la création, qui est une œuvre ad extra de la Sainte Trinité, car selon les admirables paroles de saint Grégoire de Néo-Césarée : « Rien donc de créé ou de servile dans la Trinité ; rien d’adventice ; rien qui, n’existant pas d’abord, advienne ensuite » (ibid.).
Pour couper court à toute équivoque, les Pères du Concile œcuménique de Nicée ont proclamé que le Fils était « consubstantiel » (en grec homoousios) au Père : c’est la conséquence logique des affirmations précédentes : la co-éternité et l’équi-divinité des Personnes divines, leur parfaite unité d’essence. Ce terme avait l’avantage d’éviter toute ambiguïté, car les hérétiques ariens employaient volontiers soit des expressions scripturaires, en les interprétant, grâce à des exégèses spécieuses, en faveur des leurs théories, soit des formules vagues susceptibles d’acceptions diverses. C’est pourquoi tous les docteurs orthodoxes, après les clarifications nécessaires, finirent par se rallier à ce terme. La consubstantialité des Personnes divines est un dogme fondamental du christianisme authentique.
Le deuxième article de Symbole se termine par l’affirmation que tout a été par le Fils : c’est l’écho de la doctrine clairement exprimée dans le Nouveau Testament (Jean 1, 3 ; Colossiens 1, 16). La création toute entière est l’œuvre commune des trois Personnes divines. Néanmoins, elles sont la cause de l’être d’une manière propre à chacune d’elles « : si le Père est la cause primordiale et l’Esprit saint la cause perfectionnante, le Verbe peut être appelé la cause opératrice.
Le Credo s’étend peu sur ce point ; il affirme seulement la croyance traditionnelle en ces simples mots : « par qui tout a été fait ». Cette brièveté s’explique aisément : d’abord, ce dogme explicité dans l’Évangile n’a pas fait l’objet de controverses parmi les chrétiens ; par ailleurs, le Credo est la confession de la foi et l’on ne saurait y insérer des théories purement spéculatives qui, aussi légitimes qu’elles soient, ne peuvent prétendre relever du domaine de la règle de la foi.
Qui, pour nous, hommes, et pour notre salut,
est descendu des cieux,
s’est incarné du Saint Esprit et de la Vierge Marie,
et s’est fait homme.Alors que le deuxième article du Credo traitait du Fils dans sa relation ontologique et éternelle avec le Père, l’article suivant se rapporte à l’incarnation du Fils.
La révélation néo-testamentaire, en proclamant hautement que le Messie attendu par Israël est le Verbe de Dieu incarné, représente à la fois l’accomplissement et le dépassement de l’Ancien Testament : les prophètes avaient clairement annoncé l’avènement d’une ère nouvelle inaugurée par un Messie, c’est-à-dire un envoyé du Très-Haut ; les traits de ce Messie sont mêmes précisés ; c’est ainsi que le livre d’Isaïe dépeint la figure du Serviteur humilié et outragé (Is 53). Par ailleurs, la pensée juive, tout en restant fidèle au monothéisme strict. avait entrevu une certaine personnalisation de la Sagesse divine (par exemple, Pr 8-9, Ecc 1 et 24) mais jamais le rapprochement de personnalité n’avait été clairement fait entre le Messie libérateur et la Sagesse divine hypostasiée. En outre, les derniers siècles qui précédèrent notre ère avaient vu l’éclosion chez les Juifs d’un nationalisme exalté et teinté de xénophobie qui estompait quelque peu la vision messianique universaliste des anciens prophètes. Le Messie attendu l’était, chez beaucoup, sous les traits d’un restaurateur de l’État juif ; même les Apôtres, avant la Pentecôte, n’arrivaient pas à se libérer de cette conception (Ac 1, 6).
Le troisième article du Symbole est l’écho de l’affirmation évangélique : Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous (Jn 1,14). L’Église a toujours défendu avec une extrême vigueur la doctrine de l’Incarnation contre ceux qui niaient ou déformaient cette vérité qui fonde la certitude du salut. Dans le commentaire de l’article précédent, nous avons souligné l’attachement de l’Église à la proclamation de Jésus Christ comme vrai Dieu et vrai Homme. Le christianisme orthodoxe a lutté avec acharnement contre les docètes qui, par dualisme gnostique, niaient la réalité de l’Incarnation ; c’est contre ces hérétiques que saint Jean polémise dans sa première épître, lorsqu’il écrit : À ceci reconnaissez l’esprit de Dieu : tout esprit qui confesse Jésus Christ venu dans la chair est de Dieu : tout esprit qui ne confesse pas .Jésus Christ n’est pas de Dieu ; c’est là l’esprit de l’Antichrist (1 Jn 4,2-3). Dans sa deuxième épître, il écrit encore : C’est que beaucoup de séducteurs se sont répandus dans le monde qui ne confessent pas Jésus Christ venu dans la chair. Voilà bien le Séducteur, I’Antichrist (2 Jn 7-8). Par là même, la Sainte Écriture nous met en garde, non seulement contre cette hérésie des docètes, mais également et plus généralement contre tout pseudo-spiritualisme qui ne place pas au centre de son enseignement Jésus Christ, Verbe de Dieu incarné.
