Chapitre 4e : La Trinité
Il ne s'agit pas ici de présenter un "traité" sur la Trinité, comme, on le ferait, par exemple, si l'on s'attachait au De Trinitate d'Augustin. On essayera ici simplement d'expliciter un peu, à travers les commentaires sur les écrits de Jean, de fait les Homélies sur l'Evangile de Jean, ce qu'Augustin disait de la Trinité, ce à quoi il tenait profondément. De fait on verra qu'on trouve dans ces Homélies à peu près tous les points essentiels qui seront développés ultérieurement ou parallèlement par Augustin dans son traité complet. Ce sera l'occasion pour nous de nous pénétrer de cet ineffable mystère que nous ne pouvons vraiment approcher qu'avec la foi.
Les difficultés d'une définition
Face à cet immense mystère, Augustin n'est pas toujours égal. Il avoue d'ailleurs ses difficultés (cf. note 28, vol. 74B, p. 478) dans une réponse à l'évêque arien Maximin(1) :
"Tu me demandes : "Si le Fils est de la substance du Père et si le Saint-Esprit est aussi de la substance du Père, pourquoi n'y a-t-il pas un seul Fils et pourquoi l'autre n'est-il pas Fils ?" Voici ma réponse, que tu comprennes ou que tu ne comprennes pas. Le Fils est du Père et le Saint-Esprit est du Père, mais l'un est engendré, l'autre procède ; c'est pourquoi l'un est le Fils du Père dont il est engendré, mais l'autre est l'Esprit des deux puisqu'il procède des deux. Le Fils dit en parlant de lui : Il procède du Père, Jn 15, 26, parce que le Père auteur de sa procession est celui qui a engendré un tel Fils et qui, en l'engendrant, lui a donné que le Saint-Esprit procède aussi de lui. Car, s'il ne procédait pas aussi de lui, il ne dirait pas aux disciples : Recevez le Saint-Esprit. (Jn 20, 22) et il ne le leur donnerait pas en soufflant pour que, signifiant qu'il procède aussi de lui, il montre ostensiblement en soufflant ce qu'il donnait secrètement par sa spiration.
Puisque donc, s'il naissait, il naîtrait non seulement du Père, ni seulement du Fils, mais évidemment des deux, il serait appelé sans aucun doute le Fils des deux. Et de ce fait, puisqu'il n'est d'aucune manière le Fils des deux, il n'a pas fallu qu'il naisse des deux. Il est donc l'Esprit des deux en procédant des deux.
Mais quel est celui qui, parlant de cette souveraine nature, peut expliquer la différence entre naître et procéder ? Tout ce qui procède ne naît pas bien que tout ce qui naît procède, de même que tout ce qui a deux pieds n'est pas un homme alors que tout homme a deux pieds. Cela, je le sais ; faire la distinction entre cette génération et cette procession, je ne le sais pas, je ne le puis pas, je n'en suis pas capable. Et puisque l'une et l'autre sont ineffables, comme le prophète a dit du Fils : Qui racontera sa génération (Is 53, 8) ?, il est dit en toute vérité du Saint-Esprit : Qui racontera sa procession ? Qu'il soit suffisant pour nous de savoir que le Fils n'est pas de lui-même, mais de celui dont il est né, que le Saint-Esprit n'est pas de lui-même, mais de celui dont il procède, et qu'il procède de l'un et de l'autre, selon qu'il est appelé l'Esprit du Père et l'Esprit du Fils (Rm 8, 11 et 9)" (Contra Maxim., 2, 14, 1)
Augustin, parlant de la Trinité, dès sa jeunesse de converti (à 39 ans) dans le De fide et symbolo, 9, 18-19, souligne qu'il est indispensable, avant même d'approfondir la question des relations des "personnes" de la Trinité, de traiter de l'Esprit-Saint :
"Sur le Père et le Fils, nombreux sont les livres écrits par des (docteurs) savants et spirituels. Autant que des hommes le peuvent à des hommes, ils s'y sont appliqués à faire saisir comment le Père et le Fils ne sont pas un seul (individu) mais une seule (réalité), ou encore ce qu'est proprement le Père et ce qu'est le Fils : celui-là le générateur, celui-ci l'engendré ; celui-là (n'étant pas issu) du Fils, mais celui-ci du Père… Au contraire, l'Esprit Saint n'a pas été encore étudié avec autant d'abondance et de soin par les doctes et grands commentateurs des divines Ecritures, de telle sorte qu'il soit aisé de comprendre également son caractère propre, qui fait que nous ne pouvons l'appeler ni Fils ni Père mais seulement Esprit Saint."
