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25 juin 2011 6 25 /06 /juin /2011 07:32

Traduit par l'abbé J. DUCHASSAING

 

ANALYSE. Il n'y a point de véritables vierges parmi les hérétiques, parce qu'elles ne sont point chastes, n'étant pas épouses d'un seul, comme l'ordonne saint Paul. — En second lieu, elles n'embrassent la virginité que par horreur du mariage, qu'elles regardent comme un crime. — Elles ne peuvent donc prétendre à la même récompense que les vierges catholiques. — L'Apôtre, qui conseille la continence, n'en fait point un précepte, et les hérésiarques, qui s'éloignent de sa doctrine, placent leurs disciples dans une condition pire que celle des païens. — Enfin , la virginité des hérétiques est injurieuse à Dieu , car, ayant renoncé à la foi, leurs vierges ne sauraient avoir le coeur pur. — D'ailleurs, la profession de la virginité exige, pour être méritoire, une pleine liberté de se marier, ce qui ne se rencontre pas chez les hérétiques, qui réprouvent le mariage. — L'Église, au contraire, loue le mariage, et le regarde comme le port de la continence pour ceux qui veulent en bien user. — Quant aux personnes qui n'ont pas besoin de ce secours contre l'effervescence des passions, l'Église les exhorte à ne point se marier, mais elle ne le leur défend pas. — Elle ne condamne et ne chasse de son sein que ceux qui profanent la sainteté du mariage. — Car le mariage est bon, mais la virginité est bien meilleure, et elle lui est autant supérieure que les anges le sont aux hommes.

La virginité est avantageuse au catholique selon l'enseignement de l'Apôtre; et dans le plan premier de la création, elle devait seule régner sur la terre, car le péché, qui a été cause de la mort, l'a été également du mariage. — Adam et Eve ne lui doivent point la naissance, les anges n'ont point été multipliés par cette voie, et si nos premiers parents fussent demeurés fidèles, Dieu eût pourvu à la propagation du genre humain par un moyen qui nous est inconnu. — Aujourd'hui même le mariage n'est permis que pour remédier à l'incontinence, en sorte que l'Apôtre veut que les chrétiens, à l'exemple des juifs, s'en abstiennent certains jours, afin de mieux vaquer au jeûne et à la prière. — Mais si ce même apôtre dit que la continence est un don de Dieu, il n'exclut point la coopération de l'homme, et ne parle ainsi que par humilité. — L'auteur trace alors une vive et effrayante peinture des mariages mal assortis, et rappelle aux vierges, ainsi qu'aux veuves, qu'après avoir fait veau de continence, elles ne peuvent se marier sans pécher grièvement. — Il prouve ensuite que le mariage est avec raison appelé une chaîne, parce qu'il est une suite non interrompue de soins et d'inquiétudes, et surtout parce que le devoir conjugal soumet les époux l'un à l'autre. — Cette soumission est pour eux une obligation grave , et dont ils ne peuvent s'affranchir que momentanément et d'un mutuel consentement. — Il se trouvait aussi des vierges qui faisaient consister la virginité à ne point se marier, et qui du reste se permettaient les parures et les amusements du monde ; mais si elles imitent ainsi les vierges folles de l'Évangile, elles seront, comme celles-ci, exclues du royaume des cieux. — L'excellence de la virginité se montre surtout en ce qu'elle nous facilite l'exercice de la prière et des bonnes oeuvres. — Quelques-uns s'autorisaient du nom d'Abraham pour mettre le mariage au-dessus de la virginité, mais l'auteur montre que les apôtres sont plus élevés en gloire que ce patriarche ;et tout en avouant qu'un homme riche, marié et chargé d'affaires, peut mener une vie juste et vertueuse, il affirme que les exemples en sont rares. — Enfin, il termine en disant que dans la loi nouvelle on exige plus de perfection que dans l'ancienne, parce que les dons et les grâces du Saint-Esprit nous y sont donnés plus abondamment.

 

1. Les Juifs méprisent l'éclat et le mérite de la virginité : faut-il s'en étonner? ils ont abreuvé d'outrages le Christ, né d'une Vierge. Les Gentils l'admirent et la révèrent ; mais elle ne fleurit que dans l'Église de Dieu. Et qui pourrait en effet nommer vierges les filles des hérétiques? Elles ne sont point chastes, puisqu'elles se montrent infidèles à ce premier époux auquel l'Apôtre les avait unies. Je vous ai fiancées, dit-il, ainsi que des vierges chastes â un seul époux qui est Jésus-Christ. (II Cor. XI, 2.) Car, bien que cette parole puisse

s'appliquer à tous les fidèles qui composent le corps de l'Église, elle concerne spécialement les vierges chrétiennes. Comment celles qui osent donner à l'Époux divin un rival mortel, seraient-elles chastes? première raison pour que je leur refuse le titre de vierges; j'en ajoute une seconde : elles ne font profession de la virginité que par horreur du mariage qu'elles condamnent comme mauvais : principe qui détruit d'avance tout le mérite de leur virginité, puisque celui qui s'abstient d'un crime ne peut réclamer la palme et la (126) couronne, et n'a droit qu'à l'exemption du châtiment.

