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19/03/2011 14:00
« Homme-femme, heureuse différence ou guerre des sexes ? »
Les conférences de Carême à Notre-Dame de Paris (2/6). Ce qui jusque-là allait de soi, l’importance du fait d’être homme ou d’être femme dans la constitution de l’identité, tend à devenir problématique. En s’appuyant sur la Révélation biblique, les chrétiens ont à réfléchir au sens de la différence sexuelle
« Homme-femme, heureuse différence ou guerre des sexes ? »
Les conférences de Carême à Notre-Dame de Paris (2/6). Ce qui jusque-là allait de soi, l’importance du fait d’être homme ou d’être femme dans la constitution de l’identité, tend à devenir problématique. En s’appuyant sur la Révélation biblique, les chrétiens ont à réfléchir au sens de la différence sexuelle
EXTRAITS
Olivier Rey
Philosophe
« Pour certaines personnes, c’est au nom du droit à la différence que toutes les options possibles et imaginables doivent être reconnues comme normales. Pour d’autres personnes, c’est au nom du fait que les différences, à bien y regarder, n’en sont pas vraiment. Le moment serait venu, assurent certains, de reconnaître que la frontière entre le masculin et le féminin ne passe pas entre les hommes et les femmes, mais à l’intérieur de chacun de nous.
Il y a, certes, cette persistante et irritante dissymétrie entre les sexes, qui veut que ce soit les femmes qui conçoivent les enfants, mais les travaux sur la possibilité de grossesse masculine, ou la mise au point de l’utérus artificiel, en viendront peut-être à bout. Alors la société sera délivrée de la distinction archaïque entre hommes et femmes, elle connaîtra seulement des êtres humains, tous bisexuels, enfin libres d’exprimer pleinement leurs diverses potentialités.
Le point de départ du raisonnement est exact : il y a du masculin et du féminin en chacun de nous. Malheureusement, un point essentiel est négligé par la suite?: c’est seulement à partir de la différence entre les sexes reconnue à l’extérieur que chacun est à même de se construire et de reconnaître les différences à l’intérieur de lui-même. Sans organisation externe, il n’y a qu’un magma interne.
Pour comprendre cela, il nous faut mesurer le rôle fondamental joué par la différence en question dans l’institution des sujets. Il n’est, par exemple, que de songer au langage, au sein duquel et par lequel le sujet, être de parole, se constitue. Dans la langue que nous parlons, nous n’avons pas de pronoms différents pour désigner les grands ou les petits, les jeunes ou les vieux, les proches et les étrangers, nos amis ou nos ennemis. Non ; pour évoquer une personne dont nous parlons nous n’avons que deux pronoms : «il», «elle». Le masculin, le féminin. Autrement dit, la différence sexuelle n’est pas une différence parmi d’autres. Elle est l’altérité qui permet de comprendre toutes les altérités.
En un premier temps, la différence paraît inconcevable : «Je ne comprends pas comment il est possible…» En un second temps, la différence est admise, et pourquoi : parce qu’il y a des garçons et des filles. C’est à partir de la part d’opacité que comporte chaque sexe pour l’autre qu’il est permis à un être humain d’admettre la part d’opacité que comporte chaque autre être humain. C’est à partir de la différence sexuelle que nous pouvons faire place à la différence, et comprendre que la différence n’est pas une objection à une vie en commun. Sans cet ancrage, toute différence deviendrait une occasion de scandale. On ne voudrait plus être qu’avec ceux qui nous ressemblent le plus, et les phénomènes de ségrégation ne feraient que se multiplier.
Il n’est que trop évident, assurément, que la différence sexuelle ne conjure pas les attitudes hostiles vis-à-vis de la différence, ni les conduites ségrégationnistes. Elle n’en demeure pas moins un point essentiel à partir duquel l’ouverture à l’altérité peut se faire.»
Olivier Rey
Philosophe
« Pour certaines personnes, c’est au nom du droit à la différence que toutes les options possibles et imaginables doivent être reconnues comme normales. Pour d’autres personnes, c’est au nom du fait que les différences, à bien y regarder, n’en sont pas vraiment. Le moment serait venu, assurent certains, de reconnaître que la frontière entre le masculin et le féminin ne passe pas entre les hommes et les femmes, mais à l’intérieur de chacun de nous.
