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par Vladimir Lossky
et archimandrite Pierre L’Huillier
Et en l’Esprit Saint, Seigneur,
qui donne la vie,
qui procède du Père,
qui est adoré et glorifié avec le Père et le Fils,
qui a parlé par les prophètes.
Après avoir proclamé sa foi en la personne et l’œuvre de Notre Seigneur Jésus-Christ, l’Église exprime sa croyance en la troisième Personne de la Sainte Trinité. Les Pères du Ier Concile œcuménique avaient seulement rappelé la foi de l’Église dans l’existence du Saint Esprit ; cela s’explique par le fait qu’ils avaient surtout porté leur attention sur la doctrine de la divinité du Verbe, point sur lequel se heurtaient l’orthodoxie catholique et l’arianisme. Cependant les développements de la controverse au cours du IVe siècle ne pouvaient manquer de toucher la pneumatologie, parce que non seulement les ariens niaient la divinité du Saint Esprit, mais aussi certains chrétiens, qui rejetaient la doctrine arienne concernant le Verbe, n’admettaient point la divinité et la consubstantialité de l’Esprit. Aussi les Pères de cette époque durent défendre la doctrine orthodoxe concernant la troisième personne de la Sainte Trinité et par voie de conséquence les relations intra-trinitaires. Le deuxième Concile œcuménique, réuni à Constantinople en 381, réitéra la condamnation de l’arianisme sous toutes ses formes et il flétrit en particulier l’hérésie de Macédonius, qui niait la divinité du Saint Esprit. Si les Pères de l’Église ont alors affirmé clairement la pleine divinité de la troisième Personne de la Sainte Trinité, néanmoins, pour ne pas effaroucher certains conservateurs qui étaient hostiles à toute expression nouvelle, même si elle exprimait d’une manière adéquate la croyance constante de l’Église, les termes de « Dieu » et de « consubstantiel » ne furent pas insérés dans l’article du Credo concernant le Saint Esprit. Celle prudence porta ses fruits et en fait l’hérésie des « pneumatomaques » (c’est-à-dire ceux qui « combattent l’Esprit ») fut écrasée et la terminologie trinitaire exprimant la croyance de l’Église fut définitivement fixée.
La foi chrétienne sur le Saint-Esprit comme personne distincte de la Sainte Trinité a son fondement dans la révélation néo-testamentaire et en premier lieu dans ces mots de Notre Seigneur : Allez enseigner tontes les nations les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit (Mt 27, 19).
L’Ancien Testament connaissait certes l’Esprit de Dieu comme force agissante et, dans la vision des prophètes, la fin des temps est caractérisée par l’effusion de cet Esprit (cf. Is 44, 3 et Jl 2, 28), mais c’est dans le Nouveau Testament que le Verbe et l’Esprit sont connus comme personnes.
Sans renoncer en aucune façon au monothéisme strict de la révélation du Sinaï et tout en affirmant le principe de l’unité numérique de l’Être divin, le christianisme confesse que ce monothéisme n’est pas unipersonnel mais trinitaire.
Cette progression dans l’approche du mystère divin est bien mise en lumière dans un admirable passage de saint Grégoire de Naziance : « L’Ancien Testament, écrit-il, a clairement manifesté le Père, obscurément le Fils. Le Nouveau Testament a révélé le Fils et a insinué la divinité de l’Esprit. Aujourd’hui l’Esprit vit parmi nous et il se fait plus clairement connaître. Car il eut été périlleux, alors que la divinité du Père n’était point reconnue, de prêcher ouvertement le Fils, et, tant que la divinité du Fils n’était point admise, d’imposer, si j’ose dire, comme surcharge, le Saint Esprit... Il convenait bien plutôt que, par des additions partielles, et, comme dit David, par des ascensions de gloire en gloire, la splendeur de la Trinité rayonnât progressivement... Le Sauveur connaissait certaines choses qu’il estimait que ses disciples ne pourraient encore porter, bien qu’ils fussent pleins déjà d’une doctrine abondante... et il leur répétait que l’Esprit, lors de sa venue leur enseignerait tout. Je pense donc qu’au nombre de ces choses était la divinité elle-même du Saint Esprit » (Orat. 31-theol. V, 24-26).
Dans la Sainte Trinité, la source de la divinité est le Père de qui le Fils tient son essence par génération et l’Esprit par procession. C’est pourquoi, en conformité avec l’enseignement du Sauveur lui-même (Jn 15, 26), le Symbole affirme que le Saint Esprit procède du Père. La différence entre le Fils et l’Esprit, quant au mode d’être (tropos tês hyparxeôs) implique une distinction hypostatique ; l’Église insiste sur ce point, mais en même temps les Saints Pères confessent l’impossibilité pour l’esprit humain de comprendre en quoi consiste cette différence. Saint Grégoire de Naziance écrit : « Tu demandes ce qu’est la procession du Saint Esprit ? Dis-moi d’abord ce qu’est l’innascibilité du Père. Alors à mon tour j’expliquerai la génération du Fils et la procession du Saint Esprit. Ainsi serons-nous frappés tous les deux ensemble de folie pour avoir voulu scruter le mystère de Dieu » (Orat. 31, 8).