Telle est la base de toute législation. Le meurtrier, dit la loi, sera puni de mort, et le voleur subira la peine de son crime. Mais cette même loi ne décerne aucune récompense à ceux qui n'ont ni tué, ni volé. C'est ainsi encore que le législateur prononce la peine de mort contre l'adultère, sans se croire obligé d'honorer celui qui respecte la couche de son prochain. Eh ! qui blâmerait ces sages dispositions ! et qui n'avouerait que la louange et l'admiration doivent être le partage exclusif de la vertu, tandis que le facile courage de ne pas commettre un crime, est assez récompensé par l'exemption de tout châtiment. Aussi le divin Sauveur qui a menacé de l'enfer celui qui sans un légitime motif s'irriterait contre son frère, et l'appellerait fou (Matth. V, 22), n'a point promis le paradis à quiconque s'abstiendrait uniquement d'injures et de récriminations. Mais il a attaché sa promesse à de plus généreux efforts, par exemple à l'amour de nos ennemis. (Matth. V, 44.) Et en effet!,pour nous montrer de quel faible mérite est à ses yeux cet éloignement de toute animosité contre nos frères, il nous déclare que le degré supérieur qui consiste à les aimer, ne donne par lui-même aucun droit à la récompense céleste. Nous ne faisons rien en cela que ne fassent également les païens. C'est pourquoi une vertu plus haute et plus sublime peut seule mériter le ciel. Sans doute, nous dit-il, je ne vous condamne pas aux flammes de l'enfer, vous qui n'avez proféré contre votre frère ni injures, ni malédictions, mais ne croyez pas en avoir assez fait pour obtenir la couronne immortelle. Je ne saurais, en effet, me contenter de ces témoignages négatifs de haine, et lors même que vous y joindriez des marques de bienveillance et d'amitié, vous resteriez encore dans les rangs inférieurs, et parmi les publicains. Si vous voulez donc devenir parfaits, et acquérir le ciel, élevez-vous au-dessus de la nature jusqu'à cette générosité de coeur qui nous fait aimer nos ennemis.

Ces principes nous permettent de conclure qu'inutilement les hérétiques affligent leur chair, puisqu'ils n'en seront jamais récompensés; ce n'est pas que le Seigneur soit injuste , loin de nous cette pensée, mais c'est qu'ils sont aveugles et coupables. Et en effet n'avons-nous pas prouvé que l'abstention d'un crime ne donne droit à aucune récompense. Or, comme ils ne fuient le mariage que parce qu'ils l'estiment mauvais et criminel, ils ne sont pas plus admis à réclamer l'honneur et la gloire de la virginité que nous tous qui respectons l'intégrité du lit nuptial. Voici le langage que Jésus-Christ leur tiendra au jour du jugement : Je ne trouve en vous d'autre mérite que celui de n'avoir point commis le mal; et ce mérite est bien faible à mes yeux. Aussi n'introduirai-je dans l'héritage céleste que ceux qui n'ont négligé aucune vertu. Je m'étonne donc que vous qui repoussiez le mariage comme un acte mauvais et criminel, vous osiez prétendre aux récompenses de la chasteté. Ainsi parlera le souverain Juge qui placera les brebis à sa droite (Matth. XXV, 33), et les louera devant tous. Mais si les justes sont admis en son royaume, c'est moins pour n'avoir point ravi le bien d'autrui que pour s'être dépouillés eux-mêmes en faveur de leurs frères. Nous voyons encore dans l'Evangile que le maître loue le serviteur auquel il avait confié cinq talents de ce qu'il les a fait fructifier au double et non de ce qu'il ne les a pas dissipés. Jusqu'à quand, hérétiques, continuerez-vous donc de vous élancer inutilement dans la carrière, et de vous fatiguer dans une lutte où vos coups ne frappent que l'air. Et plût au ciel que tous vos efforts ne fussent qu'inutiles, quoique ce soit déjà un châtiment bien rigoureux que de voir la stérilité de ses travaux, et, après avoir ambitionné la plus sublime récompense, de ne recueillir que la honte et l'ignominie au jour où l'on avait espéré moissonner la gloire et l'honneur.

2. A cette inutilité de leurs fausses vertus, succéderont des tourments réels et terribles, le feu qui ne s'éteint pas, le ver qui ne meurt point, les ténèbres extérieures et toutes les peines de l'enfer. Aussi la parole de l'homme et même celle de l'ange sont-elles impuissantes à payer à Dieu le tribut de reconnaissance que nous lui devons pour sa bonté envers nous. Pourquoi? Parce que les sacrifices qu'exige la virginité nous sont moins pénibles qu'aux hérétiques, et combien les fruits en sont-ils différents pour eux et pour nous ! Le partage des vierges hérétiques sera la prison de l'enfer, les larmes, les gémissements et les supplices éternels; mais les enfants de l'Eglise posséderont la société des saints anges, les splendeurs (127) du ciel et la présence du divin Epoux qui est le résumé de tous les biens.

D'où vient un sort si dissemblable? c'est que pour les uns la virginité n'est qu'une révolte sacrilège contre Dieu , tandis que pour les autres cette même profession est l'accomplissement de sa volonté sainte. Car le Seigneur voudrait que tous les hommes fussent vierges, comme nous le dit l'Apôtre, ou plutôt comme nous le déclare le Christ qui parlait par sa bouche : Je voudrais que vous fussiez tous dans l'état où je suis moi-même. (I Cor. VII, 7.) Mais le Seigneur, qui est indulgent, et qui sait que l'esprit est prompt, et que la chair est faible, n'a point voulu nous prescrire impérieusement la virginité, et il en a laissé le choix à notre volonté ; et, en effet, si elle était une loi expresse et générale , les vierges n'auraient droit à aucune récompense. On leur dirait seulement : Vous avez fait ce que vous deviez faire. Quant à ceux qui auraient enfreint le précepte , ils subiraient la juste peine de leur désobéissance. Mais le Sauveur a dit : Que celui qui peut entendre, entende. (Matth. XIX,  2.) Il n'a donc point condamné ceux qui ne -se sentiraient pas le courage d'embrasser la virginité, et il a néanmoins ouvert aux autres une noble et illustre carrière. Aussi l'Apôtre, fidèle écho des pensées du divin Maître, nous dit-il : A l'égard de la virginité, je n'ai point reçu de commandement du Seigneur, mais voici le conseil que je donne. (I Cor. VII, 23.)