L’Incarnation est l’ «événement » par excellence dans l’histoire du Salut : elle n’est pas un fait que l’on puisse co-numérer avec d’autres. C’est l’événement qui a modifié radicalement l’histoire car, par l’Incarnation du Verbe, les rapports entre Dieu et l’homme ont été totalement transformés. Le christianisme a une conception linéaire et non pas cyclique du temps : c’est-à-dire que le temps a un commencement marqué par la création et une fin qui sera marquée par le Jugement dernier. Et cette ligne est justement coupée en un point par l’Incarnation. Les Apôtres et les chrétiens des premiers siècles n’ont point méconnu ce caractère décisif de l’Incarnation dans laquelle ils ont justement vu l’inauguration de l’ère eschatologique annoncée par les prophètes (voir par exemple Ac 11,14-36 ; à noter la référence à Joël 3,1-5). Quant à saint Irénée de Lyon, le grand docteur et témoin de la Tradition à la fin du IIe siècle, il appelle l’ère inaugurée par l’Incarnation les novissima tempora, les temps derniers (Adv. Haer. 3,24,1), indépendamment de toute considération de durée.
On remarquera combien la terminologie du Credo est simple et les explications dogmatiques concises : là encore, il faut avoir présent à l’esprit ce qui a été dit dans le commentaire de l’article précédent sur l’absence voulue de toute théologie spéculative.
La cause de l’Incarnation est donc résumée en ces termes : « pour nous, hommes, et pour notre salut ». Les spéculations vaines et oiseuses pour savoir si l’Incarnation aurait eu lieu même sans le péché originel et donc sans nécessité d’une rédemption proprement dite n’ont pas de place dans un énoncé de la Règle de Foi. Par ailleurs, on notera que l’universalité du salut offert à l’humanité est implicitement affirmée dans la formulation de l’article, conformément aux paroles très claires de la Sainte Écriture : Voilà ce qui plait à Dieu notre Sauveur, lui qui veut que lors les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité (1 Tm 11,3-4 ). Il est à peine besoin d’ajouter que l’expression du Credo « ...pour nous, hommes,... » ne porte pas seulement sur cet article mais aussi sur les suivants qui traitent de l’économie du Verbe incarné.
Les mots « est descendu des cieux » ne se rapportent évidemment pas à une conception grossièrement matérielle ; ils marquent l’infinie condescendance divine dans l’Incarnation et soulignent la réalité de l’événement dont la mystérieuse grandeur est exprimée avec tant de justesse et de beauté dans la lettre dogmatique de saint Sophrone (VIIe siècle) qui écrit : « ...Il s’est incarné, lui, l’incorporel ; il prend notre forme, lui qui, selon l’essence divine, était exempt de forme, quant à l’extérieur et à l’apparence ; il prend un corps comme le nôtre, lui, l’immatériel, il devient véritablement homme, sans cesser d’être reconnu comme Dieu. On le voit porté dans le sein de sa mère, lui qui est dans le sein du Père éternel ; lui, l’intemporel, reçoit un commencement dans le temps ; tout cela, non par caprice, mais s’anéantissant vraiment et réellement tout entier, par la volonté de son Père et la sienne, assumant toute notre pâte humaine, en prenant une chair consubstantielle à nous, une âme raisonnable, semblable à nos âmes, un esprit identique ait nôtre ; puisque c’est en cela que consiste l’homme » {Lettre dogmatique PG 87, col. 3160-61). Il faut noter que le terme « s’anéantissant », qui est tiré de saint Paul (Ph 11,7) ne doit pas être misinterprété, car ce dont le Christ s’est dépouillé dans l’Incarnation, ce n’est pas de la nature divine mais de la gloire qu’il possède de toute éternité et qui aurait dû rejaillir sur son humanité, gloire qu’il manifeste d’ailleurs dans la Transfiguration. L’Incarnation du Verbe n’implique nulle modification de la nature divine Une : celte vérité de la loi trouve des échos dans la Lex orandi de l’Église ; c’est ainsi que dans une prière de la Liturgie de saint Jean Chrysostome nous lisons : « Mais dans ton ineffable et incommensurable amour pour l’homme, tu t’es fait homme sans changement, ni altération et tu es devenu notre grand Prêtre... ».
L’Église confesse que Notre Seigneur « s’est incarné du Saint Esprit et de Marie la Vierge », conformément à ce qui est exprimé explicitement dans l’Évangile (Mt 1,18-2) ; Lc 1,26-38). La mention de la Très-sainte Vierge Marie souligne la réalité de l’humanité de Notre Sauveur, qui est le Messie de la race de David, annoncé par l’Ancien Testament. L’Incarnation s’est faite non seulement par la volonté pré-éternelle de la Sainte Trinité (1 P 1,17-21), mais aussi avec le consentement de la Très-sainte Vierge (Lc 1,38). Dans cette obéissance confiante en la parole de Dieu, la Tradition ecclésiale voit la réplique à la désobéissance d’Ève. Saint .Justin écrit dans la première moitié du IIe siècle : « Nous comprenons que le Christ s’est fait homme par le moyen de la Vierge, afin que la désobéissance provoquée par le serpent prit fin par la voie même où elle avait commencé. En effet, Ève, vierge et intacte, avant conçu la parole du serpent, enfanta la désobéissance et la mort, la Vierge Marie, ayant conçu foi et joie, quand l’ange Gabriel lui annonça que l’Esprit du Seigneur viendrait sur elle et la vertu du Très-Haut la couvrirait de son ombre, en sorte que l’Être saint né d’elle serait Fils de Dieu, répondit : "Qu’il me soit fait selon ta parole". Il est donc né d’elle, celui dont parlent tant d’Écritures... Par lui, Dieu ruine l’empire du serpent et de ceux, anges ou hommes, qui lui sont devenus semblables. et affranchit de la mort ceux qui se repentent de leurs fautes et croient en lui » (PG 6, col. 712). Avec beaucoup de sobriété et d’exactitude dogmatique, ce Père de l’Église, si proche de la génération apostolique, nous donne toutes les raisons sur lesquelles se fonde la vénération des chrétiens envers la Très-sainte Vierge Marie.
