Dynamique panorthodoxe
et ce synode orthodoxe antiochien qui vient
Carol Saba
Traduction de l'article publié le 15 août 2010 dans la page dominicale "Religion" du quotidien national An Nahar (Beyrouth, Liban)
Le Saint-Synode de l'Eglise grec-orthodoxe d'Antioche se réunit ce 17 août 2010 au monastère patriarcal Saydnaya qui se dresse d'une manière orthodoxe depuis l'an 547 sur une des collines surplombant les profondeurs syriennes, à 25 km de Damas. Beaucoup de sujets sont invités sur la table de ce synode "
carrefour
". De nombreuses questions et défis aussi qu'il convient "d'approcher" avec audace et vision ecclésiales, constantes essentielles du témoignage orthodoxe d'Antioche dans cet Orient et dans le monde.
La période qui est la nôtre est une période "carrefour". Elle est pleine de défis divers ayant des facettes multiples et variées. Défis sur le plan du témoignage "antiochien", réalité et vision d'avenir. Mais aussi défis sur le plan de la dynamique panorthodoxe de l'Eglise, qui se trouve "en mouvement". La roue des Eglises orthodoxes dans le monde tourne en effet de nouveau. Le sommet des primats des Eglises orthodoxes autocéphales tenu à Istanbul au siège du Patriarcat oecuménique de Constantinople en octobre 2008, a instauré une dynamique de rapprochement et d'interaction entre toutes les Eglises orthodoxes. Le communiqué final de la rencontre a cherché ainsi à affirmer la parole et l'action orthodoxes dans le monde d'aujourd'hui, précisant les critères et les ingrédients nécessaires pour un témoignage orthodoxe capable de faire face aux multiples défis du monde d'aujourd'hui. Cela n'est point étonnant. Le monde autour de ces Eglises bouge aussi et comporte beaucoup d'évolutions géopolitiques, sociales er économiques qui redessinent les valeurs de nos sociétés et nous imposent à tous, une réévaluation et une étude précise des problématiques de l'époque actuelle afin de proposer une approche capable de faire face aux défis du monde actuel. C'est ainsi que les préparatifs du futur saint et grand concile 2
panorthodoxe dont l'idée a été initiée lors des rencontres de Rhodes en 1961 au temps du pontificat de feu le patriarche Athénagoras de Constantinople et qui réunira toutes les Eglises orthodoxes locales déployées dans le monde, ont été remises à l'ordre du jour. Cette nouvelle impulsion a donné lieu à plusieurs rencontres fructueuses des commissions représentants toutes les Eglises orthodoxes, dont Antioche, à Chambésy prés de Genève en juin et décembre 2009. Des décisions importantes y ont été prises en ce qui concerne l'organisation du travail des Eglises orthodoxes présentes dans les pays de la "diaspora". Ceci a entraîné la constitution ici et là, de plusieurs "assemblées des évêques orthodoxes" dans différents pays d'Europe, du Canada et des Amériques du Nord et du Sud.
Toutes les Eglises orthodoxes sont désormais, avec leurs charismes divers, en contact et en continuité. Cette dynamique fonde une nouvelle époque de coopération constructive après la période passive qui a suivi la chute du camp soviétique. Certaines de ces Eglises ont beaucoup soufferts là bas de la pensée et de l'action athée de ce bloc. Une période de convalescence s'imposait afin de reprendre la situation interne de ces Eglises et de renouveler la bonne circulation ecclésiale dans le corps de l'Eglise. Le renouveau récent opéré à la tête de certaines d'elles, outre la réorganisation du cadre de leur action et des charismes qu'elles comportent, constitue une impulsion nouvelle au soutien de cette dynamique de renouveau. Daniel pour l'Eglise en Roumanie en 2007, Jérôme II en Grèce en 2008, Cyrille 1er en Russie en 2009, et Irénée en Serbie en 2010.
Nous vivons aussi par ailleurs, une amélioration palpable des relations entre Moscou et Constantinople. Une telle amélioration entre ses deux pôles orthodoxes importants a une influence bénéfique sur l'ensemble de l'Eglise orthodoxe. Car quand les nuages planent au dessus des relations entre Moscou et Constantinople, il pleut sur l'ensemble de l'Eglise orthodoxe ! Dans ce cadre, la visite du patriarche oecuménique de Constantinople, Bartholomée 1er, au Patriarcat de Moscou en mai dernier a été historique sur plusieurs registres et il semble qu'elle ait remplacé le cycle de "compétition" entre ces deux Eglises, en cycle de "coopération" constructif. Quant au Patriarcat de Constantinople, le siège historique du primat d'honneur entre les primats des Eglises orthodoxes locales, il parait que certaines questions qui demeuraient en suspens depuis plusieurs années, trouvent leur chemin vers une certaine résolution, positive. L'Etat turc aurait pris dernièrement certaines mesures qui faciliteraient l'action du Patriarcat oecuménique à Istanbul, comme par exemple la possibilité d'accorder la nationalité turque 3
aux évêques du Patriarcat de Constantinople qui se trouvent à l'étranger. Ce qui faciliterait au moment venu, l'élection d'un nouveau patriarche, primat de l'Eglise de Constantinople. L'Eglise dans ce pays se trouve aussi toujours en attente de la réouverture du séminaire théologique de "Chalki", fermé par les autorités turques depuis 1971, et de la restitution de plusieurs propriétés de l'Eglise, qui avaient été confisquées auparavant. Il semblerait aussi que la cathédrale Sainte-Sophie accueillerait prochainement une divine liturgie. Une première depuis plusieurs décennies depuis la chute de Constantinople. Par ailleurs, la scène panorthodoxe connait une dynamique de visites réciproques et de rencontres entre les primats et patriarches des Eglises locales qui dessinent un horizon de coopération au lieu et place des horizons de compétition entres ces Eglises ici et là. Les limites de cette dynamique de coopération arrivent même jusqu'à l'Eglise catholique où il est question, au plus haut niveau, de la constitution d'un département de la mission pour soutenir une action missionnaire qui s'adresserait à des pays traditionnellement chrétiens où la foi chrétienne serait en danger. L'Eglise orthodoxe de Russie s'associe en effet à ce souci missionnaire. Le métropolite Hilarion (Alfayev), responsable du département des affaires étrangères du Patriarcat de Moscou, aurait en effet déclaré en mai dernier lors d'une rencontre avec le Pape Benoit XVI à Rome, son soutien en faveur d'une sainte alliance entre les deux Eglises. "
L'Eglise catholique ne sera pas seule dans la nouvelle évangélisation de l'Europe déchristianisée, parce qu'elle aura à côté d'elle l'Eglise russe "non plus en tant que concurrente mais en tant qu'alliée1
." On n'oublie pas non plus dans ce cadre, les préparatifs soutenus et élargis pour la tenue du synode des Eglises d'Orient de l'Eglise catholique en octobre prochain autour de la question des chrétiens d'Orient.