3. Mais ni Marcion, ni Valentinien, ni Manès, n'ont connu cette sage modération. C'est qu'ils ne parlaient pas au nom. du divin Pasteur qui compatit à la faiblesse de ses brebis, et qui donne sa vie pour leur salut. Ils n'étaient que les interprètes de Satan qui est le père du mensonge, et qui a été homicide dès l'origine. C'est pourquoi ils entraînent tous leurs disciples dans un double abîme ! Car ils les accablent, durant la vie, de travaux pénibles et infructueux, et ils ne leur préparent pour l'éternité que les feux de l'enfer !

4. Votre malheur surpasse même celui des païens, ô infortunées victimes de l'erreur l Car, s'il n'est pas donné aux païens d'éviter les supplices éternels, du moins ils goûtent sur la terre les plaisirs de la chair, les douceurs du mariage, le rassasiement des sens et l'ivresse de l'opulence ; vous , au contraire, vous n'avez pendant la vie que des peines volontaires, et vous ne rencontrerez au delà du tombeau que des maux involontaires. Le jeûne et la virginité ne seront pour le païen ni un titre à la récompense céleste , ni un sujet de condamnation; mais, à votre égard, ces deux vertus, dont vous attendiez une gloire immortelle, deviendront la cause d'une éternelle réprobation, et Jésus-Christ vous dira : Retirez-vous de moi, et avec vos prétendus mérites allez au feu de l'enfer, qui a été préparé pour le démon et ses anges. (Matth. XXV, 41.) Et en effet le jeûne et la virginité sont en eux-mêmes des actes indifférents, et l'intention seule leur donne un caractère moral. C'est ainsi qu'ils sont stériles et infructueux dans les païens, parce qu'ils ne les pratiquent point en vue de Dieu; mais vous , hérétiques, qui ne pratiquez ces oeuvres que pour vous révolter contre Dieu et pour blasphémer ses créatures, non-seulement vous ne serez point récompensés de vos sacrifices, mais vous en serez punis comme d'un crime. Sous le rapport du dogme, vous serez enveloppés dans la même condamnation que les païens, puisque vous avez comme eux renié le vrai Dieu, pour inventer des divinités mensongères. Sous le rapport de la morale, ils seront plus heureux que vous. On ne prononcera contre eux que l'exclusion du ciel, tandis que des tourments affreux s'ajouteront pour vous à cette même exclusion. Du moins ils auront pu , durant la vie, goûter quelques plaisirs , et vous , vous perdez les jouissances du temps et de l'éternité. Mais est-il un sort plus malheureux que celui de l'homme qui ne recueille pour prix de ses travaux et de ses fatigues que d'éternels supplices ?

Au jour du jugement, l'adultère, l'adroit ravisseur du bien d'autrui, et l'opulent usurier trouveront une certaine consolation, quelque faible qu'elle soit, dans la pensée qu'ils ne sont punis que pour des crimes dont ils ont joui mais quelle ne sera pas la douleur de celui qui sur la terre aura embrassé la pauvreté volontaire pour s'acquérir les richesses du ciel, et qui n'aura point reculé devant les sacrifices de la chasteté pour s'assurer une place parmi les anges, lorsqu'il verra ces brillantes espérances s’évanouir pour faire place à la triste réalité des peines de l'enfer. Je n'hésite même pas à penser qu'en cette âme le remords et le désespoir seront plus cuisants que les feux éternels, quand elle contemplera autour du divin Epoux les émules de ses travaux et de ses (128) combats. Hélas! ces mêmes vertus qui leur vaudront alors un bonheur ineffable, ne lui attireront que d'affreux supplices. Qu'il sera du d'être puni plus sévèrement pour ses austérités que d'autres ne le seront pour leur débauche et leur libertinage.

5. C'est qu'en effet il n'y a pas de luxure qu soit aussi coupable que la continence des hérétiques. La luxure est avant tout une injure faite à l'homme, tandis que la continence des hérétiques est une révolte contre Dieu, et outrage son infinie sagesse. C'est un piège que le démon tend à ses adorateurs; et si j'affirme que la virginité est chez les hérétiques un artifice diabolique, je parle d'après l'Esprit-Saint, qui connaît bien toutes les ruses d l'esprit mauvais; or, écoutez ce qu'il dit ouvertement par la bouche de l'Apôtre : Dans la suite des temps, plusieurs abandonneront la foi, pour suivre l'esprit d'erreur et les doctrines des démons, imposteurs pleins d'hypocrisie, qui auront la conscience cautérisée, qui interdiront le mariage et l'usage des viandes que Dieu a créées. (I Timoth. IV, 1-3.)