Saint Jean Damascène note d’une manière concise : « Aucun effort d’intelligence ne peut nous livrer le comment de la génération et de la procession » (De fide orth. 1, 8). En Occident, par contre, la théologie scolastique a essayé de donner une explication de la génération et de la procession a partir des analogies psychologiques. Il est vrai que saint Augustin avait déjà usé de cette méthode, seulement l’évêque d’Hippone n’y avait jamais vu autre chose que des comparaisons pour permettre à l’esprit humain une certaine approche du mystère trinitaire et non pas une explication rationnelle des relations intra-divines ; il écrit d’ailleurs : « Quant à la différence qu’il y a entre la génération et la procession, je ne sais, ni ne puis ni ne suffis » (C. maxim. 11, 14).
L’Église orthodoxe considère comme l’expression adéquate et suffisante de sa foi la formule « procédant du Père ». Face aux hérétiques qui affirmaient que l’Esprit n’était qu’une créature, les défenseurs de l’Orthodoxie mettent l’accent sur le fait que le Saint Esprit tient directement son existence du Père ; c’est en ce sens due saint Grégoire de Naziance déclare : « L’Esprit Saint qui procède du Père, du fait même qu’il en procède, n’est pas une créature » (Orat. 31, 8).
En Occident, la théologie trinitaire a partir du Ve siècle a pris une autre direction : pour corroborer la divinité du Fils contre l’arianisme et pour souligner la relation entre le Saint Esprit et le Fils, on a commencé a affirmer, sporadiquement d’abord, systématiquement ensuite, que le Saint Esprit procède du Père et du Fils (filioque). Parallèlement au développement de cette conception, en Espagne d’abord, puis en Gaule et en Germanie on ne craignit point d’altérer le symbole universel de foi en y ajoutant le terme Filioque. Rome désapprouvait cette addition. Mais au début du XIe siècle, alors que la papauté était entièrement sous la coupe des empereurs germaniques, l’interpolation fut introduite à Rome même. Cela était doublement condamnable, premièrement parce que cette addition exprimait une doctrine sans fondement dans la Révélation, deuxièmement parce que la modification du texte du Credo avait été faite unilatéralement par l’Église d’Occident en violation du principe catholique de conciliarité.
Si l’Esprit Saint procède du Père seul, il ne s’en suit pas qu’il soit étranger au Fils ; c’est pourquoi saint Jean Damascène écrit : « Nous disons aussi que le Saint-Esprit procède du Père et nous l’appelons l’Esprit du Père, nous ne disons pas qu’il procède du Fils, mais qu’il est l’Esprit du Fils » (De fide orth. 1, 8). Dans l’admirable symbole de saint Grégoire de Néo-Césarée (IIIe s.), nous lisons : « Et un seul Esprit-Saint, tenant de Dieu [c’est-à-dire du Père] son existence et manifesté aux hommes par le Fils, Image parfaite du Fils parfait, vie cause des vivants, source sainte, sainteté produisant la sanctification, dans lequel est révélé Dieu le Père qui est sur tout et en tout, et le Fils par qui tout (est) ». Ainsi si dans l’ordre ontologique et éternel l’Esprit procède du Père, dans celui de la mission, il est manifesté par le Fils : « Nous confessons, écrit saint Jean Damascène qu’il (i. e. le Saint Esprit) nous est donné et manifesté par le Fils » (De fide orth., ibid.).
L’Esprit Saint est la source de toute sanctification : avant sa Passion, le Seigneur annonce la venue de l’Esprit et cette promesse s’est réalisée lors de la Pentecôte. La vie de l’Église n’est rien d’autre que cet événement perpétué en particulier par les sacrements. C’est la présence de l’Esprit Saint qui distingue fondamentalement dans son comportement l’Église de toute autre société et lui donne une sereine assurance au milieu des difficultés.
L’Esprit Saint est la force agissante dans la sanctification de chaque chrétien : c’est à cause de la réception de la grâce de l’Esprit Saint que nous pouvons crier, en nous adressant à Dieu, Abba, Père(Rm 7,15 et Ga 4,6). C’est pourquoi saint Paul appelle le Saint-Esprit, l’Esprit d’adoption : L’Esprit lui-même porte témoignage avec notre esprit que nous sommes enfants de Dieu (Rm 8, 16).