L’article se termine par l’expression « s’est fait homme ». Pour rendre la concision de l’original grec, il faudrait forger un mot unique « s’est en-humanisé ». Par l’Incarnation, le Christ devient, selon la nature humaine. en tout semblable à nous sauf le péché (cf. Hé 11,17 ; Rm 7, 3 ; Ph 11, 7).
Il a été crucifié pour nous sous Ponce Pilate,
a souffert et a été enseveli.L’œuvre salvatrice de Notre Seigneur Jésus Christ est un tout indissociable ; l’Incarnation, la Mort sur la Croix, la Résurrection ne sont que des moments successifs de cette même oeuvre.
L’article du Credo sur la Passion mentionne due cet événement a eu lieu « sous Ponce Pilate », Par la est souligné le caractère historique de la Passion. Alors que les exploits supposés des dieux et des héros païens se situaient dans un passé reculé et fabuleux, l’ouvre salvatrice du Christ appartient à un moment historique précis et se place clans un milieu nettement déterminé.
On notera la répétition de l’expression « pour nous », déjà rencontrée dans l’article sur l’incarnation : la mort rédemptrice de Jésus Christ est source de pardon et de réconciliation non seulement pour l’humanité en général, mais pour chaque croyant en particulier : entre le Christ et chaque chrétien il y a une relation personnelle et c’est à chacun d’entre nous qu’est adressé cet appel : Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même et qu’il me suive (Mt 16,24).
La mort sur la Croix ne peut être séparée de la Résurrection, mais il faudrait bien se garder d’une interprétation erronée qui masquerait l’aspect glorieux, propre à la Passion elle-même. Si la Résurrection du Seigneur a manifesté sa victoire, la mort sur la Croix a inexorablement déjà signifié la défaite des forces du mal. Les paroles de Jésus crucifié : Eli, Eli, lema sabachtani (Mt 27,46) sont tirées d’un psaume messianique qui exprime non seulement la souffrance dit juste, mais aussi sa confiance en Dieu (Ps 22) et doivent être mises en parallèle avec le chant du Serviteur de Yahvé (Isaïe 52,13-53,12), et le dernier mot de Jésus expirant est : Tout est accompli (Jn 19,30). Ce caractère glorieux de la Passion est universellement souligné dans la Tradition : ‘en Orient, la Croix reçoit régulièrement l’épithète de « vivifiante », tandis que dans les Liturgies occidentales, la Passion est généralement qualifiée de « glorieuse » ou de « bienheureuse ». Cela est fidèlement reflété dans l’iconographie orthodoxe qui est étrangère à toute contemplation morbide de la crucifixion ; même en ce moment de « kénose » extrême, l’Église n’oublie pas que celui qui est suspendu sur le bois est « celui qui a suspendu le monde » (Office byzantin des Saintes Souffrances, 15e antienne). Pourtant, il ne faudrait pas en déduire que l’Église arrête sa pensée sur l’immense et réelle souffrance de Jésus crucifié. Elle l’exprime, au contraire, avec un réalisme vibrant de douleur et d’autour : « Chacune des parties de ta Chair sainte a souffert quelque déshonneur à cause de nous : ta tète, les épines ; ta face, les crachats ; ta bouche, le goût du vinaigre et du fiel ; tes oreilles, les blasphèmes injurieux ; tes épaules, la pourpre de dérision ; ton dos, la flagellation ; ta main, le roseau ; les tiraillements de tout ton Corps sur la croix ; tes membres, les clous, et ton côté, la lance. Toi qui as souffert pour nous et qui, en souffrant, nous a libérés, toi qui par amour envers les hommes t’es abaissé avec nous et qui nous as relevés, Sauveur, aie pitié de nous » (ibid.).
C’est un dogme fondamental pour le christianisme que la mort sur la Croix a apporté à l’humanité déchue la rédemption et la réconciliation avec Dieu. Une interprétation erronée, ou tout au moins gravement déficiente, de ce dogme consisterait à placer la Rédemption dans une catégorie juridico-éthique, tendance qui a marqué de son empreinte la théologie occidentale depuis le Moyen-Âge, au détriment du vigoureux réalisme de la pensée chrétienne antique. Dans la perspective juridico-éthique, l’accent est mis sur l’offense faite à Dieu par le péché originel, offense qui nécessite une réparation pour apaiser le courroux divin, et c’est la mort du Fils de Dieu incarné qui constitue le sacrifice de réparation.