Serait-elle donc vierge, cette jeune fille qui a trahi sa foi, qui écoute le langage de l'erreur, qui obéit au démon, et qui honore le mensonge? Serait-elle donc vierge, celle dont la conscience est brûlée des poisons de l'hérésie? Eh ! qui ne sait que la vierge destinée au divin Epoux ne doit pas être moins pure dans son âme que chaste dans son corps? Mais quelle peut être la pureté d'une conscience déshonorée par les stigmates de l'enfer? L'honneur et la gloire de cette union céleste exigent que nous renoncions aux jouissances de toute union terrestre; et comment le coeur qui nourrit des pensées impies et sacrilèges verrait-il s'épanouir en lui les grâces et l'éclat de la virginité?

6. J'admets avec vous que la vierge hérétique possède la chasteté du corps; mais elle a perdu celle de l'âme qui est bien plus excellente. Eh ! qu'importe que l'enceinte extérieure du temple subsiste, quand le temple lui-même est détruit ! ouque les abords du trône soient purs et brillants, quand le trône lui-même est profané ! Que dis je? le corps lui-même ne reste pas exempt de souillures; ces pensées de blasphème et d'impiété, qu'enfante une doctrine de mensonge, s'élancent du coeur, et la parole les répand nécessairement au dehors. Alors elles souillent d'abord la langue qui les prononce, et les oreilles qui les écoutent, et puis, s'insinuant au plus intime de l'âme, elles y infiltrent un poison mortel, et comme un ver rongeur elles y piquent la racine de toute vertu. C'est ainsi qu'elles tuent à la fois le corps et l'âme. Mais s'il est vrai que la chasteté de l'un et la pureté de l'autre forment l'essence de la virginité, comment nommer vierge celle en qui ces vertus indispensables ne subsistent plus?

Vous me montrez, je l'avoue, un visage pâle, des membres affaiblis, un vêtement simple et un extérieur modeste. Eh ! que m'importe, si l'oeil de votre âme est plein d'impudence; or, il l'est, puisqu'il envisage comme mauvaises les oeuvres de Dieu. Le Psalmiste a dit que : Toute la gloire de la fille du roi est intérieure. (Ps. XLIV, 44.) Mais par un triste contraste la vierge hérétique brille au dehors, et au dedans elle est souillée. Oui, on ne peut la voir sans indignation affecter devant les hommes la plus grande réserve, et se conduire comme une insensée à l'égard du souverain Etre. Elle n'ose fixer les traits d'un homme, si toutefois sa modestie va jusque-là, et elle ne craint point de braver les regards du Seigneur, ni d'élever contre le Très-Haut une parole de blasphème. Cependant son visage est exténué, et comme empreint d'une pâleur de mort; ah ! cette vierge n'en est que plus digne de larmes et de pitié, puisque pour elle l'inutilité d'une vie austère et pénitente n'enfantera qu'une éternité malheureuse.

Votre vêtement est simple , je le reconnais mais la virginité n'est point dans la simplicité du vêtement, ni dans la pâleur du visage; elle réside dans l'âme et dans le corps. On reconnaît un philosophe à l'énergie de ses pensées et à la sagesse de ses moeurs, bien plus qu'à sa chevelure, à son bâton et à son manteau; ainsi encore le soldat se distingue par sa vaillance et son courage, bien plus que par son armure et son baudrier. Ne serait-il donc pas ridicule d'attacher la gloire de la virginité, vertu sublime et surhumaine, à une chevelure négligée, à un habit modeste, à une contenance réservée? Il faut que notre regard pénètre jusqu'au plus intime de l'âme, et qu'il en scrute les pensées secrètes. C'est ce que nous prescrit cet apôtre, qu'il est permis de nommer le grand législateur de la virginité. Oui, saint Paul veut qu'on juge la vierge non sur ses vêtements, mais sur sa foi et sur sa croyance. (129) Celui, dit-il, qui entre dans la lice, doit s'abstenir de tout (            I Cor. IX, 25) ce qui pourrait ternir la pureté de l'âme; et : Nul n'est couronné, s'il n'a observé les conditions du combat (II Tim. II, 5); mais quelles sont ces conditions? Ecoutez la réponse du même apôtre, ou plutôt celle de Jésus-Christ qui a établi ce glorieux combat : Qu'en toutes choses le mariage soit respecté, et que le lit nuptial soit sans tache. (Hébr. XIII, 4.)

8. Ce précepte, dites-vous, ne me concerne point, puisque j'ai renoncé au mariage. Mais, ô vierge infortunée, c'est là une erreur d'autant plus grave qu'elle est la source de tous vos malheurs. Car vous ne pouvez déverser sur le mariage votre superbe dédain, saris blasphémer la sagesse divine, et condamner l'économie de sa providence. Et en effet, si l'union conjugale est un crime,, les enfants qui en proviennent sont donc impurs. Ainsi nous devons reconnaître que.vous du moins, quand il y aurait exception pour les autres, vous êtes, souillée par le fait seul de votre naissance : mais comment alors vous appeler vierge ! Bien plus, à cette première impiété vous en ajoutez une autre plus coupable encore : vous ne fuyez le mariage que parce que vous le considérez comme un crime; de sorte que vous avez trouvé le secret de rendre la virginité plus honteuse que le libertinage.