Il y a, certes, cette persistante et irritante dissymétrie entre les sexes, qui veut que ce soit les femmes qui conçoivent les enfants, mais les travaux sur la possibilité de grossesse masculine, ou la mise au point de l’utérus artificiel, en viendront peut-être à bout. Alors la société sera délivrée de la distinction archaïque entre hommes et femmes, elle connaîtra seulement des êtres humains, tous bisexuels, enfin libres d’exprimer pleinement leurs diverses potentialités.
Le point de départ du raisonnement est exact : il y a du masculin et du féminin en chacun de nous. Malheureusement, un point essentiel est négligé par la suite?: c’est seulement à partir de la différence entre les sexes reconnue à l’extérieur que chacun est à même de se construire et de reconnaître les différences à l’intérieur de lui-même. Sans organisation externe, il n’y a qu’un magma interne.
«L’altérité qui permet de comprendre toutes les altérités»
Prenons une image. Celle de l’oiseau évoqué par Kant – la colombe qui, sentant son vol freiné par la résistance de l’air, imagine qu’elle volerait mieux dans le vide. Mais dans le vide, la colombe ne pourrait pas décoller. De même, ceux qui imaginent que la reconnaissance sociale de la différence des sexes est une entrave à la liberté et à l’expression individuelle ne se rendent pas compte que cette différence est un des fondements de l’individu dont ils souhaitent l’apothéose.Pour comprendre cela, il nous faut mesurer le rôle fondamental joué par la différence en question dans l’institution des sujets. Il n’est, par exemple, que de songer au langage, au sein duquel et par lequel le sujet, être de parole, se constitue. Dans la langue que nous parlons, nous n’avons pas de pronoms différents pour désigner les grands ou les petits, les jeunes ou les vieux, les proches et les étrangers, nos amis ou nos ennemis. Non ; pour évoquer une personne dont nous parlons nous n’avons que deux pronoms : «il», «elle». Le masculin, le féminin. Autrement dit, la différence sexuelle n’est pas une différence parmi d’autres. Elle est l’altérité qui permet de comprendre toutes les altérités.
«La différence n’est pas une objection à une vie en commun»
On me pardonnera, j’espère, de rapporter ici une expérience personnelle, en l’occurrence le dialogue dont j’ai été témoin entre deux jeunes enfants, neveu et nièce, qui s’étonnaient que leur petit frère puisse dormir dans le jardin malgré le bruit de la tondeuse que leur père était en train de passer. Thomas dit à sa sœur Alice : «Je ne comprends pas comment il est possible de dormir dans un tel bruit.» Alice lui répond : «Moi non plus je ne pourrais pas…» Après un instant elle reprend : «Mais on est tous différents. Regarde, toi tu es un garçon, et moi une fille.» En quelques mots, tout est dit. La seule chose que je puisse faire, avec mes gros sabots d’adulte, c’est reformuler en termes abstraits ce qui ressort si clairement des propos d’une enfant de 8?ans.En un premier temps, la différence paraît inconcevable : «Je ne comprends pas comment il est possible…» En un second temps, la différence est admise, et pourquoi : parce qu’il y a des garçons et des filles. C’est à partir de la part d’opacité que comporte chaque sexe pour l’autre qu’il est permis à un être humain d’admettre la part d’opacité que comporte chaque autre être humain. C’est à partir de la différence sexuelle que nous pouvons faire place à la différence, et comprendre que la différence n’est pas une objection à une vie en commun. Sans cet ancrage, toute différence deviendrait une occasion de scandale. On ne voudrait plus être qu’avec ceux qui nous ressemblent le plus, et les phénomènes de ségrégation ne feraient que se multiplier.
Il n’est que trop évident, assurément, que la différence sexuelle ne conjure pas les attitudes hostiles vis-à-vis de la différence, ni les conduites ségrégationnistes. Elle n’en demeure pas moins un point essentiel à partir duquel l’ouverture à l’altérité peut se faire.»
Published by Monastère Orthodoxe de l'Annonciation
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