1
"Naissance d'une sainte alliance entre Rome et Moscou
", par Sandro Magister, www.chiesa.espressonline.it.
Quant à Antioche, les regards et les pensées se tournent vers les pères et métropolites membres du Saint-Synode de l'Eglise grec-orthodoxe d'Antioche, synode qui verra la participation de tous les métropolites du Patriarcat, Eglise mère et diaspora. Un synode qui me paraît être un véritable synode "carrefour" tellement sont grands, les défis internes et externes qui entourent l'Eglise d'Antioche. Il est important en effet de continuer à oeuvrer, avec conscience et discernement, pour que l'Eglise ne chavire pas et pour qu'elle ne devienne pas une "communauté parmi les communautés", soumise aux multiples influences opposées et variées ! Plusieurs défis "carrefours" 4
sont aujourd'hui présents et influencent notre vécu ecclésial en Orient et notre témoignage pour le Christ ressuscité des morts. De la nécessité de développer l'ecclésiologie de "communion" dans la gouvernance de l'Eglise à tous les niveaux, dans les textes et dans la pratique, à travers une synergie édifiante et constructive entre les membres des deux sacerdoces, de service et royal. En passant par la nécessité de faire sortir l'Eglise de l'équation de la "conservation" de ce qui existe, vers l'équation du "témoignage audacieux". Puis, la nécessité de développer et de renouveler les cadres de la pastorale, des diaconies et des charismes multiples pour permettre un dialogue audacieux et différencié avec le monde d'aujourd'hui, que ce soit dans la politique, l'économie, la culture, la sociologie, la communication et les médias … non pas selon une équation qui consiste à se "colorer" des couleurs du monde mais sur la base de l'équation évangélique : "
vous êtes le sel de la terre et la lumière du monde". L'Eglise orthodoxe d'Antioche comporte en effet en elle un grand héritage, un patrimoine très varié, une tradition apostolique vivante, une pensée théologique et un charisme ecclésial très riche qui font que le "témoignage antiochien", est un témoignage de "lien", de "contact" et de "liaison". C'est en cela que réside le charisme de la martyria d'Antioche au sein du plérôme de l'Eglise, pour la transfiguration du monde. La grande question qui demeure cependant posée aujourd'hui consiste à savoir comment dépasser les contingences et les influences opposées multiples au sein de cette Eglise et comment relier et pousser vers l'avant la grande diversité, les capacités précieuses, les charismes multiples et les riches éléments qui la composent et la constituent. Là réside à notre sens, le rôle essentiel, d'inspiration et d'initiative, du Saint-Synode, pour mettre en place un cadre de rencontres clérico-laïques, programmées et élargies, qui regrouperaient les charismes et les capacités avec pour objectif d'étudier les multiples défis, les approcher d'une manière "orthodoxe" et les traduire dans une "feuille de route" ecclésiale et méthodologique, venant au soutien d'un témoignage orthodoxe antiochien, agissant et efficace, au centre des problématiques du monde d'aujourd'hui et de ses défis. Les choix ne sont pas multiples mais binaires. Soit l'Eglise d'Antioche est l'Eglise du témoignage vrai du Christ ou elle ne l'est pas. Soit son témoignage est basé sur la tradition antiochienne orientale qui se distingue et se définie par une solidité de la foi et une défense persistante de la doctrine orthodoxe selon une intelligence des situations capables de s'adapter aux variations conjoncturelles des époques, ou bien il ne l'est pas. Car le charisme d'Antioche au sein du plérôme de l'Eglise est fondé sur cette prise de conscience des chrétiens de leur identité "en Christ" ("C'est à Antioche qu'ils ont été nommés chrétiens pour la première fois
"), c'est-à-dire 5
leur prise de conscience et leur discernement qu'ils sont "
au Christ
" et à lui seul. Et c'est ainsi que doit être Antioche l'orthodoxe, qu'elle doit parler et oeuvrer. Ni plus ni moins !
Carol Saba
Beyrouth, Dimanche 15 août 2010, commémoration de la fête de la Dormition de la Mère de Dieu.