Où vous placer, ô vierges hérétiques? parmi les Juifs? mais ils honorent le mariage, et ils observent religieusement l'ordre de la Providence. Parmi les catholiques? mais vous refusez d'écouter Jésus-Christ qui nous dit par la bouche de l'Apôtre : Respectez le mariage, et la sainteté du lit conjugal. Je ne puis donc vous ranger que parmi les païens, et encore ils vous repoussent eux-mêmes comme des impies; car Platon, le prince de leurs philosophes, a dit que le Créateur de l'univers est un être bon, et qu'il n'a pu vouloir le mal. (Plat. Timée.) Vous, au contraire, vous le considérez comme un être malfaisant, et comme l'auteur du mal. Resterez-vous, donc seules et isolées? non, rassurez-vous; vous avez pour frères de doctrine le démon et ses anges. Ou plutôt ils ne partagent point l'erreur où ils vous ont engagées, et ils n'ignorent point que Dieu est bon;, aussi ils s'écrient dans l'Evangile : Nous savons, ô Christ, qui. vous êtes le saint de Dieu. (Marc, I, 24.) Et au livre des Actes, ils appellent les apôtres des hommes qui sont les serviteurs du Dieu Très-Haut, et qui annoncent la voie du salut. (Act. XVI, J 7.)

Jusques à quand vanterez-vous donc votre virginité? Ah ! loin de vous en glorifier, vous devriez pleurer amèrement l'obstination funeste qui vous rend les esclaves du démon, et les victimes de l'enfer. On n'est point vierge pour avoir renoncé au mariage; et celle-là seule mérite ce beau nom qui a pu légitimement se choisir un époux. Mais puisqu'à vos yeux le mariage est criminel et prohibé, la virginité n'est plus en vous l'acte d'une vertu volontaire; elle n'est qu'une soumission forcée à une loi rigoureuse. Chez les Perses, il est permis au fils d'épouser sa propre mère; et cette permission. fait qu'on admire ceux qui s'en abstiennent. Mais les Romains n'y trouvent aucun mérite, parce qu'ils flétrissent et réprouvent une semblable union comme le plus abominable de tous les crimes.

Il faut raisonner pareillement du mariage. bous le considérons comme légitime; aussi admirons-nqus ceux qui veulent y renoncer. Vous, au contraire, qui le regardez comme essentiellement mauvais, vous le fuyez sans aucun mérite. Et en effet, s'abstenir de ce qui est défendu, ne révèle pas toujours fine âme grande et élevée. C'est pourquoi la parfaite vertu, peu contente d'éviter les fautes que flétrit l'opinion publique, triomphe dans la pratique de ces actes dont l'omission même n'entraîne aucune culpabilité, et dont l'accomplissement nous met au rang de ceux qu'on appelle les fous et les justes. Les eunuques ne se marient pas, cependant qui songe à leur en faire un mérite ! Or, votre virginité n'est pas plus méritante. Ce' qui est chez lui le résultat forcé d'une mutilation corporelle, est chez vous la conséquence nécessaire de l'altération de votre conscience et , l'oeuvre du démon, qui, s'il a respecté votre corps, vous a fait subir une véritable mutilation morale, et vous tient honteusement engagées dans, les pénibles sacrifices d'une continence inutile et ingrate. Vous condamnez le mariage; ne vous étonnez donc point que votre fausse. virginité ne reçoive aucune récompense,, et soit même sévèrement punie. .

9. Mais vous aussi, m'objecterez-vous, ne défendez-vous pas te mariage ? à Dieu ne plaise que je partage votre erreur ! Eh quoi ! direz-vous encore, n'exhortez-vous pas à garder la continence? oui, je le conseille, parce que je (130) comprends toute l'excellence de la virginité. Mais, loin de condamner le mariage comme mauvais, je le loue, et j'en préconise le légitime usage comme un asile et un port assuré où s'abrite la continence, et où les passions se resserrent en de justes limites. Le Seigneur l'a placé sur le rivage de la vie, comme un rocher protecteur qui brise la vague furieuse, et qui parmi les orages et les tempêtes nous présente une rade calme et paisible; mais avouez aussi qu'il se rencontre des chrétiens auxquels ce secours est inutile, parce qu'ils domptent une chaire rebelle par le jeûne, les veilles, la solitude et la mortification.

Voilà ceux que j'engage à embrasser la virginité, et néanmoins je ne leur défends pas le mariage : or, entre le conseil et la défense, il y a un abîme aussi profond qu'entre la liberté et la nécessité. Un ami qui conseille permet à son ami de suivre un avis opposé; mais le législateur qui défend interdit absolument toute action contraire. Bien plus, en conseillant la virginité, je n'improuve point le mariage, et je ne condamne point celui qui résiste à ma parole. Vous, au contraire, vous qui réprouvez le mariage comme mauvais et criminel, et qui changez ici le conseil en une loi rigoureuse, vous devez en haïr tous les infracteurs. J'admire sans doute l'athlète généreux qui s'élance dans la carrière de la virginité; mais je ne condamne pas celui qui ne s'y présente point. Et, en effet, le blâme n'est permis qu'à l'égard d'une action réellement fautive; or, comment le faire tomber sur le chrétien auquel on ne peut reprocher que de se restreindre dans une sphère plus modeste, et de n'oser tenter les plus sublimes efforts de la vertu ; je ne louerai donc point en lui la force et l'énergie du courage, mais je ne me permettrai point non plus de blâmer sa timide réserve : ainsi je ne condamne point le mariage, dont j'estime l'usage saint et légitime, et je ne condamne que ceux qui l'outragent et qui le profanent; mais quiconque commet ce crime, je le châtie, et je le, chasse de l'Eglise, tandis que je loué ceux qui respectent  le lit conjugal : c'est ainsi que la doctrine catholique sait vénérer l'oeuvre de Dieu et faire resplendir d'un nouvel éclat ! l'honneur et la gloire de la virginité.