St Augustin cherche des images, des analogies naturelles pour essayer de faire saisir le mystère de la Trinité à ses auditeurs. Un bon exemple toujours dans De la foi et du symbole, 9, 17 (pp. 35-37) :
" Rien d'étonnant à ces affirmations sur la nature ineffable de Dieu, quand jusque dans les objets visibles à nos yeux corporels et accessibles à nos sens, il se présente quelque chose de pareil. Lorsque, en effet, on nous parle de la source, nous ne pouvons pas dire que c'est le fleuve, ni du fleuve qu'il mérite le nom de source, ou encore que le breuvage pris à la source ou au fleuve se puisse appeler ni fleuve ni source. De cette trinité pourtant l'eau est le nom commun et à qui s'informe de chacune [de ses parties] nous répondons que c'est de l'eau. Quand je demande si c'est de l'eau qui est dans la source, on me répond oui et si c'est de l'eau qui est dans le fleuve on ne me répond pas autrement ; au sujet du breuvage non plus la réponse ne saurait être différente. Et cependant nous ne parlons pas de trois eaux, mais d'une seule."
Augustin, lorsqu'il traite de la Trinité, nous introduit dans le mystère de la vie intime de Dieu, mais aussi dans la vie intime de sa propre âme : cf. l'admirable prière de la fin du chapitre XV de La Trinité(XV, 28, 51) :
"Dirigeant mes efforts d'après cette règle de foi, autant que je l'ai pu, autant que tu m'as donné de le pouvoir, je t'ai cherché ; j'ai désiré voir par l'intelligence ce que je croyais ; j'ai beaucoup étudié et beaucoup peiné. Seigneur mon Dieu, mon unique espérance, exauce-moi de peur que, par lassitude, je ne veuille plus te chercher, mais fais que toujours je cherche ardemment ta face. O toi ! donne-moi la force de te chercher, toi qui m'as fait te trouver et qui m'as donné l'espoir de te trouver de plus en plus. Devant toi est ma force et ma faiblesse : garde ma force, guéris ma faiblesse. Devant toi est ma science et mon ignorance : là où tu m'as ouvert, accueille-moi quand je veux entrer ; là où tu m'as fermé, ouvre-moi quand je viens frapper. Que ce soit de toi que je me souvienne, toi que je comprenne, toi que j'aime ! Augmente en moi ces trois dons, jusqu'à ce que tu m'aies réformé tout entier."
Augustin constate l'impuissance de l'homme à dire ce mystère de la Trinité :
"Quand il s'agit de Dieu, la pensée est plus exacte que le discours et la réalité plus exacte que la pensée" (De Trin. VII, 4, 7)
Soulignons tout de suite la défiance d'Augustin à l'égard du mot "personne" (tradition latine : persona) - terme qu'il évite d'utiliser, préférant dire qu'Ils sont Trois, mais qu'ils sont le principe c'est-à-dire l'origine… (Tract. 39). Ils s'expliquera finalement plus tard (dans le De Trinitate) de sa défiance à utiliser le terme de "personnes". Il ne justifie la formule "trois personnes" que par l'usage qu'en ont fait avant lui beaucoup de Latins :
"C'est la formule qu'ils ont employée, puisqu'ils ne trouvaient pas une meilleure manière d'énoncer avec des mots ce qu'ils concevaient sans mots… Quand on cherche ce que sont les Trois, la parole humaine souffre de l'indigence la plus totale. On a dit cependant : trois personnes, non pour exprimer cette réalité, mais pour ne pas garder le silence." (De Trin. 5, 9, 10).
De fait, pour écrire sur la Trinité
- Augustin a lu les auteurs ecclésiastiques qui avant lui avaient écrit sur ce sujet
- Augustin a (surtout) lu et médité ce que les Ecritures disent de chacune des trois personnes divines et de leurs relations (cf. rôle de St Jean en particulier)
- Augustin s'est efforcé d'analyser l'âme humaine pour tenter d'y découvrir des analogies avec la vie intime de Dieu.