La perspective orthodoxe, fondée sur la Sainte Écriture ainsi que sur la tradition liturgique et patristique antique apparaît d’une autre dimension : le péché originel fut le fruit amer de la liberté concédée à l’homme par son Créateur : Dieu a voulu être adoré et aimé par des créatures libres, car seule cette liberté donne un sens à l’amour ; sans possibilité d’autodétermination. - et donc de refus -, l’amour de l’homme pour Dieu n’aurait été que la réflexion de l’amour de Dieu pour lui-même, comme l’est l’éclat d’une lumière projetée sur un miroir. En optant pour le mal, l’homme a trahi sa vocation et s’est trouvé asservi au pouvoir de l’Ennemi, Dieu pourtant n’a pas laissé l’humanité aller à la dérive. Certains Pères de l’Église, tels saint Irénée et saint Théophile d’Antioche, expliquent la condescendance divine par le caractère non-adulte de l’humanité primitive. Bien qu’ayant péché librement, l’homme n’avait pas une responsabilité absolue. L’œuvre de réconciliation s’est faite en Jésus Christ, vrai Dieu et vrai homme. En se livrant volontairement à la mort, il en a brisé irrémédiablement la puissance, puisque la mort n’a pu vaincre l’Homme-Dieu. Comme dit l’hymne latinVictimae paschali : « La mort et la vie ont engagé un stupéfiant combat ; l’Auteur de la vie, après être mort, vit et règne ».
Homme sans péché, prémices d’une humanité nouvelle libérée de l’esclavage diabolique, le Christ se présente au Père comme la victime pure, l’agneau sans tache. L’aspect sacrificiel de la mort de Jésus Christ est étroitement lié à l’Ancienne Alliance qui est accomplie et dépassée. Les oblations de l’ancienne Loi étaient appelées à attirer la faveur divine, afin que Dieu agrée l’expiation des fautes ; elles étaient l’annonce et la figure du sacrifice parfait du Christ, grand prêtre et victime, qui est, comme dit la Liturgie de saint Jean Chrysostome, « celui qui offre et qui est offert ». Le sacrifice du Christ n’est pas seulement le dernier des sacrifices, il est l’unique vrai sacrifice, ce qu’exprime si bien l’Épître aux Hébreux : Tel est précisément le grand prêtre qu’il nous fallait, saint, innocent, immaculé, séparé désormais des pécheurs, élevé plus haut que les cieux, qui ne soit pas journellement dans la nécessité, comme les grands prêtres, d’offrir des victimes d’abord pour ses propres péchés, ensuite pour ceux du peuple, car ceci, il l’a fait une fois pour coules en s’offrant lui-même. La Loi, en effet, établit comme grands prêtres des hommes sujets à la faiblesse ; mais la parole du seraient - postérieur a la Loi - établit le Fils rendu parfait pour l’éternité (Hé 7,26-28).
Après sa mort, le Seigneur a été enseveli et son corps est resté jusqu’au troisième jour dans le tombeau. Ce moment est décrit avec une grande précision théologique dans un tropaire du rite byzantin : « Dans le tombeau corporellement, dans les enfers en âme comme Dieu, au paradis avec le larron, tu étais sur le trône avec le Père et l’Esprit, ô Christ, qui emplis tout et qu’aucun lieu ne peut contenir ».
Durant son ministère terrestre, Notre Seigneur avait fait allusion à son ensevelissement. Aux Juifs qui demandaient un signe, Jésus répond : Génération mauvaise et adultère. Elle réclame un vigne, et de signe, il ne lui sera donné que celui du prophète Jonas (Mt 12,39), et encore : Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai (Jn 2,19).
Pénétrant dans l’Enfer en libérateur, brisant par sa propre mort le pouvoir de la mort que le péché avait introduit, le Christ est le nouvel Adam, prémices d’une race nouvelle qui peut, par son adhésion au Christ vainqueur, retrouver sa vraie vocation, celle de l’union avec Dieu.
Il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures.
La croyance en la Résurrection de Jésus Christ est au cœur du christianisme authentique ; c’est pourquoi saint Paul écrit aux Corinthiens : Si le Christ n’est pas ressuscité, alors notre prédication est vide, vide aussi notre foi (1 Co 15, 14). Les apôtres sont par excellence les témoins du Christ ressuscité (voir surtout Ac 1, 21-22). C’est que la Résurrection a été l’éclatante manifestation de la messianité de Jésus et de sa divinité. L’attitude prise devant l’événement est la ligne de clivage entre la foi et l’incrédulité et cela demeure évidemment valable pour toutes les générations jusqu’à la fin des temps.
Si les Juifs, dans leur majorité, refusaient de reconnaître en Jésus ressuscité le Messie - soit qu’ils aient nié la réalité de la Résurrection, soit qu’ils n’en aient tiré aucune conséquence - du moins l’idée même d’une résurrection ne leur était pas étrangère, à l’exception pourtant dés sadducéens. Il n’en était pas de même des païens ; la prédication chrétienne de la résurrection générale et de celle déjà accomplie du Christ se heurtait à une grande difficulté de compréhension. On oublie parfois trop facilement de nos jours qu’il y a bien peu de points communs entre la conception philosophique d’une survie de l’âme et l’idée biblique de résurrection ; c’est pourquoi la prédication de saint Paul à l’Aréopage d’Athènes se heurta à un scepticisme sarcastique (Ac 17, 16-34). C’est ainsi que, pour des raisons différentes, la plupart des Juifs et des païens restèrent insensibles au signe de Dieu.