10. Celui qui condamne le mariage, blesse la sainte virginité, et celui qui le loue, rehausse le mérite et la dignité de cette vertu. C'est un bien d'une valeur fort douteuse, celui qui ne paraît tel que si on le compare avec un grand mal; or, telle est l'idée que vous avez de la virginité par rapport au mariage. Un bien véritablement excellent, c'est celui qui surpasse ce que tout le monde s'accorde à estimer comme bon : c'est notre doctrine touchant la virginité. Elle proclame le mariage bon, la virginité meilleure. Dire que le mariage est mauvais, c'est faire tort à la virginité ; pareillement, c'est louer celle-ci que d'honorer celui-là. On n'est pas beau, pour être moins laid que tel dont le corps est mutilé; on n'est vraiment beau que si on l'est plus que celui qui est intact et sans difformité , et c'est ainsi que le mariage étant bon en lui-même, nous fait admirer la virginité qui est meilleure. Elle le surpasse en dignité autant que le pilote et le général s'élèvent au-dessus du matelot et du soldat; mais de même que la tempête engloutit le vaisseau qui est dépourvu de rameurs, et que l'ennemi fait prisonnier le générai qui est abandonné de ses soldats, ainsi la condamnation du mariage rejaillit sur la virginité, et en ternit la gloire.

La virginité est donc un bien ; je l'avoue, elle est un bien plus excellent que le mariage; je l'accorde volontiers, et même je ne crains pas d'avancer qu'entre eux la distance est plus grande qu'entre le ciel et la terre, et qu'entre l'ange et l'homme; j'ajouterai encore que le mérite de cette vertu rayonne avec plus de splendeur dans les hommes que dans les anges: ceux-ci sont vierges, il est vrai, mais ils ne sont point comme nous pétris de chair et de sang. Ils n'habitent point la terre, ils ne ressentent point les ardeurs de la concupiscence, et ils n'ont à craindre ni l'intempérance et ses excès, ni la musique et ses accords voluptueux, ni le regard et la séduction de la beauté. Plus purs que le ciel en plein midi, quand aucun nuage n'en ternit l'azur, leurs essences virginales, qu'aucune passion ne trouble, brillent paisiblement d'un éclat immortel.

11. Cependant l'homme, que sa nature place au-dessous de l'ange, sait doubler ses forces ; et par une -généreuse émulation il marche son égal. L'ange est vierge , et l'homme le devient; l'ange est le ministre du Seigneur, et il se tient toujours près de son trône; mais la vierge chrétienne est la servante du Dieu auquel elle s'est consacrée, et saint Paul l'exempte de toute sollicitude temporelle,. afin que rien ne la détourne de (131) son ministère sacré; enfin, si elle ne peut briser les liens de la chair, et s'envoler aux cieux, du moins elle goûte l'ineffable consolation de recevoir le Dieu qui vient reposer dans le chaste- tabernacle de son corps et de son âme. Comprenez donc maintenant toute l'excellence de la virginité : par elle l'habitant de la terre rivalise avec les esprits célestes; l'homme se rend semblable aux pures intelligences, et de faibles mortels deviennent les émules des anges; mais vous êtes étrangères à cet état divin, ô vierges hérétiques ! vous qui déshonorez cette belle vertu, qui blasphémez le Seigneur, et qui le nommez auteur du mal; aussi ne sauriez-vous attendre de sa justice que le traitement sévère qu'il infligera au serviteur infidèle. Au contraire, les vierges catholiques auront en partage ces biens infinis, que mail de l'homme n'a point vus, dont son oreille n'a point entendu la mélodie , et dont son coeur n'a point conçu les charmes; mais sans nous occuper davantage des vierges, filles de l'hérésie, adressons-nous désormais aux vierges , filles de l’Eglise.

12. Je ne saurais mieux commencer qu'en citant les paroles que- Jésus-Christ a prononcées par la bouche de saint Paul. Le précepte de l'Apôtre, c'est le précepte même du Seigneur, nous devons le croire. En effet, quand l'Apôtre dit :Pour ceux qui sont dans le mariage, ce n'est pas moi, mais le Seigneur qui leur fait ce commandement, et qu'ensuite il ajoute : Quant aux autres, ce n'est pas le Seigneur, mais c'est moi qui leur dis ceci ( I Cor. VII, 10, 12); cela ne veut pas dire que le premier commandement soit de Jésus-Christ et que le second soit de Paul exclusivement. Comment celui qui portait le Christ en lui, le Christ parlant par la bouche de son Apôtre; celui qui ne voulait plus vivre, pour laisser vivre en lui le Christ; celui qui mettait sans peine son amour pour Jésus-Christ au-dessus du sceptre du monde, au-dessus de la vie, au-dessus de la félicité et de la sublimité des anges et des puissances, en un mot au-dessus de toutes les choses créées, comment, dis-je, un tel homme, aurait-il pu prononcer une parole, concevoir une pensée qui ne serait pas la parole et la pensée même du Christ, surtout quand il s'agissait de l'établissement d'une loi ?