- Enfin Augustin a mis la dialectique au service de la vérité : analyse rigoureuse des données scripturaires, construction et rigueur du raisonnement…
Quelques passages de St Jean commentés par Augustin dans les Homélies sur l'Evangile de Jean pour nous parler de la Trinité
- Le Prologue, commenté dans Tract. 1
- Le chapitre 8 de St Jean, commenté surtout dans Tract. 39
- Le discours après la Cène (Jn 14-17), commenté dans Tract. 63-111 : certains passages sont essentiels pour la Trinité : en particulier Tract. 74, 76, 94 mais aussi 104, 105, etc.
- Enfin, après la Résurrection, avec le don de l'Esprit, il est à nouveau question de la Trinité, en particulier dans le Tract. 121.
- 1. A partir du Prologue de Jean
Le commentaire du Prologue est surtout l'occasion de montrer la fausseté des thèses des Ariens(1) : C'est Dieu Trinité qui procède à la création du monde. Ce sont ensemble les trois personnes qui créent le monde et tout ce qu'il contient.
Ainsi à propos de "La Parole était Dieu" Augustin discute du "Verbe" et s'oppose aux Ariens qui prétendent que "la Parole de Dieu a été faite", que le Fils est créature du Père. L'argument d'Augustin est de rappeler que c'est par la Parole que tout a été fait : cf. le début de la Genèse : "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre… l'Esprit de Dieu planait sur les eaux. Dieu dit "Que la lumière soit" et la lumière fut."
Ces versets nous montrent qu'au commencement était la Trinité : l'Esprit, la Parole…
Et que dit Jean ?
"Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Tout fut par lui et sans lui rien ne fut. De tout être il était la vie et la vie était la lumière des hommes et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres n'ont pu l'atteindre." (Jn 1, 1-5).
Dieu créateur est Trinité. Augustin alerte à ce propos ses auditeurs pour qu'ils ne croient pas que quand on dit "Tout a été fait par lui, et sans lui rien n'a été fait" que "rien" est quelque chose !
Cette question de la création par Dieu (Père, Fils, Esprit) est reprise dans le Tract. 8 à propos des noces de Cana (Jn 2, 1-11) :
"Quand donc nous voyons de telles merveilles accomplies par le Dieu Jésus, pourquoi nous étonner de l'eau changée en vin par l'homme Jésus ? Car il ne s'est pas fait homme de telle manière qu'il en perdrait d'être Dieu : l'homme s'est joint à lui, le Dieu n'a pas disparu" (Tract. VIII, 3).
Chapitre 4e : La Trinité (fin)
2. Le Chapitre 8 de St Jean commenté principalement dans le Tract. 39
Lire Jn 8, 12-30… et jusqu'à 59.
Dans la 39e Homélie, Augustin commence par souligner que la question qui est au cœur de Jn 8 c'est effectivement la question posée à Jésus : "Toi, qui es-tu ?" à laquelle Jésus va répondre, de fait, en révélant la Trinité : effectivement quand Jésus répond : "Le Principe, parce que je vous parle aussi", Augustin commente ce passage (texte Jn 8, 25 dont toutes les traductions avouent la difficulté : latraduction de la Bible de Jérusalem (BJ) rend cela par "D'abord ce que je vous dis", la Traduction Oecuménique de la Bible (TOB) par "Ce que je ne cesse de vous dire depuis le commencement.") en affirmant une nouvelle fois que le Père, le Fils et le St-Esprit sont un seul Principe : ils sont trois, mais il n'y a pas trois dieux. Et Augustin invite son auditoire :
"Tenons sans l'obscurité d'aucune ombre ce que nous comprenons, croyons sans le moindre doute, ce que nous ne comprenons pas." (39, 3, p. 281 - 73A)
Il tente alors d'expliquer en imaginant un dialogue avec quelqu'un qui ne comprend pas pourquoi ils sont trois mais non pas trois dieux :
"Le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu, et pourtant le Père n'est pas le Fils, le Fils n'est pas le Père et le Saint-Esprit qui est l'Esprit du Père et du Fils n'est ni le Père ni le Fils ; la Trinité est un seul Dieu, la Trinité est une seule éternité, une seule puissance, une seule majesté : ils sont trois, mais ils ne sont pas trois dieux. Qu'un chicaneur ne me réponde pas : Que sont donc ces trois ? En effet, dit-il, s'ils sont trois, il faut que tu me dises ce que sont ces trois. Je réponds : Le Père, le Fils et le Saint-Esprit. - Tu vois, dit-il, tu as parlé de trois, mais dis ce que sont ces trois. - Compte toi-même au contraire, car, pour moi, je donne au nombre trois sa plénitude en disant : Le Père, le Fils et le Saint-Esprit. De fait, c'est en lui-même que le Père est Dieu et par rapport au Fils qu'il est le Père, c'est en lui-même que le Fils est Dieu et par rapport au Père qu'il est le Fils." (Tract. 39, 3).