Pour les croyants auxquels il est donné par la foi de reconnaître la grandeur de l’événement, la Résurrection du Seigneur signifie le triomphe éclatant de la vie sur la mort, la levée de la malédiction qui pesait sur la descendance d’Adam. C’est pourquoi Pâques est la fête de la joie débordante ; la Liturgie orthodoxe l’exprime en ce jour avec une particulière emphase : « Une Pâque sacrée nous est apparue aujourd’hui ; Pâque nouvelle et sainte, Pâque mystique, Pâque très pure, Pâque du Christ notre libérateur ; Pâque immaculée, Pâque grandiose, Pâque des croyants ; Pâque qui nous ouvre les portes du paradis ; Pâque qui sanctifie tous les fidèles » (stichère des laudes pascales). Pour l’ancien Israël, Pâques était la commémoration de la libération du joug égyptien ; pour l’Église, nouvel Israël, la Pâque chrétienne est le rappel de la libération du joug de la mort ; elle est aussi l’annonce de la résurrection générale, dont celle du Christ est le principe efficace.
Ce n’est pas seulement dans l’office pascal que l’Église nous rappelle le grand mystère de la Résurrection, c’est dans chaque office dominical. Le thème pascal imprègne aussi tout le rite baptismal, puisque le néophyte est passé spirituellement de l’esclavage satanique à la vie en Christ : Nous tous qui avons été baptisés en Jésus Christ, déclare saint Paul, c’est en sa mort que nous avons été baptisés. Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême en sa mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts pour la gloire du Père, de même nous aussi nous marchions dans la vie nouvelle (Rm 6, 3-4).
L’acte même de la Résurrection du Sauveur a échappé à toute investigation humaine ; il n’y a d’ailleurs dans les Évangiles aucune description de l’événement, c’est pourquoi l’iconographie orthodoxe traditionnelle ne représente pas la Résurrection elle-même, mais l’apparition qui a suivi (voir Léonide Ouspensky : « Peut-on représenter la Résurrection du Christ ? » Messager de l’Exarchat, N° 21, 1955, pp. 7-8).
Le Christ ressuscité a été vu par de nombreux témoins. Saint Paul mentionne même que notre Seigneur est apparu « à plus de cinq cents frères à la fois » (1 Co 4, 6). En ajoutant que « la plupart vivent encore » (ibid.), l’apôtre laisse entendre aux Corinthiens qui auraient eu des doutes, qu’il leur est possible de les interroger. Toutefois, il n’y a pas eu de « Christophanie » [manifestation du Christ] qui aurait revêtu un aspect grandiose propre à imposer à tous les hommes, ou même à tous les jérusalémites, la foi en la Résurrection du Seigneur. Cette apparition sera celle de la seconde parousie, lorsque Jésus Christ reviendra en gloire juger les vivants et les morts. Jusque-là, il y a pour chaque personne la liberté du choix, et pour ceux qui acceptent d’être réceptifs à la grâce divine retentissent les consolantes paroles du Christ ressuscité : Bienheureux ceux qui croiront sans avoir vu (Jn 20, 29). C’est pourquoi les générations chrétiennes, même celles qui sont éloignées de près de vingt siècles de l’âge des témoins apostoliques, proclament avec ferveur : « Ayant contemplé la Résurrection du Christ, nous adorons le Seigneur Jésus, le seul sans péché. Nous adorons, ô Christ, ta croix et nous chantons et glorifions la sainte Résurrection ». Ainsi donc, en esprit les chrétiens accourent vers le sépulcre comme les saintes femmes myrhophores afin d’entendre les paroles de l’ange qui annoncent la bonne nouvelle.
Pour le chrétien, la reconnaissance du fait de la Résurrection ne saurait être un acte purement intellectuel ; chaque baptisé doit pouvoir dire avec l’apôtre Paul : « Je suis crucifié avec le Christ ; et si je vis, ce n’est plus moi, mais le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 19-20). La condition du chrétien est paradoxale : il vit dans le monde, mais par son adhésion au Christ, il rompt avec ce monde pour autant que celui-ci se refuse à reconnaître la souveraineté du Christ.
Le Credo affirme que notre Seigneur « est ressuscité le troisième jour selon les Écritures ». Cette dernière expression comporte une bien plus grande richesse que cela peut sembler au premier abord. Cette référence à l’Ancien Testament - car le terme d’Écritures se rapporte ici à l’Ancien Testament - est double : sur un plan immédiat, il y a le témoignage prophétique direct du livre de Jonas ; notre Seigneur présente le « signe de Jonas » comme la préfiguration de son ensevelissement et de sa résurrection (Mt 12, 38-40 et 16, 1-4 ; Lc 11, 29-32). Mais il y a aussi un autre plan qui englobe l’Ancien Testament dans son ensemble, en tant que tourné vers la personne et l’œuvre du Messie. C’est ainsi que le Christ ressuscité explique les Écritures aux pèlerins d’Emmaüs : Esprits sans intelligence, lents à croire tout ce qu’on annoncé les prophètes ! Ne fallait-il pas due le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ? Et commençant par Moïse et parcourant tous les prophètes, il leur interpréta dans les Écritures ce qui le concernait (Lc 24, 25-27). Aux apôtres notre Seigneur déclare : Telles sont bien les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous : il faut que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes. Alors il leur ouvrit l’esprit à l’intelligence des Écritures et il leur dit : Ainsi était-il écrit que le Christ souffrirait et ressusciterait d’entre les morts le troisième jour... (Lc 24, 44-46). Il faut remarquer que selon la façon juive de s’exprimer, la Loi, les Prophètes et les Psaumes signalaient l’ensemble des Écritures, conformément aux trois grandes divisions de la bible hébraïque.