Nous confessons dans le Credo que l’Esprit est Vivificateur parce que la grâce qu’il communique nous rend réellement participants de la nature divine (2 P 1, 4). Cela ne doit pas être interprété dans un sens panthéiste, mais il faut aussi se garder de vider l’Écriture de sa vraie signification en entendant cette expression comme une métaphore : c’est pourquoi l’Église orthodoxe, pour sauvegarder la doctrine de la transcendance de Dieu et en même temps affirmer la possibilité de la déification de l’être créé, enseigne fermement la distinction entre l’essence incommunicable de Dieu et les énergies divines accessibles à l’homme. C’est cette grâce déifiante qui illumine déjà en ce siècle ceux qui par l’ascèse s’arrachent aux vanités de ce monde et c’est cette grâce qui après la seconde parousie transfigurera l’ensemble du cosmos et manifestera la victoire du Christ, unissant dans la lumière et l’amour la créature au Créateur.
En l’Église, une, sainte, catholique et apostolique.
En présentant l’Église comme objet de foi, le Credo nous rappelle qu’elle n’est pas simplement la réunion des croyants, mais a une place éminente dans l’histoire du salut. Durant son ministère terrestre, notre Seigneur Jésus Christ annonce que lui-même en sera le fondateur (Mt 15,18) et de nombreux textes néo-testamentaires proclament que le Christ en est le chef (ex. Éph 1,22). Le terme grec ekklèsia se trouve employé dans l’Ancien Testament pour rendre l’hébreu qahal, qui désigne le rassemblement d’Israël et l’appel de Dieu ; c’est ainsi qu’on lit dans le Deutéronome :N’oublie pas tous les discours que tes yeux ont vus... le jour où vous vous êtes présentés devant le Seigneur votre Dieu à l’Horeb, au jour de l’Église, lorsque le Seigneur me dit : Assemble (ekklèsiason) -moi le peuple et qu’ils entendent mes paroles... Et il vous annonça le testament qu’il vous ordonna d’accomplir, les dix paroles, et il les écrivit sur deux tables de pierre... (Dt 4,9-13). Le terme qahal-ekklésia se retrouve pour désigner les assemblées solennelles du peuple à Jérusalem. Ce qu’il faut donc retenir, c’est que le terme n’est jamais employé dans un contexte profane ; ceci est conforme à son usage dans le Nouveau Testament et dans l’ancienne littérature chrétienne, aussi bien lorsqu’il désigne telle communauté locale que lorsqu’il désigne l’ensemble des croyants. D’ailleurs on trouve souvent l’expression l’Église de Dieu (ex. 1 Co 1,2).
L’Église est désignée dans le Credo comme étant Une, Sainte, Catholique et Apostolique. Ces caractéristiques de l’Église constituent un tout inséparable, car elles s’appellent l’une l’autre ; tout en étant distinctes, on ne saurait faire abstraction de l’une d’entre elles, autrement dit la non-possession ou la mutilation de l’une d’entre elles affecte les autres, par exemple la conception orthodoxe de l’unité est liée à une certaine compréhension de catholicité. Ce n’est pas en vain que saint Cyprien de Carthage intitule son ouvrage dirigé contre les dissidents De l’unité de l’Église catholique.
Lorsque l’on aborde la doctrine de l’Église, il faut se garder des imprécisions et des notions ambiguës. Deux extrêmes sont à écarter : d’une part une conception trop spirituelle de l’Église qui évacuerait toute la réalité sociale et institutionnelle sous prétexte d’éviter le formalisme, d’autre part un institutionnalisme trop marqué qui prétendrait asservir le domaine spirituel. En fait, d’ailleurs, ces deux excès peuvent se rejoindre, comme c’est le cas dans des ecclésiologies où l’on admet une certaine dualité entre l’Église spirituelle des élus d’un côté, et les communautés institutionnelles de l’autre.
L’Église est Une : Notre Seigneur Jésus Christ n’a fondé qu’une Église, à laquelle il a promis assistance et qui est de plein droit la gardienne du message évangélique. Cette affirmation était dans l’antiquité, comme elle l’est encore de nos jours pour les chrétiens restés fidèles à la tradition une vérité axiomatique. Il ne saurait avoir plusieurs églises puisqu'il ne peut y avoir plusieurs vérités. Il est vrai que l’on parle quelquefois au pluriel des « Églises » pour désigner les communautés locales, conformément à ce qui était déjà l’usage à l’époque apostolique, mais cette pluralité locale n’implique pas davantage la multiplicité que la célébration en de nombreuses places de la Liturgie eucharistique n’implique une division quelconque du Christ. Il en va tout autrement lorsqu’on emploie le terme « Église » pour désigner des communautés chrétiennes dissidentes ; dans ce cas il n’a pas une signification théologique spéciale, mais le terme désigne seulement une société religieuse chrétienne (il n’entre pas dans notre sujet de traiter des rapports entre l'Église orthodoxe et les communautés chrétiennes hétérodoxes ; nous devons seulement préciser que nous n’entendons nullement nier l’existence d’une « ecclésialité » plus ou moins grande dans chacune des confessions dissidentes ; toutefois un tel sujet ne saurait être abordé, même superficiellement, en quelques lignes).
