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7 juillet 2010 3 07 /07 /juillet /2010 05:28

. Une visite à Sainte-Sophie : « La voûte du ciel au-dessus de la terre » (1923).


Hier, pour la première fois dans ma vie, j'ai eu le bonheur de voir Sainte-Sophie. Dieu m’a accordé cette grâce et il ne m’a pas laissé mourir sans avoir eu une vision de Sainte-Sophie et je le remercie pour cela. J'ai éprouvé une telle félicité céleste que cela a submergé, si ce n'est que pour un moment, tous mes chagrins et les ennuis actuels et les a rendus insignifiants[1]. Sainte-Sophie a été révélée à mon esprit comme quelque chose d'absolu, allant de soi, irréfutable. De toutes les belles églises que j'ai vues, c'est la plus merveilleuse, l'Église universelle. Les mots de hymne pascale résonnaient dans mon esprit : « Sion, regarde tout à l’entour : voici tes enfants qui viennent jusqu’à toi de l'occident, de l’aquilon, de la mer et de l’orient comme des astres radieux. »

La langue de l'homme ne peut pas exprimer la légèreté, la clarté, la simplicité, l'harmonie extraordinaire qui dissipe complètement le sens de la pesanteur, la lourdeur de la coupole et des murs. Une mer de lumière se déverse de par le haut et domine tout cet espace clos et pourtant libre. La grâce des colonnes et la beauté de leurs dentelles de marbre, la dignité royale – pas le luxe, mais régal – des murs dorés et de la décoration merveilleuse : il séduit et fait fondre le cœur, il dompte et convainc. Il crée un sentiment de transparence interne ; la lourdeur et les limites du petit moi souffrant disparaissent ; le moi n’est plus et l'âme est guérie, se perd dans ces arches et se fusionne en eux. Il devient le monde : je suis dans le monde et le monde est en moi. Et cette sensation du poids sur le cœur qui s’évapore, de la libération de la force de gravité, d'être comme un oiseau dans le ciel bleu, donne, non pas le bonheur, ni même la joie, mais le ravissement. C'est le ravissement d’une certaine connaissance absolue de tout en tout et de tout en soi, de la plénitude infinie dans la multiplicité, du monde dans l'un.

C'est en vérité la Sophia, l'unité réelle du monde dans le Logos, la co-inhérence de tous avec tous, le monde des idées divines. C'est Platon baptisé par le génie hellénique de Byzance – c’est son monde, son royaume élevé vers laquelle les âmes montent afin de contempler les Idées. La Sophia païenne de Platon se voit reflétée dans la Sophia chrétienne, la Sagesse divine. En vérité, le temple de Sainte-Sophie est la preuve et la manifestation artistiques et tangibles de la nature sophianique du monde et de la nature cosmique de la Sophia. Ce n'est ni le ciel ni la terre, mais la voûte du ciel au-dessus de la terre. Nous percevons ici ni Dieu ni homme, mais la divinité, le voile divin jeté sur le monde.

Comme était juste le sentiment de nos ancêtres dans ce temple, comme ils avaient raison en disant qu'ils ne savaient pas si ils étaient dans le ciel ou sur la terre[2] ! En effet, ils n’étaient ni au ciel ni sur terre, ils étaient à Sainte-Sophie – entre les deux : c'est le metaxu de l'intuition philosophique de Platon. Sainte-Sophie est le dernier témoignage silencieux du génie grec pour les siècles à venir : une révélation en pierre. Les Byzantins décadents étaient incapables de la saisir et de l'exprimer en termes théologiques, et pourtant elle a vécu dans leurs cœurs comme la plus haute vérité, conçue dans l'hellénisme et devenue manifeste dans le christianisme.

Et ce n'était pas par hasard que c'est ici, dans le temple de Sainte-Sophie, que la divine symphonie sophianique du culte orthodoxe, inspirée par elle, a pris forme et a résonné dans la plénitude de la beauté. Ici, on comprend à nouveau toute la puissance convaincante du témoignage de saint Justin Martyr (dont il ne saisissait pas lui-même le plein sens), que Socrate et Platon étaient chrétiens avant le Christ ; car Platon fut le prophète de la Sophia dans le paganisme.

L'église de Sainte-Sophie est le domaine des idées de Platon en pierre, s'élevant au-dessus du chaos du non-être et la soumettant par la persuasion : le plérôme actuel, comme un tout unique, comme la pan-unité. Ici, elle est manifestée et montrée au monde. Ô Seigneur, combien sainte, combien merveilleuse, combien précieuse cette manifestation !


[1] Au début de 1923 Constantinople a été le premier port d’arrêt du père Serge Boulgakov, qui venait d’être expulsé, avec sa femme et ses enfants, de l’Union soviétique par Lénine. En 1918, il avait perdu son poste de professeur à l’université de Moscou parce qu’il avait été ordonné prêtre. Il avait alors trouvé un poste d'enseignement en Crimée. (ndlr)

[2] Allusion à la Chronique de Nestor, le plus ancien récit historique russe. Les émissaires envoyés par le roi Vladimir (Xesiècle) pour enquêter sur la foi orthodoxe sont revenus éblouis par l’expérience de la liturgie à Saint-Sophie et ils disaient qu’ils ne savaient plus s’ils étaient au ciel ou sur terre. (ndlr)

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Published by Eglise Orthodoxe de France : Cathedrale St Irenee - dans Enseignement spirituel

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