L’utilisation des témoignages vétérotestamentaires en faveur de la Résurrection de Jésus Christ dans la catéchèse chrétienne primitive jouait un rôle très important. Nous pouvons d’ailleurs aisément nous en rendre compte eu lisant le discours de saint Pierre à la foule le jour de la Pentecôte (Ac 2, 14-36, en particulier 25-35).
Il est monté au ciel, et siège à la droite du Père.
Proclamant la foi en l’œuvre salutaire de notre Seigneur, le Credo, après avoir affirmé la Résurrection au troisième jour, mentionne l’Ascension et la Session « à la droite du Père ». Ainsi s’achève la série des articles du Credo relative au ministère terrestre du Christ. Pourtant si le temps de l’Incarnation, ou plus exactement de la présence corporelle du Christ sur la terre, est clos avec l’Ascension, il n’y a pas de rupture avec la période suivante, le temps de l’Église qui s’achèvera avec la seconde et glorieuse venue de notre Seigneur. Ce lien entre les deux périodes est doublement souligné dans les saintes Écritures : d’abord d’une manière externe, par la composition littéraire : saint Luc termine son Évangile par la mention de l’Ascension et commence le livre des Actes en reprenant de façon plus étoffée le récit de l’événement ; ensuite d’une manière interne : le Nouveau Testament nous rapporte les paroles du Seigneur soulignant que sa montée au ciel ne constitue nullement un abandon. Dans l’Évangile selon saint Matthieu les dernières paroles du Christ qui sont mentionnées fondent la sereine assurance de l’Église en la sollicitude permanente du Sauveur (Mt 28, 20). Elles trouvent leur écho dans le kondakion de la fête : « Ayant accompli en notre faveur ton œuvre de salut, après avoir uni les cieux et la terre et les hommes avec Dieu, dans la gloire, ô Christ notre Dieu, tu montas vers le ciel sans pour autant nous délaisser, mais restant toujours parmi nous et disant à ceux qui conservent ton amour : Je suis toujours avec vous et personne à jamais ne peut rien contre vous ».
L’Ascension marque le couronnement du sacrifice du Christ ; l’Agneau immolé se présente devant le Père, manifestant en sa personne divino-humaine l’union rétablie entre Dieu et l’homme. On lit à ce propos dans l’épître aux Hébreux : Ayant offert pour les péchés tin unique sacrifice, il s’est assis pour toujours à la droite de Dieu (Hé 10,12). La mort rédemptrice sur la Croix, la Résurrection et l’Ascension sont si étroitement liées que Notre Seigneur en parle comme d’un tout inséparable lorsqu’il déclare : Et moi, élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi (Jn 12,32).
La descente des cieux mentionnée dans le troisième article du Credo ne peut être rapprochée de l’Ascension que sur un plan limité, celui de la kénose du Fils de Dieu qui commence avec l’Incarnation et s’achève à l’Ascension. Encore ne faut-il pas oublier que la kénose n’a rien modifié dans les relations intra-trinitaires, car le Dieu tri-hypostatique demeure immuable et inaltérable et donc le Fils est ontologiquement uni au Père et à l’Esprit Saint en dehors de toute contingence temporelle. D’autre part, il faut souligner le caractère propre de l’Ascension qui réside dans l’exaltation du Dieu-Homme : le Christ, nouvel Adam, est le chef d’une humanité rénovée qui, justement en sa personne, se trouve désormais assise en gloire à la droite du Père. Par là nous voyons que la Rédemption n’a pas été simplement la levée de la malédiction due au péché, car la glorification de l’humanité acquise en Jésus Christ est définitive. C’est pourquoi l’apôtre Paul peut s’écrier : puisse Dieu illuminer les yeux de votre cœur pour vous faire voir quelle espérance vous ouvre son appel, quels trésors de gloire renferme son héritage parmi les saints, et quelle extraordinaire grandeur sa puissance revêt pour nous les croyants, selon la vigueur de sa force qu’il a déployée en la personne du Christ, le ressuscitant d’entre les morts et le faisant siéger à sa droite dans les cieux, bien au-dessus de toute Principauté, Puissance, Vertu, Seigneurie et de tout autre nom qui se pourra nommer non seulement dans ce siècle-ci, mais encore dans le siècle à venir (Ép. 1,17-21).