Lorsque nous disons que l’Église est une, nous l’entendons dans toute la force du terme. Cette unité est d’abord dans le temps : l’Église d’aujourd’hui est dans son essence la même que celle des Apôtres et des saints Pères des premiers siècles. Elle est ensuite dans l’espace : les Églises locales qui professent la pure foi orthodoxe et conservent fidèlement la succession apostolique sont en communion entre elles et ont le même chef, qui est le Christ.
L’Église est Sainte. Nous avons vu quel était dans les Saintes Écritures le sens du terme qahal-ekklésia : l’Église est donc sainte parce que, fondée par le Christ, elle est au service exclusif de Dieu. Elle est la fiancée toute resplendissante, sans tache ni ride ni rien de tel, mais sainte et immaculée (Éph 5,27). Clément d’Alexandrie (IIIe s.) écrit ces lignes pleines de profondeur : « Si l’on appelle sacré soit Dieu lui-même, soit l’édifice élevé à sa gloire, comment n’appellerait-on pas sacrée par excellence l’Église devenue sainte pour la gloire de Dieu selon la connaissance ? N’est-elle pas le sanctuaire tout à fait digne de Dieu, non pas préparé par le travail des ouvriers, ni orné par la main des artistes, mais édifiée en temple par la volonté de Dieu ? » (Stromates VII,5,23). Sainte par sa vocation, l’Église est porteuse de la grâce que l’Esprit ne cesse de verser sur elle depuis le jour de la Pentecôte. Cette grâce est communiquée à chacun de ses membres par le baptême d’abord, puis par les autres sacrements : la vie dans l’Église est une vie en Christ et rien d’autre, et à cause de cela cette vie est toujours une ascèse qui exclut toute passivité, car il appartient à chacun de réaliser la potentialité qui lui est donnée par son appartenance à l’Église Corps du Christ.
L’Église est Catholique : Si en grec, dans la langue profane, ce terme ne signifie rien d’autre qu’universel, il a pris dans celle de l’Église une coloration particulière : la catholicité est un attribut que l’Église possédait alors qu’elle ne groupait qu’une poignée de disciples palestiniens, autant que de nos jours alors qu’elle est répandue dans les cinq continents. La Bonne Nouvelle du salut apportée en Jésus Christ l’est pour toute l’humanité (Mt 27,19-20). En Christ, sont abolies les différences de race et culture, comme l’écrit saint Paul : Aussi bien n’y a-t-il pas de distinction entre Juif et Grec : tous ont le même Seigneur, riche envers tous ceux qui l’invoquent (Rm 10,12). Cette universalité ecclésiale est une plénitude où, conformément à la doctrine chrétienne orthodoxe, chaque personne a la possibilité de s’épanouir car l’opposition de la partie et du tout est surmontée dans l’Église, dont la vie reflète celle de la Divinité une et trine à la fois. La catholicité est aussi la négation du particularisme sectaire ; c’est même cet aspect qui est le plus mis en valeur dans les plus anciens textes patristiques où l’on trouve employé l’adjectif « catholique ». C’est ainsi que l’on trouve dans la suscription du Martyre de saint Polycarpe (IIe s.) la formule : « L’Église de Dieu qui séjourne à Smyrne, à l’Église de Dieu qui séjourne à Philomène, et à toutes les communautés du monde appartenant à la sainte Église catholique... ». Au milieu du IIe siècle, à la question du juge, le martyr Pionius répond qu’il est chrétien ; mais cette réponse est jugée incomplète et lorsqu’on lui demande à quelle église il appartient, Pionius répond : « à l’Église catholique ». Le terme de catholique caractérise ici la véritable Église fondée par le Christ. C’est le sens que l’on retrouve invariablement dans les documents conciliaires en particulier dans le décret dogmatique des Pères du premier Concile œcuménique (325).