Augustin propose diverses images car il sent bien son impuissance à se faire comprendre de son auditoire, dont il veut surtout exciter la foi. Finalement pour une comparaison, il renvoie à l'Ecriture : dans les Actes des Apôtres (4, 32)(1), ne dit-on pas des premiers Chrétiens, de plus en plus nombreux après la Pentecôte qu' "ils avaient une seule âme et un seul cœur" [c'est nous qui soulignons] ? Augustin commente donc : tant de milliers d'hommes et il y a un seul cœur. Si les hommes en Dieu ont un seul cœur, combien plus Dieu lui-même est-il un seul. Reprenant Rm 5, 5, il résume :
"La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné. Donc, si la charité de Dieu, répandue dans nos cœurs par le St-Esprit qui nous a été donné, fait de beaucoup d'âmes une seule âme et de beaucoup de cœurs un seul cœur, combien plus le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont-ils un seul Dieu, une seule Lumière et un seul Principe !" (Tract. 39, 5, pp. 287-289).
Ainsi l'unité des premiers chrétiens de Jérusalem est une image de l'unité de la Trinité (en même temps que suscitée par l'action de l'Esprit en eux (Esprit qui est la "communion ineffable du Père et du Fils" -De Trin. 5, 11, 12).
3. Le Discours après la Cène
Le commentaire de ce que l'on appelle le "discours après la Cène" (Jn 14 - 17) est très long chez Augustin. Il occupe les Tractatus 63 à 111 (c'est-à-dire presque la moitié de l'ensemble (124 Tract.), avec en outre tout au long des Homélies sur l'Evangile de Saint Jean, des références constantes à ce passage.
Un premier passage essentiel sur la Trinité se situe au Tract. 74, 1-2 (et Augustin y reviendra au Tract. 94 à propos de "Si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous ; au contraire, si je pars, je vous l'enverrai" (Jn 15, 7 : cf. diverses annonces de la venue du Paraclet en Jn 14 et Jn 15) : Paroles mystérieuses du Christ : pourquoi annonce-t-il aux apôtres qu'ils recevront l'Esprit ? Ils n'aimeraient pas le Christ, ne l'auraient pas connu s'ils n'avaient déjà reçu l'Esprit qui ouvre à la foi les yeux de ceux qui sans lui ne croiraient pas :
"Comment donc le Seigneur dit-il : Si vous m'aimez, gardez mes commandements et, moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Paraclet [Jn, 14, 15-16], en disant cela de l'Esprit Saint sans la possession duquel nous ne pouvons ni aimer Dieu ni garder ses commandements ? Comment aimons-nous pour recevoir celui sans la possession duquel nous ne sommes pas capables d'aimer ? Ou comment garderons-nous ses commandements pour recevoir celui sans la possession duquel nous ne pouvons pas garder les commandements ? Faut-il penser qu'il y a préalablement en nous la charité par laquelle nous aimons le Christ de telle sorte qu'en aimant le Christ et en observant ses commandements nous mériterions de recevoir l'Esprit Saint afin que, non pas la charité du Christ qui existait déjà en nous, mais la charité de Dieu le Père soit répandue dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné [Rm 5, 5] ? Cette manière de voir est vicieuse. En effet, celui qui croit aimer le Fils et qui n'aime pas le Père n'aime certainement pas non plus le Fils, mais une idole qu'il s'est fabriquée à lui-même. De plus, il y a cette parole de l'Apôtre : Personne ne dit : Jésus est Seigneur si ce n'est dans l'Esprit Saint [I Cor, 12, 3], et qui, sinon celui qui l'aime, déclare Jésus Seigneur s'il le déclare au sens où l'Apôtre veut qu'on le comprenne ?