L’Ascension n’est donc nullement une désincarnation du Verbe divin, car dans l’histoire du salut telle qu’elle se déploie selon le dessein prééternel de Dieu, il n’y a pas de mouvement régressif. La doctrine néo-testamentaire de l’Église, Corps du Christ, n’est compréhensible qu’à partir de la croyance en l’Ascension et en la Session à la droite du Père : le Christ répand sur l’Église la vie divine d’une manière, si l’on peut dire, organique en vertu du principe de solidarité entre la tête et les membres : Il [Dieu le Père] a tout mis sous ses pieds et l’a constitué au sommet de tout, Tête pour l’Église, laquelle est son Corps (Éph 1,22 ; cf. Col 1,18). Il ne faut pas éluder, dans une saine théologie, la force de cette affirmation, sinon il faudrait aussi vider de leur sens réel d’autres affirmations scripturaires, telle celle qui proclame la possibilité pour les membres de l’Église de devenir participants de la nature divine (2 P 1,4) ; c’est seulement aussi en se référant à la doctrine du Corps ecclésial que nous pouvons comprendre cette parole apparemment mystérieuse du Sauveur rapportée par le quatrième Évangile : En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoule ma parole et croit à celui qui m’a envoyé a la vie éternelle et n’est pas soumis au jugement, mais il est passé de la mort à la vie (Jn 5,241).
C’est parce que l’Ascension n’est pas une rupture que la Pentecôte en est la suite nécessaire, comme le Seigneur l’affirme clairement : Je vous dis la vérité : il vaut mieux pour vous que je parte ; car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai (Jn 16,7). Bien que nous appelions Pentecôte un événement précis, l’effusion de l’Esprit Saint cinquante jours après Pâques, tout le temps de l’Église qui débute, alors peut être considéré comme une Pentecôte perpétuelle, car la vie de l’Église ne se comprend que dans la perspective d’une action de l’Esprit Saint. À chaque Liturgie eucharistique, en particulier, le célébrant demande à Dieu d’envoyer son Esprit Saint sur le peuple assemblé et sur les oblats.
Le Christ, en s’offrant en sacrifice, a réconcilié l’humanité avec Dieu ; par l’Ascension cette humanité, en la personne de son chef, est unie à la divinité et siège en gloire à la droite du Père ; mais il appartient à chaque homme de s’approprier ce salut offert en Jésus Christ, car la liberté humaine saurait être violée ; Dieu offre le salut mais il ne l’impose pas. Après l’Incarnation, comme avant, l’homme naît clans le péché, esclave des forces mauvaises, mais depuis l’accomplissement de l’œuvre rédemptrice du Christ, il lui est donné d’être intégré dans la nouvelle création en devenant membre du Corps du Christ. Pour cela il faut que l’homme soit réceptif à la grâce prévenante, car de ses propres forces il ne peut rien commencer ; c’est ce que l’Église enseigne fermement face à toute conception pélagienne du salut ; mais cette nécessaire intervention initiale de Dieu n’implique aucune attitude passive de la part de l’homme et chacun doit avoir présent à l’esprit les paroles que le maître adresse à ses disciples de tous les temps : Que celui qui veut venir derrière moi se renie lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive (Mt 16,24 ; cf. Mc 8,34 et Lc 9,23). Quitter le vieil homme pour revêtir le nouveau exige une ascèse continue, car si le baptême signifie un renoncement à la domination satanique et une agrégation au Corps du Christ, il faut sans cesse lutter pour conserver ce qui a été acquis et le faire fructifier ; cependant cette ascension spirituelle, aussi rude qu’elle puisse être, s’accomplit dans l’ambiance fondamentalement optimiste du christianisme, car le croyant entend résonner ces paroles du Seigneur qui maintiennent sa vigilance et affermissent son espérance : Dans le monde vous aurez à souffrir. Mais gardez courage ! J’ai vaincu le monde ! (Jn 16,33).
Et il reviendra en gloire juger les vivants et les morts ;
son règne n’aura point de fin.La croyance en la seconde venue du Christ est absolument fondamentale dans l’ensemble de la doctrine chrétienne, aussi toute tentative pour « dés-eschalologiser » le christianisme, c’est-à-dire pour supprimer ou minimiser cet article de foi ne petit être considéré que comme une altération fondamentale du message chrétien. Pour bien comprendre la place que ce dogme tient dans l’Église, il faut le situer dans sa vraie perspective ; en effet, la conception chrétienne du temps et de l’histoire se présente comme une ligne horizontale : il y a un commencement, la création, un acte tragique de l’homme, la chute, un événement central, l’Incarnation, une fin avec la seconde parousie (le retour du Christ). Par conséquent, de même que le sacrifice du Christ a été un événement unique (Hé 7,27), de même aussi le jugement dernier sera un acte unique et définitif. Telle est la croyance ferme de l'Élise, et c'est pour cela que le Ve Concile œcuménique (553) a condamné toute une série d'opinions origénistes qui avaient comme arrière-fond une conception cyclique du temps incompatible avec la Révélation. L'attente eschatologique est un élément fondamental de la théologie sacramentaire orthodoxe : c'est ainsi que le rassemblement des chrétiens pour la Liturgie eucharistique n'est pas seulement le mémorial d'un événement passé, actualisé dans le sacrement (3), mais il marque aussi cette attente eschatologique de la communauté messianique qu'est l'Église. C'est ce qui est bien souligné dans la recommandation de l'apôtre Paul qui suit le récit des paroles de l'institution de la Sainte Cène : Chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne (1 Co 11,26). L'allusion eschatologique est d'ailleurs très claire dans cette parole de notre Seigneur rapportée par saint Matthieu : Je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce produit de la vigne jusqu'au jour où je boirai avec vous le vin nouveau dans le Royaume de mon Père (Mt 26,29). La synaxe eucharistique préfigure le rassemblement de l'Église dans le Royaume messianique. Dans un très antique document chrétien, la Didachè (Ier-IIe s.), nous lisons ces mots qui exaltent cet espoir : « De même que ce pain rompu, d'abord semé sur les collines, une fois recueilli est devenu un, qu'ainsi ton Église soit rassemblée des extrémités de la terre dans ton Royaume... » et plus loin : « Souviens toi, Seigneur, de ton Église, pour la délivrer de tout mal et la parfaire dans ton amour. Rassemble-la des quatre vents, cette Église sanctifiée, dans ton Royaume que tu lui as préparé ».