L'Église est Apostolique : Elle l’est parce qu’elle est bâtie sur le fondement des apôtres et elle garde fidèlement le message du Seigneur transmis par les apôtres ; en ce sens « apostolicité » est synonyme d’« authenticité ». C’est pourquoi l’apostolicité dans son sens plénier ne peut appartenir qu’à l’Unam Sanctam qu’est l’Église orthodoxe. La continuité matérielle dans la succession apostolique est une condition nécessaire mais nullement suffisante ; les successeurs légitimes des apôtres sont les évêques qui gardent fidèlement la doctrine apostolique. C’est à eux que revient le droit de proclamer la parole de vérité et d’interpréter la Tradition ; ce sont eux qui, individuellement et collectivement, détiennent le pouvoir d’enseigner (potestas docendi). Les évêques successeurs des apôtres, et les prêtres, leurs délégués, offrent au nom de l’Église la victime immaculée, car à eux s’adresse aussi la parole du Sauveur : Faites ceci en mémoire de moi (Lc 22,19). Ils ont le pouvoir de lier et de délier et la charge de paître le troupeau spirituel qui leur est confié par Dieu. Il n’y a jamais eu de doute dans l’Église orthodoxe sur le fait que l’épiscopat appartient non pas aubene esse [« bien-être »] ou au plene esse [« plénitude »] de l’Église mais à sa nature [esse] même. C’est pourquoi saint Ignace d’Antioche va jusqu’à écrire qu’il faut « regarder l’évêque comme le Seigneur lui-même » (Lettre aux Éphésiens V,1). Cela ne veut pas dire pourtant que l’évêque possède un pouvoir arbitraire, car il doit lui-même être attaché à la Tradition de l’Église et être en communion visible avec l’ensemble de l’épiscopat orthodoxe auquel appartient la plénitude du pouvoir, conformément à la structure conciliaire de l’Église héritée de la communauté apostolique. D’autre part si, en vertu du charisme doctoral inclus clans la succession apostolique, les évêques légitimes ont la prérogative exclusive d’expliciter officiellement la croyance constamment professée par l’Église et comme corollaire le pouvoir d’excommunier les hérétiques, c’est à tout le peuple chrétien qu’il appartient de défendre la Foi contre toute déformation. C’est d’ailleurs dans l’union des pasteurs et de tout le peuple chrétien fidèles au message du Seigneur et à la Foi apostolique que se manifeste l’unité catholique de la Sainte Église de Dieu.
Je confesse un seul baptême pour la rémission des péchés.
Cet article du Credo nous rappelle l’origine baptismale de la profession de foi. Proclamer qu’il n’y a qu’un seul baptême pour la rémission des péchés, c’est reconnaître que l’adhésion au Christ dans l’Église est l’unique voie assurée du salut. Dans l’antiquité, le sacrement du baptême était généralement conféré à des adultes qui étaient auparavant initiés à la doctrine chrétienne. En demandant à recevoir le baptême, les néophytes avaient conscience que ceci constituait la rupture avec leur vie antérieure. Aujourd’hui, sauf dans les pays de mission, il n’en est plus de même, les enfants étant généralement baptisés dès leur plus jeune âge afin de pouvoir participer il la vie chrétienne, conformément à la parole du Sauveur : Laissez venir à moi les petits enfants (Lc 17,16). Dans les deux cas, la récitation de cet article du Credo constitue un renouvellement des promesses faites soit directement, soit par l’intermédiaire du parrain ou de la marraine, lors du baptême. Dans la Liturgie, le Credo est justement lu ou chanté avant le commencement de l’anaphore (Anaphora signifie en grec « oblation » ; dans la langue liturgique, ce terme désigne aussi la partie centrale de la Liturgie eucharistique ; cela correspond dans la Messe romaine an canon, en y incluant la préface et le dialogue qui la précède).
À ce montent là, il constitue pour les fidèles réunis un rappel opportun des engagements baptismaux qui fait écho aux recommandations de saint Paul relatives à la Cène : Que chacun donc s’éprouve soi-même, et qu’il mange alors de ce pain et boive de celle coupe (1 Co 9,28).
Dans le Credo, l’article sur le baptême vient immédiatement après celui concernant l’Église et cette disposition est logique puisqu’il n’y a pas d’autre moyen d’entrer dans la communauté ecclésiale fondée par le Christ que la réception du baptême. Ainsi ce sacrement est a l’origine de toute vie chrétienne ; il marque la naissance spirituelle et comme nous l’avons dit au début, cela implique initialement une rupture avec tout ce qui n’appartient pas au Royaume de Dieu ; il ne peut y avoir de compromis. Nul ne petit servir deux maîtres ; ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre (Mt 6,24 ; cf. Lc 16,13). L’apôtre Paul écrit aux Romains : Ignorez-vous que baptisés dans le Christ Jésus, c’est dans sa mort que tous nous avons été baptisés ? Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, connue le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions nous aussi dois une vie nouvelle… Si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui, sachant que le Christ une fois ressuscité des morts ne meurt plus, que la mort n’exerce plus de pouvoir sur lui. Sa mort fut une mort au péché une fois pour toutes ; mais sa vie est une vie à Dieu. Et vous de même. regardez vous comme morts au péché et vivants pour Dieu dans le Christ Jésus (Rm 6,3-4 et 8-11).
