La vraie liberté
Saint Jean de Saint Denis
Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen !
L'apôtre Paul en son épître compare la loi du Sinaï et la loi de la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ à l'esclavage et à la liberté. Il nous dit : «Celui qui est sous la loi est esclave, fils de l'esclave, celui qui est dans la grâce de notre Seigneur est libre, fils d'une femme libre». Ainsi pose-t-il devant nos yeux le problème de la liberté.
Il nous enseigne que le centre de notre rédemption est dans la libération et que si notre conduite n'est pas celle d'hommes libres, nous ne sommes pas réellement disciples du Christ et demeurons encore sous le joug de la loi.
Mais de quelle liberté parle-t-il ? Il me semble entendre le dialogue suivant : Liberté démocratique, liberté d'opinions, de conscience, ces «libertés chéries», tant prônées au siècle dernier, où nous ont-elles menés, si ce n'est à un chaos terrible ! La pensée s'est éloignée de la pensée traditionnelle et vraie, chacun a tiré à soi, et sur le plan social ces libertés ont formé une société a-sacrale mal bâtie. Elles ont plutôt engendré l'égoïsme, l'individualisme accentué, le manque de conscience de l'unité du monde. Et l'on arrive à croire que nous n'avons que faire de ces libertés, porteuses de désordre et d'anarchie, que la liberté qu'elles veulent exprimer n'est qu'une utopie. Où ira le monde si chacun agit selon «sa» liberté et sa conscience. Où ira-t-il ?
Et l'autre de répondre : La liberté est tentante car la Loi écrase. Les sociétés trop bien organisées nous pèsent, la dictature et l'autorité nous diminuent. Elle est singulièrement attirante, la liberté ! Mais la voyons-nous enfanter l'élévation de l'âme... ? Elle provoque plutôt les passions. Alors, pourquoi, pour quelle raison l'homme, bien que votant pour l'ordre, l'organisation, les lois, la tradition rigide, reconnaît-il qu'elle est une nécessité, pourquoi languit-il après la liberté des enfants du Royaume de Dieu ? Cette nostalgie persiste en lui, il en est tout désorienté. Il refuse d'abandonner la liberté et raisonnablement en constate le danger. Il parvient alors à une solution relative, un compromis sans vertu.
Où réside le malentendu ? Sommes-nous réellement appelés à la liberté ? Sans aucun doute ! Le Christ est venu libérer les prisonniers, avant tout ceux de l'enfer, puis les prisonniers du péché, de la mort, du diable, de la loi, de la lettre. Il est notre Libérateur. S'il est le Libérateur, ou bien Il s'est montré utopiste en nous conférant cette liberté fauteuse de désordre, ou bien avons-nous mal compris la liberté du Christ ? Nous touchons la réponse.
La liberté si fréquemment annoncée au cours des derniers siècles, n'était pas la délivrance. Elle a voulu libérer l'homme socialement, intellectuellement, sentimentalement, pensant qu'elle était viable.
La libération progressive de la créature humaine n'est pas, en premier lieu, sur le plan social, sentimental ou intellectuel; elle consiste en la maîtrise de soi-même etdes passions intérieures. A quoi bon la liberté extérieure si le péché enchaîne l'âme intérieurement ?
La liberté intègre apparaît lorsque chacun de nous se libère lui-même en Christ, c'est-à-dire des passions, de l'égoïsme, de l'ignorance, des préjugés, des idées fausses.
Non, mes amis, les chrétiens ne sont pas les hérauts de la liberté extérieure, mais ceux de la conquête intérieure ouvrant en nous le règne de l'Esprit. Voici le parfum du Carême : la délivrance progressive de notre être intérieur.
La liberté, quelle monstruosité si le meurtre est tapi dans le cœur ! Imaginez le résultat : voyez-vous la haine, l'indifférence - que sais-je encore - ayant la possibilité de se manifester ?
Que faire alors ? La faute de ceux qui prêchent la liberté extérieure est de supposer l'homme parfait, alors qu'il est pécheur. La faute des autres est de ne plus croire en leurs frères, de s'appliquer à les enchaîner par des lois, à les mépriser comme pécheurs en oubliant qu'ils sont à l'image de Dieu et que l'Esprit Saint a fait en eux sa demeure. Faux idéalisme ou faux mépris, ignorance du péché ou méconnaissance de la grâce ?
Le disciple du Christ ressent la profondeur du péché et la dureté des chaînes intérieures. Il sait que le Carême lui est offert pour lui enseigner à discerner les fautes les plus cachées, pour en prendre conscience, les combattre en Christ, et il sait en même temps qu'il est déjà délivré par son Christ en tant qu'enfant de Dieu.
Le miracle de l'évangile d'aujourd’hui où le Christ nourrit cinq mille personnes avec cinq pains, multipliant la nourriture de telle sorte qu'il en reste douze corbeilles pleines, cette multiplication des pains, image de l'Eucharistie, est aussi la réponse au diable. Souvenez-vous du premier dimanche de Carême ; Satan propose à notre Seigneur : «Vois-Tu cette foule, elle Te suivra si Tu fais de ces pierres des pains, nourris-la ! Alors, attachée à ta Personne, ayant reçu du pain, elle acceptera ta doctrine spirituelle, l'évangile de ton Royaume». Et le Christ lui répond : «L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de la Parole qui sort de la bouche de Dieu» (Mt 4, 1-4).
L'évangile d'aujourd’hui donne l'application de cette réponse au prince d'iniquité. Le Christ nourrit tout d'abord cette foule immense de la parole divine, et cette foule immense Le suit, L'écoute durant des heures et des heures, oubliant la faim physique. Ce n'est qu'ensuite que Dieu accomplit le miracle proposé par Satan et rassasie de pain toutes ces créatures rassemblées autour de son enseignement.
Quelle est la différence radicale entre la pensée du démon et celle du Seigneur ? Le Christ met en première place sa confiance en nous, Il nous traite en enfants de la liberté dont la nourriture est le Pain céleste, cependant que notre ennemi voulait commencer par la chair, insinuant qu'on parlerait ensuite de l'esprit...
Ne commençons jamais par l'extérieur. Libérons-nous de la passion et la société sera libre. Déchirons les liens de la fausse doctrine diabolique, enracinons-nous dans la Vérité du Christ et nous pourrons alors apporter aux autres la liberté. Pressons-nous d'être des enfants de liberté, étant des enfants de la grâce, piétinant, ainsi que le dit la prière, «la tête des dragons invisibles». Pressons-nous sur la route du Carême, l'âme délivrée, à la rencontre de Celui qui est notre Libérateur, le Christ notre Sauveur.
Amen !