02/08/2010 19:00 La Croix
Le gouvernement turc vient d’annoncer un assouplissement des mesures administratives imposées aux évêques relevant du Patriarcat œcuménique de Constantinople à l’étranger. Cette décision, prometteuse, doit néanmoins être accueillie avec prudence
Certes, cette question est loin d’être à l’ordre du jour – l’actuel patriarche n’est âgé que de 70 ans – mais la main tendue d’Ankara est de bon augure pour l’Église de Constantinople, considérablement affaiblie par la laïcité turque en l’espace de quelques décennies. La loi impose en effet que le patriarche soit citoyen turc, né et formé en Turquie.
Or, l’Église orthodoxe ne compte plus que 3 000 fidèles dans ce pays à majorité musulmane, contre 300 000 au début du XXe siècle, réduisant de fait le panel de prétendants à la succession patriarcale. Pour l’heure, seuls 14 archevêques de ce Patriarcat ont la citoyenneté turque, dont Bartholomeos. Mais selon l’agence Reuters, dix-sept autres viennent d’en faire la demande…

Une décision attendue depuis plusieurs mois

C’était d’ailleurs l’une des demandes pressantes de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui a adopté en janvier une résolution invitant la Turquie à « reconnaître la personnalité juridique du Patriarcat orthodoxe œcuménique d’Istanbul » et à « trouver une solution en vue de la réouverture de l’école théologique grecque orthodoxe de Heybeliada (séminaire de Halki) ».

Restituer les biens confisqués aux orthodoxes

La réouverture – non encore programmée – de Halki reste l’une des revendications principales du Patriarcat de Constantinople. Des milliers d’autres biens, terrains et bâtiments confisqués ici et là aux orthodoxes sous prétexte d’inoccupation attendent aussi d’être restitués…
Prudence, donc, estime Sébastien de Courtois, historien spécialiste des minorités en Turquie : « Une porte a été ouverte, mais il faut voir si cela sera suivi d’effets. Ce n’est pas la première annonce de ce type. » Par ailleurs, « la naturalisation d’évêques étrangers suffira-t-elle à permettre à l’un d’eux de devenir patriarche, dans la mesure où la loi actuelle impose que ce dernier soit né en Turquie ? » s’interroge le chercheur. Les Turcs ont toujours « considéré légitime de pouvoir décider des conditions de succession et du statut du Patriarcat », explique-t-il. C’est aussi pour cette raison qu’Ankara refuse de reconnaître le titre de patriarche « œcuménique » (c’est-à-dire de primauté universelle) à Bartholomeos Ier.

Maintenir le dialogue avec l'administration

Les élections législatives prévues pour juillet 2011 sont attendues avec une certaine fébrilité du côté orthodoxe et des autres minorités chrétiennes : un changement de cap politique pourrait en effet compromettre ces avancées… Mais un mouvement de fond semble bel et bien engagé : « Ces évolutions ne sont pas forcément étrangères aux mutations que vit la Turquie depuis un certain temps », analyse de son côté Carol Saba, le porte-parole de l’AEOF.
« Sur le plan interne, la laïcité reste la question centrale, entre la laïcité radicale et une laïcité plus ouverte intégrant une expression plus présente de l’islam dans un cadre démocratique. » Selon lui, la Turquie vit par ailleurs un « tournant » dans sa politique étrangère, sous la houlette de son ministre des affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, artisan d’une politique « néo-ottomane » qui capitalise sur la position géostratégique centrale de la Turquie entre l’Europe, le Moyen-Orient et le grand espace turcoman en Asie.

La Turquie, un « facilitateur stratégique »

Ce rôle pourrait, à terme, lui attirer les faveurs de l’Europe, ajoute Carol Saba, à condition que les virages soient bien négociés et que les évolutions annoncées au plan interne, notamment sur la question des minorités, soient suivies d’actes concrets : « La Turquie est comme un millefeuille. Si elle parvient à opérer une synthèse positive entre toutes les strates qui la composent, alors elle pourra évoluer vers une forme de laïcité positive. »
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François-Xavier MAIGRE |