Dans le rite baptismal, l’accent est bien mis sur les deux phases, celle de la rupture et celle de l’adhésion : « Renonces-tu à Satan, et à toutes ses oeuvres, et à tous ses anges, et à tout son culte et a tout te sa pompe ? » et plus loin : « Te joins-tu au Christ ? » Dans l’antiquité chrétienne, chaque portion du rite baptismal était chargée de symbolisme : on peut même dire que cela était poussé jusqu’au raffinement. Mais certains aspects de ce symbolisme dépassaient largement ceux d’un simple allégorisme : l’Église les a soigneusement gardés, quand bien même ils ne sont plus parfaitement compris par beaucoup aujourd’hui : les Pères, dans leurs catéchèses baptismales, insistaient sur le dépouillement du vieil homme de même que le revêtement d’une tunique blanche rappelle la pureté acquise par la réception du sacrement.
On sait que l’Église orthodoxe, sauf exceptions dûment motivées, confère toujours le baptême par immersion : c’est par là, en effet, que se manifeste la signification de ce sacrement. Nous lisons dans les Constitutions apostoliques cette prière pour sanctifier l’eau des fonts baptismaux : « Sanctifie cette eau afin que ceux qui sont baptisés soient crucifiés avec le Christ, meurent avec lui, soient ensevelis avec lui, et ressuscitent avec lui pour l’adoption ». Commentant les trois immersions qui figurent le triduum pascal, saint Cyrille de Jérusalem (IVe siècle) écrit ces lignes admirables : « Ô chose étonnante et paradoxale ! Nous ne sommes pas morts en réalité, et nous n’avons pas été enterrés en réalité, et nous ne sommes pas, après avoir été crucifiés, ressuscités en réalité. Mais l’imitation se fait en image, le salut, lui, en réalité. Le Christ a été réellement crucifié, et réellement mis au tombeau, et il est réellement ressuscité. Et toutes ces choses ont été accomplies par amour pour nous, afin que, ayant part par l’imitation à ses souffrances, nous obtenions en réalité le salut ». On comprend dès lors que ce n’est pas par un pur attachement au passé que l’Église orthodoxe est restée fidèle à l’antique manière d’administrer le sacrement du baptême : c’est à cause de toute la signification sacramentelle du rite. Il est certain que l’abandon du baptême par immersion entraîne un affaiblissement du symbolisme propre au sacrement.
Dans l’Église orthodoxe, la réception du baptême est régulièrement suivie de l’administration du sacrement de la chrismation, ce qu’en Occident on appelle la confirmation ; si, en effet, le baptême marque la naissance à la vie spirituelle, la chrismation affirme plus spécialement l’intégration à la communauté chrétienne par le charisme de l’Esprit Saint. Normalement l’initiation chrétienne s’achève par la participation à la Sainte Cène ; c’est pour le néophyte la pleine communion avec le Seigneur et la promesse de la participation au festin messianique dans le Royaume. C’est alors que s’achèvera le processus de transfiguration amorcé par le baptême et l’onction du chrême. Ainsi, l’initiation chrétienne unit les trois sacrements, baptême, chrismation, eucharistie, et, comme nous l’avons vu, cette connexion n’est nullement fortuite ; elle n’est pas, non plus, un rapprochement pratique de cérémonies ; elle répond, au contraire, à une signification profonde.
Dans le Credo. nous confessons unum baptisma. Il y a là une affirmation solennelle de l’unicité du baptême : saint Paul le déclare expressément aux Éphésiens : Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ; un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, par tous et en tous (Éph 4,5-6). De même que nous professons que notre Seigneur n’a fondé qu’une Église, de même nous confessons qu’il n’y a qu’un baptême, parce qu’unique et indivisible est la Sainte Trinité au nom de laquelle nous sommes baptisés selon l’injonction du Seigneur (Mt 28,19). C’est pour cela que l’Église ne renouvelle pas le baptême conféré dans son sein et qu’elle admet sans rebaptisation les hérétiques qui ont été validement baptisés au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, conformément au VIIe canon du IIe Concile œcuménique (381). La notion de validité est ici conditionné par une administration correcte du sacrement du point de vue de la matière et de la forme d’une part, et par l’appartenance chez celui qui a accompli le rite à une communauté chrétienne confessant le dogme de la Sainte Trinité.