[…]
Il reste donc la solution qui consiste à comprendre que celui qui aime possède l'Esprit Saint et qu'en le possédant, il mérite de le posséder davantage et, en le possédant davantage, d'aimer davantage. Les disciples possédaient donc déjà l'Esprit que le Seigneur leur promettait et sans lequel ils ne le disaient pas Seigneur, et pourtant ils ne le possédaient pas encore de la manière que le Seigneur le leur promettait. Ils le possédaient donc et ils ne le possédaient pas, eux qui ne le possédaient pas encore autant qu'ils auraient dû le posséder. Ils le possédaient un peu, il allait leur être donné davantage ; ils le possédaient d'une manière cachée, ils allaient le recevoir d'une manière visible, car cela même relevait d'un don plus grand du Saint-Esprit qu'ils découvrent ce qu'ils possédaient." (Tract. 74, 1-2)
Mais paroles également mystérieuses : "Est-ce que en restant ici-bas [le Christ] ne pouvait pas envoyer [l'Esprit] ?" (Tract. 94, 4). De fait ces paroles signifient "Vous ne pouvez pas recevoir l'Esprit Saint tant que vous persistez à connaître le Christ selon la chair" :
"Le Christ s'éloignant corporellement de ses disciples, non seulement le Saint-Esprit, mais le Père et le Fils furent avec eux spirituellement. Car, si le Christ s'est séparé d'eux de telle manière que le Saint-Esprit serait en eux à sa place, et non pas avec lui, que devient la promesse qu'il leur a faite : Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation du siècle [Mt 28, 20], et encore : Nous viendrons à lui, moi et le Père, et nous ferons chez lui notre demeure [Jn, 14, 23], alors qu'il a promis d'envoyer le Saint-Esprit de façon qu'il soit aussi avec eux à jamais [Jn 14, 17] ? Et donc, quand de charnels ou de psychiques, ils seraient devenus spirituels, ils posséderaient avec une plus grande capacité et le Père, et le Fils, et le Saint-Esprit. Il ne faut pas croire en effet que le Père est en qui que ce soit sans le Fils et le Saint-Esprit, ou le Père et le Fils sans le Saint-Esprit, ou le Fils sans le Père et le Saint-Esprit, ou le Saint-Esprit sans le Père et le Fils, ou le Père et le Saint-Esprit sans le Fils, mais là où est l'un d'entre eux, là est la Trinité qui est un seul Dieu. Il fallait cependant que la Trinité soit exprimée de telle sorte que, bien qu'il n'y ait en elle aucune diversité de substances, soit pourtant mise en valeur la distinction des personnes là où, pour ceux qui comprennent justement, ne peut jamais être vue une séparation des natures." (Tract. 94, 5)
A propos de "Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, mon Père l'aimera, nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure" (Jn 14, 23), Augustin a effectivement insisté pour qu'on n'imagine pas que Dieu viendrait Père et Fils sans l'Esprit :
"De plus, pour que personne n'en vienne à penser que, seuls, le Père et le Fils, sans le Saint-Esprit, font leur demeure chez ceux qui les aiment, qu'on se rappelle ce qui a été dit plus haut de l'Esprit Saint : Le monde ne peut pas le recevoir parce qu'il ne le voit pas et qu'il ne le connaît pas, mais, vous, vous le connaîtrez parce qu'il demeure chez vous et qu'il sera en vous [Jn, 14, 17]. Vous le voyez, le Saint-Esprit fait, avec le Père et le Fils, sa demeure dans les saints, c'est-à-dire à l'intérieur d'eux, comme Dieu dans son temple. Le Dieu Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, viennent à nous tandis que nous venons à eux, ils viennent en nous secourant, nous venons en leur obéissant, ils viennent en nous illuminant, nous venons en les contemplant, ils viennent en nous comblant, nous venons en accueillant leurs dons de telle sorte que la vision que nous avons d'eux n'est pas pour nous extérieure, mais intérieure, et que leur demeure en nous n'est pas transitoire, mais éternelle." (Tract. 76, 4)
Une autre façon d'approcher le mystère de la Trinité est donnée à travers le Tract. 99 : Pour Dieu, nous dit Augustin, il n'y aucune différence entre connaître, voir, entendre, on pourrait dire encore qu'il n'y a aucune différence entre dire, connaître, aimer, être…. Alors que pour l'homme toutes ces activités ou les états souvent sont séparés : on peut dire ce qu'on ne connaît pas, on peut voir sans connaître, etc. Pour Dieu c'est tout un : il n'y a pas connaissance sans amour, Dieu est Amour etc. On ne peut pas plus séparer des "personnes" qui seraient l'une la Parole, l'autre l'Amour, etc. (Tract. 99). Cette unité divine est encore montrée à propos de l'Amour (en particulier commentaire de Jn 16, 27 mais aussi de I Jn 4, 19) :
""…le Père vous aime parce que vous m'avez aimé [Jn 16, 27]…" mais "nous aimons parce que lui nous a aimés le premier" [I Jn 4, 19]. Ce qui a donc fait que nous aimions, c'est que nous avons été aimés. Aimer Dieu est entièrement un don de Dieu. Lui qui nous a aimés sans être aimé nous a donné de l'aimer. Nous qui lui déplaisions, nous avons été aimés afin qu'il y ait en nous de quoi lui plaire.