Mais il est facile de comprendre cette double expression : « C'est moi, et, ce n'est pas moi, » quand on observe que tantôt Jésus-Christ nous a révélé lui-même ses préceptes, et que tantôt il nous les a fait connaître par ses apôtres. Et la preuve, c'est qu'il leur disait : J'ai encore beaucoup de choses à dire, mais vous ne pouvez pas les porter à présent. (Jean, XVI,12.) C'est pourquoi, comme durant sa vie mortelle il avait établi l'indissolubilité du mariage, saint Paul, en rappelant cette loi, dit : Ce n'est pas moi, mais le Seigneur qui fait ce commandement. S'agit-il au contraire des infidèles parce que Jésus-Christ n'avait rien statué à cet égard, saint Paul dit : « Ce n'est pas le Seigneur, ,mais c'est moi qui leur dis. u Toutefois c'était bien réellement le Christ qui inspirait son apôtre; en sorte que cette loi n'était point l'oeuvre d'un homme. Cette diversité de langage signifie seulement que le divin Sauveur n'avait point promulgué ce précepte devant.ses apôtres, et qu'il le publiait alors par le ministère de saint Paul.

Quand l'Apôtre dit : Ce n'est pas moi, mais le Seigneur, tous reconnaissent qu'il parle au nom de Dieu; et il en est de même lorsqu'il dit : C'est moi, et non pas le Seigneur. Il indique seulement, par, cette différence d'expression, que ce précepte est publié pour la première fois et par son organe. C'est ainsi qu'en parlant des veuves, il dit : Elles seront plus heureuses, si elles restent dans le veuvage, selon mon conseil. (I Cor. VII, 40.) Et afin qu'on ne puisse réduire ces derniers mots à une autorité purement humaine, il ajoute aussitôt : Mais je pense que j'ai aussi en moi l'esprit de Dieu. Or, si l'esprit de Dieu inspire ici la parole de l'Apôtre, et lui imprime une sanction divine, pourquoi en serait-il autrement dans le passage que nous discutons? Est-ce que Jésus-Christ ne parle pas toujours en son Apôtre? et celui-ci eût-il jamais osé proposer ses propres idées comme un dogme et un précepte? Non, tout ce qu'il nous prescrit lui est inspiré d'en-haut. Autrement on eût pu lui dire : Vous voulez que moi, qui suis chrétien et chaste, je demeure avec une épouse infidèle et impure? Quelle est l'autorité de votre parole, puisque vous avouez vous-même qu'elle n'est que la parole d'un homme. Mais l'Apôtre eût répondu : bannissez toute défiance; car le Christ parle en moi, et je possède l'esprit de Dieu. Comment donc soupçonner ma parole de n'être qu'une parole humaine? et si elle n'était réellement inspirée, pourrais-je l'imposer comme une loi? car je sais que les (132) pensées des hommes sont timides, et leurs maximes incertaines. (Sag. IX, 14.)

Ajoutons encore que l'Eglise catholique, qui observe cette loi avec tant de soin, reconnaît par cela seul à la parole de l'Apôtre une autorité divine.

Quel précepte l'Apôtre inspiré par le Seigneur a-t-il donc porté touchant la virginité? Sur ce que vous m'avez écrit, je vous dirai qu'il est avantageux à l'homme de ne s'approcher d'aucune femme. (I Cor. VII, 1.) Mais ici observons tout d'abord à la louange des Corinthiens, qu'ils n'avaient encore entendu aucune instruction touchant la virginité, et que les premiers ils interrogent l'Apôtre. Nous voyons ensuite quels progrès ils avaient faits dans la perfection chrétienne, puisque la question semblait tranchée par la loi ancienne, qui permettait le mariage aux lévites, aux prêtres, et même au grand prêtre.

13. Mais quel motif les portait donc à interroger l'Apôtre? Le sentiment intime des grâces reçues, et qui, plus abondantes que sous l'ancienne loi, exigeaient aussi une plus haute perfection. Recherchons également quelles raisons avait eues saint Paul de ne point leur parler de la virginité, car la question qu'ils lui adressent prouve de sa part un silence antérieur et absolu. Nous allons avoir ici une nouvelle preuve de la profonde sagesse de saint Paul.

En effet, ce n'était point de sa part oubli ou indifférence; il attendait qu'ils parvinssent d'eux-mêmes d'abord à une certaine notion, puis au désir de la virginité; c'est ce qu'ils firent, et ces heureuses dispositions permirent à l'Apôtre de répandre plus fructueusement la parole du salut, car le zèle de l'auditeur seconde merveilleusement celui du prédicateur. Il voulait en outre, par son silence, rehausser à leurs yeux l'excellence et la sublimité de cette vertu, autrement il eût prévenu leur demande; en leur présentant la virginité, sinon comme un précepte formel, du moins comme un conseil pressant. En agissant avec cette réserve, il nous a donné à entendre combien l'état de la virginité est pénible et laborieux. De plus, saint Paul suivait l'exemple du divin Maître, qui, lui aussi, avait, au sujet de cette même vertu attendu que ses apôtres l'interrogeassent. Si telle est la condition de l'homme dans le mariage, avaient-ils dit, il vaut mieux pour lui de garder le célibat, et c'est alors qu'il leur fit cette réponse : Il y en a qui se sont faits eux-mêmes eunuques à cause du royaume des Cieux. (Matth. IX, 10, 12.) Quand il s'agit, en effet, d'un acte de vertu si grand et si difficile qu'il tombe moins sous le précepte que sous le conseil, la prudence suggère d'attendre que nous manifestions nous-mêmes le désir de l'accomplir; mais il convient néanmoins de ne point négliger l'occasion de faire naître ce désir. Telle est la conduite du Sauveur. Veut-il inspirer à ses apôtres l'amour et le zèle de la virginité, il se garde bien d'en préconiser le mérite, et il se borne à leur montrer paisiblement les divers inconvénients du mariage; mais par cette prudente réserve il tes amène à s'écrier , eux qui n'avaient jamais douté de l'excellence du mariage : Il n'est donc pas bon de se marier !