Le baptême ne se réitère pas au cas où un chrétien renie sa foi et par la suite demande sa réintégration dans l’Église, car le signe de Dieu sur chaque baptisé demeure indélébile : l’inconduite d’un fils ne saurait dissoudre le lien qui l’unit à son père, de même le grand nombre et la gravité des péchés ne supprime pas la potentialité qui a été donnée au baptême. La voie de la pénitence reste toujours ouverte, comme notre Seigneur le rappelle dans la parabole de l’enfant prodigue.
Le baptême constitue un moment unique de la vie de l’homme, puisque par ce sacrement le baptisé est justifié devant Dieu, non par ses propres mérites, mais par l’appropriation de la réconciliation et du salut apportés en Jésus Christ. La malédiction qui pesait sur l’humanité depuis la faille originelle a été levée par le sacrifice du Verbe incarné : être baptisé, c’est être intégré à cette humanité rénovée dont le Christ, nouvel Adam, est le chef. Mais, en Christ, ce que nous acquérons c’est la liberté, avec tout ce qu’elle comporte, c’est-à-dire la possibilité pour nous d’une option. Lors de l’initiation chrétienne, la grâce divine vient en nous, mais c’est à nous qu’il revient de faire fructifier les talents qui nous ont été confiés. Si nous ne le faisons pas, le courroux divin s’abattra sur nous, comme nous l’enseigne la parabole évangélique (cf. Mt 25,26-30), mais celui qui accomplit les commandements divins est promis à l’ineffable mystère de l’union déifiante (2 P 1,4) : c’est la fin ultime dans laquelle se réalise pleinement la vocation de ceux qui ont été baptisés en Christ.
J’attends la résurrection des morts et la vie du siècle à venir.
Nous avons déjà dit précédemment combien l’élément eschatologique était fondamental dans le christianisme. C’est cette orientation vers une « fin » qui lui donne son caractère propre. Perdre cela de vue, c’est risquer de fausser intégralement le message évangélique, c’est réduire la Révélation à une éthique conformiste. Tandis que pour la philosophie hellénique, à cause de sa conception cyclique du temps, la résurrection des morts n’avait aucun sens, le christianisme, concevant d’après la Bible le temps comme linéaire, donne à cette croyance toute sa signification. On remarquera aussi, si l’on examine bien le cadre dans lequel elle est située, que l’idée platonicienne de l’immortalité de l’âme est très éloignée du dogme chrétien de la survie de l’homme.
Le symbole de foi emploie une expression extrêmement caractéristique : « J’attends la résurrection des morts ». En grec, le verbe employé est prosdokô ; il a un double sens qu’il est difficile de rendre en traduction : d’une part il évoque l’idée d’une attente subjective ; en l’occurrence cela se rapporte à l’attente impatiente des croyants dont nous trouvons l’écho à la fin de l’Apocalypse (Viens, Seigneur Jésus ! Ap 22, 20), d’autre part le verbe prosdokô a un sens objectif : savoir qu’un événement inéluctable, bon ou mauvais, va survenir. La résurrection n’est pas simplement tin pieux espoir, elle est une certitude qui conditionne la foi chrétienne. D’ailleurs, si elle étonnait les païens (Ac 17,32), celle croyance paraissait normale à la plupart des Juifs (Jean 11,24), encore que les Sadducéens l’eussent rejetée. Elle trouvait ses fondements dans l’Ancien Testament (voir, par exemple, Éz 37,1-14). Ce qui est nouveau, dans la foi chrétienne. c’est que l’espoir de la résurrection bienheureuse est lié à l’œuvre rédemptrice de Jésus Christ : Je suis, dit Notre Seigneur à Marthe, la résurrection. Qui croit en moi, fût-il mort, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais (Jn 11,.25-26). C’est pourquoi l’apôtre Paul écrit aux Thessaloniciens : Nous ne voulons pas, frères, que vous soyez ignorants au sujet des morts ; il ne faut pas que vous vous désoliez comme les autres qui n’ont pas d’espérance (1 Th 4,13). Vraiment le christianisme est au sens fort une religion de l’espérance ; aussi l’héroïsme des martyrs de la foi n’a rien à voir avec, le calme des sages antiques devant le déclin inéluctable ; quoi de plus émouvant dans sa paisible assurance que la prière de saint Polycarpe sur son bûcher : « Seigneur, Dieu tout-puissant, Père de Jésus Christ, ton enfant bien-aimé et béni, par qui nous t’avons connu ; Dieu des anges et des puissances, Dieu de toute la création et de toute la famille des justes qui vivent en la présence ; je te bénis pour m’avoir jugé digne de ce jour et de cette heure, digne d’être compté au nombre de tes martyrs et de participer au calice de ton Christ, pour ressusciter à la vie éternelle de l’âme et du corps, dans l’incorruptibilité de l’Esprit Saint ».