En effet, nous n'aimerions pas le Fils si nous n'aimions pas aussi le Père. Le Père nous aime parce que nous aimons le Fils, alors que nous avons reçu du Père et du Fils d'aimer et le Père et le Fils. L'Esprit des deux répand en effet dans nos cœurs la charité et par cet Esprit nous aimons le Père et le Fils et nous aimons cet Esprit avec le Père et le Fils…" (Tract. 102, 5).
A partir du Tract. 104 commence le commentaire de la "prière sacerdotale" (Jn 17) : la prière de Jésus à son Père avant qu'il ne s'avance vers la mort :
On citera ici en rappel Jn 17, 1-3 :
Père, l'heure est venue: glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie
et que, selon le pouvoir que tu lui as donné sur toute chair, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés!
Or, la vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ.
Augustin commente dans le Tract 105, 3 (2) :
"Or, la vie éternelle c'est qu'ils vous connaissent, vous le seul Dieu véritable et Celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ (Jn 17, 3). Voici l'ordre logique de cette phrase : "Afin qu'ils connaissent que vous et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ, est le seul vrai Dieu.". Le Saint-Esprit est ici nécessairement compris, parce qu'il est l'Esprit du Père et du Fils, et comme l'amour substantiel et consubstantiel de ces deux personnes divines. Le Père et le Fils ne sont pas deux dieux, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas trois dieux, mais la Trinité tout entière ne fait qu'un seul vrai Dieu. Et cependant le Père n'est pas le même que le Fils, ni le fils le même que le Père, ni le Saint-Esprit le même que le Père et le Fils ; le Père, le Fils et le Saint-Esprit font trois personnes distinctes, mais la Trinité ne fait qu'un seul Dieu. Si donc le Fils vous glorifie "comme vous lui avez donné le pouvoir sur toute chair", si vous l'avez revêtu de ce pouvoir afin qu'il donne la vie éternelle à tous ceux que vous lui avez donnés "et que la vie éternelle consiste à vous connaître", le Fils vous glorifie en vous faisant connaître à tous ceux que vous lui avez donnés. Or, si la connaissance de Dieu est la vie éternelle, plus nous avançons dans la connaissance de Dieu, plus aussi nous avançons vers la vie éternelle. La mort n'a plus d'accès dans la vie éternelle, la connaissance de Dieu sera donc parfaite lorsque la mort sera complètement détruite."
Augustin reprend alors ses explications sur la Trinité, en partant des relations entre le Père et le Fils :
Le Père est glorifié parce que le Fils l'a fait connaître à tous les hommes
Ce passage sur la glorification du Père répond au passage du Tract. 63 sur la glorification du Fils (au moment où sort Judas) : annonce directe de la Résurrection qui va pouvoir s'accomplir : cf. Jn 13, 31 : "Maintenant le Fils de l'homme a été glorifié et Dieu a été glorifié en lui." Avec le commentaire d'Augustin :
"C'est de cette glorification que l'Evangéliste avait déjà parlé, comme je l'ai rappelé un peu auparavant, en disant que l'Esprit n'avait pas encore été donné de manière nouvelle aux croyants auxquels il devait être donné de cette manière après la Résurrection parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié (Jn 7, 39) c'est-à-dire parce que sa mortalité n'avait pas encore été revêtue d'immortalité." (Tract. 63, 3)
Noter une nouvelle fois l'association de l'Esprit. Le commentaire de Jn 17, va s'achever avec le Tract. 111 par une nouvelle évocation de la Trinité (commentaire de la fin de la prière de Jésus à son Père (Jn 17, 24-26)) :
Père, ceux que tu m'as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, afin qu'ils contemplent ma gloire, que tu m'as donnée parce que tu m'as aimé avant la fondation du monde.