Les premiers chrétiens vivaient dans l’attente impatiente du retour du Christ et ils l’exprimaient par la formule araméenne concise que nous rapporte saint Paul, Maranatha (1 Co 16,22 ; cf. Ap 22,17). Néanmoins notre Seigneur avait mis en garde ses disciples contre le désir de savoir quand aurait lieu la dernière parousie (Mt 24,36 ; Ac 1,7). Paul, d’autre part, en incitant les Thessaloniciens à la vigil
Nous avons précédemment insisté sur les différences entre les deux venues du Seigneur dans le monde : alors que la première s’est faite dans l’état de kénose (abaissement), la seconde manifestera à tous la puissance de Dieu ; c’est ce que souligne dans le Credo le terme « avec gloire » : qu’elle sera évidente pour tous, mais aussi le fait de la confesser ne pourra plus être alors imputé à justice. Avec la fin de ce monde cessera la possibilité d’une modification de quoi que ce soit ; tout sera immuablement fixé d’une manière absolue puisque extra-temporelle. C’est pourquoi Notre Seigneur déclare : Et ils s’en iront, ceux-ci à une peine éternelle et les justes à la vie éternelle (Mt 25,46). C’est aussi à cet absolu extra-temporel que se réfère implicitement saint Jean dans l’Apocalypse en parlant de la seconde mort (Ap 20,13-15). Le jugement dernier marquera le triomphe total du Christ sur toutes les forces du mal qui, malgré la Croix et la Résurrection, ne voulaient pas reconnaître leur inexorable défaite.
Il faut remarquer que l’Écriture Sainte, de même que le Credo, souligne l’aspect cosmique du jugement dernier ; le Christ apparaît ici comme le Roi de l’Univers. C’est ainsi que nous lisons : Quand le Fils de l’Homme viendra dans sa gloire escorté de tous les anges, alors il prendra place sur son trône de gloire. Devant lui seront rassemblées toutes les nations... (Mt 25, 31-32 ; cf. Ap 20,11-15). Notons que l’iconographie orthodoxe a majestueusement développé le thème du jugement, soit d’abord sous la forme symbolique du berger séparant les brebis des boucs (église de Saint Apollinaire-nuovo à Ravenne, ca. 520), soit ensuite sous une forme réaliste, le Christ apparaissant sur les nuées, trônant parmi les apôtres pour juger les vivants et les morts qu’éveille la trompette de l’archange (exemple, le dôme de Torcello, XIe siècle).
L’article du Credo se termine par l’affirmation suivante : « et dont le règne n’aura point de fin ». Ces mots qui figurent dans notre symbole tel qu’il a été promulgué à l’époque du IIe Concile oecuménique (381) ne se trouvaient pas dans la profession de foi des Pères de Nicée (325). Ils ont été placés dans le Credo pour combattre l’opinion étrange et erronée de Marcel d’Ancyre selon laquelle le règne du Christ se terminerait avec la fin des temps. Cela semble s’insérer dans le cadre de sa théologie modaliste, la Trinité n’étant qu’un mode d’être provisoire de la divinité qui se résorberait finalement en une monade.
Déjà dans le Credo du concile de la Dédicace tenu à Antioche en 341, nous trouvons la formule : « ... et venant de nouveau juger les vivants et les morts et demeurant Roi et Dieu dans tous les siècles ».
Dans l’attente radieuse du retour en gloire du Seigneur le chrétien s’écrie : « Que la grâce vienne et que ce monde passe ! Amen » (Didachè), mais connaissant aussi sa faiblesse de créature pécheresse, il prie humblement en disant : « Ô Dieu, lorsque tu viendras sur la terre, lorsque tout tremblera, qu’un fleuve de feu sortira du tribunal, que les livres seront ouverts et que les choses cachées seront manifestées, alors, ô très juste Juge, délivre-moi du feu inextinguible et rends-moi digne de m’asseoir à ta droite » (Kondakion du dimanche du carnaval).
(3) Le terme grec d'anamnêsis n'a pas d'équivalent exacte en français ; « mémoire » est trop faible et ne rend absolument pas la nuance du préfixe « ana ». La conception protestante de la Sainte Cène est pourtant bâtie comme si « anamnêsis » signifiait purement et simplement mémoire.