Alors que dans le symbole de Nicée-Constantinople il est question de la « résurrection des morts », le vieux Credo romain (voir Introduction) parle de la « résurrection de la chair » afin de souligner le caractère très concret de cet événement ; toutefois le terme « chair » doit ici être entendu dans le sens de « personne », car nous savons par ailleurs que la chair et le sang ne peuvent hériter le Royaume de Dieu (1 Co 15,50). La résurrection pour la vie éternelle suppose une transformation, un passage de la corruptibilité à l’incorruptibilité (1 Co 15,51-54). Saint Paul affirme clairement à l’issue d’une série de raisonnements sur le continent de la résurrection : On sème un corps psychique, il ressuscite un corps spirituel (1 Co 15,11) ; certes le corps ressuscité et le corps enseveli sont le même sujet, mais leur mode d’être est différent. Pour bien comprendre cela, il ne faut pas perdre de vue ce que signifie pour saint Paul la catégorie du spirituel, qui est liée à celle du divin. Le corps spirituel c’est le corps transfiguré par la grâce. De même, en effet, que c’est en Adam que tous meurent, ainsi aussi c’est dans le Christ que tous seront vivifiés (1 Co 15,22). La Résurrection du Christ est la prémice de la résurrection des morts (ibid., 20). La vie du chrétien doit être pénétrée de cette certitude ; c’est pourquoi les croyants doivent dans ce siècle se conduire en enfants de lumière (Éph 5,8) ; la participation à la Sainte Eucharistie constitue les arrhes de la vie éternelle, comme cela est si souvent rappelé dans la Liturgie. C’est en effet dans le sacrement de l’Eucharistie que l’accent eschatologique est, peut-être, le plus fortement marqué ; la Sainte Cène est l’anticipation du festin messianique, dans le Royaume, auquel nous sommes tous conviés. La descente du Saint Esprit sur les Dons, lors de l’épiclèse, actualise l’événement de la Pentecôte et préfigure le triomphe de la seconde parousie. Le lien entre la Pentecôte d’une part, la seconde parousie et la résurrection générale d’autre part, est particulièrement souligné en Orient dans la Liturgie ; le samedi qui précède le dimanche de la Pentecôte est plus spécialement consacré aux défunts ; de même l’office de la génuflexion (le soir de la Pentecôte) comprend plusieurs allusions à la résurrection future, telle celle-ci : « Nous te rendons grâces en toutes choses, pour notre venue en ce monde et pour notre départ, qui, en vertu de ton infaillible promesse, fait naître en nous l’espérance de la résurrection et de la vie sans mélange, dont nous souhaitons jouir lors de ton futur avènement ».
Dans la résurrection générale qui marquera la fin de ce siècle, les chrétiens voient essentiellement la manifestation de la victoire du Christ, annoncée d’une manière certaine par la Résurrection du Seigneur à l’aube du troisième jour. Mais le « Jour du Seigneur » sera aussi celui du jugement ; nous savons que ceux qui auront fait le bien ressusciteront pour la vie, ceux gui auront fait le mal, pour la damnation (Jn 5,29). C’est la séparation définitive du bon grain et de l’ivraie. Il n’appartient à nul autre qu’au Seigneur lui-même de faire cette séparation et ce n’est qu’au jugement dernier qu’elle deviendra manifeste : alors, il n’y aura plus de mélange, car rien d’impur n’entrera dans le Royaume ; il n’y aura plus de possibilité de mutation : pour bien comprendre cela, il ne faut pas l’envisager dans une perspective affective. Au-delà du temps, il n’y aura que l’immuable ; la réprobation c’est l’éloignement de Dieu devenant éternel puisque extratemporel. La vocation de la créature, dans le dessein de Dieu, c’est la transfiguration, l’union déifiante. Dans la vie du « siècle à venir », tout ce qui sera éloigné de Dieu pourra être considéré comme mort : ce sera là la seconde mort, celle dont parle saint Jean dans l’Apocalypse (20,14) : cette mort, ce sera d’être oublié par Dieu : ceux qui n’auront pas voulu connaître Dieu, ne seront plus connus de lui. Ceux qui l’auront connu et servi resplendiront d’une gloire ineffable et sans déclin.
Le Credo commence par l’affirmation solennelle de la foi en Dieu. Mais cet acte de foi n’est pas simplement intellectuel, il suppose un engagement total : dans le Christ et par l’Esprit Saint, la vie du croyant est transformée, car le chrétien, bien que vivant en ce monde, n’est pas de ce monde, son regard est tourné vers le Royaume de la lumière, aussi le Credo s’achève par la confession radieuse de l’attente de la résurrection et de la vie du siècle à venir, où il n’y aura « ni douleur, ni tristesse, ni larmes ».