Père juste, le monde ne t'a pas connu, mais moi je t'ai connu et ceux-ci ont reconnu que tu m'as envoyé.
Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître, pour que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux et moi en eux.
St Augustin écrit :
"… il est impossible que le Père tout-puissant n'accomplisse pas le désir exprimé par son Fils tout-puissant, car avec le Père et le Fils se trouve l'Esprit saint, éternel comme eux, Dieu comme eux, l'unique Esprit du Père et du Fils et l'essence même de leur volonté. Nous lisons, il est vrai, qu'aux approches de sa passion, le Sauveur dit à son Père : "Cependant non comme je veux, mais comme vous voulez" (Mt, 26, 39) et semble indiquer une différence entre la volonté du Père et la volonté du Fils ; mais c'est la voix de notre infirmité, toute fidèle qu'elle est, que notre chef a prise sur lui, lorsqu'il s'est chargé du poids de nos péchés. Or cette piété doit croire ici, sans difficulté, ce que notre faiblesse ne nous permet pas encore de comprendre, c'est que le Père et le Fils n'ont qu'une seule et même volonté, comme ils n'ont qu'un seul et même Esprit, et que la réunion de ces trois personnes forme la Trinité divine." (Tract. 111, 1)
4. Après la Résurrection
Il fallait s'attendre à ce qu'Augustin souligne la présence trinitaire lorsque, le soir de Pâques, Jésus retrouve ses disciples et souffle sur eux :
"Les disciples donc se réjouirent à la vue du Seigneur. Il leur dit de nouveau : La paix soit avec vous. (Jn 20, 21). Cette répétition est une confirmation de ce qu'il leur a dit, car c'est lui qui ajoute à la paix la paix promise par le Prophète. Comme mon Père m'a envoyé, leur dit-il, je vous envoie. Nous savons que le Fils est égal à son Père, mais nous reconnaissons ici le langage du Médiateur. Il nous montre, en effet, qu'il est médiateur en leur disant : Mon Père m'a envoyé, et moi je vous envoie. Et après qu'il eut dit ces paroles, il souffla sur eux et leur dit : Recevez le Saint-Esprit (Jn, 20, 22). En soufflant sur eux, il leur enseigne que l'Esprit saint n'est pas seulement l'Esprit du Père, mais qu'il est aussi le sien. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis, et ceux à qui vous les retiendrez, ils seront retenus (Jn, 10, 23). La charité de l'Eglise que le Saint-Esprit répand dans nos cœurs remet les péchés de ceux qui entrent en participation de cette divine charité, mais elle les retient à ceux qui n'y ont aucune part. Aussi, après leur avoir dit : "Recevez l'Esprit-Saint", il parle aussitôt du pouvoir de remettre et de retenir les péchés." (Tract. 121, 4)
Conclusion
Que dire pour conclure ?
On retiendra d'abord de ces divers commentaires qu'ils n'ont pas tant pour but de nous faire comprendre un mystère inépuisable que de nous faire méditer profondément sur ce mystère de la Trinité pour que nous en vivions, que nous en soyons pénétrés.
Augustin reviendra à maintes reprises sur les difficultés de langage que nous rencontrons. Les Trois sont inséparables, mais pour les faire connaître, l'Ecriture parle d'eux séparément !
"Toute la Trinité […] parle et enseigne, mais la faiblesse humaine serait absolument incapable de la saisir si les Trois n'étaient pas aussi mis en valeur individuellement. Comme la Trinité est absolument inséparable, on ne connaîtrait donc jamais son existence si l'on parlait toujours d'elle d'une manière inséparable car, lorsque nous disons le Père, et le Fils, et le Saint-Esprit, nous ne les nommons pas évidemment ensemble alors qu'eux-mêmes ne peuvent pas ne pas être ensemble." (Tract. 77, 2)
Le Christ tout au long de sa vie nous a révélé la Trinité. L'Evangile de Jean est sans doute celui où est le plus présent le "je" qui s'adresse au Père (tu), en parlant de l'Esprit.