C'est ainsi que saint Paul, imitant Jésus-Christ, commence sa réponse par ces mots : Au sujet de ce que vous m'avez écrit. Il semble s'excuser et dire aux Corinthiens: « Je n'osais vous engager de moi-même à la pratique d'une vertu si haute et si difficile, mais puisque vous m'en avez écrit, je le fais aujourd'hui avec une entière confiance. n Il n'est pas inutile, en effet, d'observer qu'ici seulement il emploie cette précaution oratoire, quoique, dans la même lettre, il réponde à plusieurs autres questions; il leur rappelle donc qu'ils l'ont eux-mêmes interrogé les premiers; afin de se ménager la facilité de leur présenter ses conseils sous une forme plus insinuante, il évite même de les exprimer dans un langage dur et sévère, et il n'emploie que des termes doux et modérés. Le Sauveur Jésus avait ainsi terminé son exhortation à la virginité: Que celui qui peut comprendre cette parole, la comprenne; et l'Apôtre dit tout simplement : Au sujet de ce que vous m'avez écrit, il est avantageux à l'homme de ne s'approcher d'aucune femme. Tel est le principe posé par saint Paul.

14. Mais, dira-t-on, si la virginité est une vertu si excellente et si belle, pourquoi le mariage? Pourquoi Dieu a-t-il créé la femme, si elle ne doit être ni épouse, ni mère ? Et comment la destruction totale du genre humain n'arriverait-elle pas promptement et infailliblement, puisque la mort le moissonne chaque jour, et que vous lui défendez de se reproduire? Admettez en effet que tous les hommes gardent la continence, et bientôt les maisons et les villes, les arts et les champs, les (133) animaux et les plantes couvriront la terre de leurs débris. La mort du général amène la déroute de son armée; de même, quand l'homme, qui est le roi de l'univers, cessera de se reproduire, tous les éléments, et tous les êtres retomberont dans l'horreur du chaos. Cette vertu, que vous trouvez si belle, n'est donc féconde qu'en ruines et en désastres !

Si les infidèles et les ennemis de l'Église tenaient seuls ce langage , je dédaignerais de leur répondre. Mais il se rencontre sur les lèvres mêmes de ceux qui se disent nos frères. Leur coeur est trop peu généreux pour affronter les luttes de la virginité, et ils la méprisent et la condamnent pour excuser leur propre lâcheté. Ils espèrent déguiser ainsi leurs véritables sentiments, et paraître ne suivre que les lumières de la sagesse et de la raison; je laisse donc à l'écart les ennemis de l'Église, car : L'homme animal ne perçoit pas les choses qui sont de l'Esprit de Dieu : elles lui paraissent une folie (I Cor. II, 14); et je m'adresse directement à ces faux chrétiens. Oui, j'entreprends de leur démontrer l'excellence de la virginité, son utilité, et même sa nécessité. Je veux en outre leur prouver qu'ils ne peuvent impunément la décrier, et qu'au jour du jugement leur châtiment sera aussi rigoureux que la récompense des vierges sera belle et glorieuse.

Entrons en matière. Quand Dieu eut créé l'univers, et quand il eut préparé et disposé toutes choses pour notre bonheur, il créa l'homme, pour lequel il avait créé le monde. Adam d'abord seul, fut placé dans le paradis terrestre , et parce qu'il avait besoin d'une compagne, Eve lui fut donnée, mais cette société n'était point encore celle du mariage. Ils goûtaient l'un et l'autre comme les prémices de la béatitude céleste, et ils jouissaient de l'aimable présence du Seigneur. Ils ne ressentaient point cette ardeur dévorante qui rapproche les sexes, ni cet instinct voluptueux qui les unit. La femme ne connaissait point les douleurs de l'enfantement. Leur vie, semblable à une onde limpide et qui s'épanche d'une source pure, s'écoulait toute brillante d'une virginale chasteté.

Alors la terre n'était point peuplée; et voilà ce que craignent de revoir ceux qui se montrent si inquiets des destinées futures de l'univers. Ah ! ils s'occupent d'intérêts qui leur sont étrangers, et ils négligent le soin de leur salut; ils tremblent que le genre humain ne soit détruit, et ils sont sans crainte sur le sort de leur âme. Insensés ! ils oublient que le même Dieu qui ne leur imputerait point cette destruction, leur demandera un compte rigoureux de la faute la plus légère. Dans les premiers jours d'Adam et d'Eve, on ,ne bâtissait, il est vrai , ni maisons , ni cités; on n'exerçait aucun de ces arts que vous estimez tant; néanmoins la vie était remplie d'un calme et d'un bonheur dont nous n'avons pas même l'idée.

Mais dès qu'ils eurent violé le précepte divin, et que cette désobéissance les eut soumis à la mort, ils virent s'évanouir à la fois les charmes de leur existence et l'éclat de la chasteté. Dieu et la sainte virginité se retirèrent. Aussi longtemps qu'ils demeurèrent innocents, ils vécurent dans la crainte du Seigneur, et la virginité les parait plus glorieusement que le diadème et la pourpre ne parent les rois. En devenant les esclaves du démon, ils perdirent avec la robe de l'innocence les brillants atours dé la chasteté, et ils n'eurent en partage que la mort et la corruption, les douleurs et l'infortune. C'est alors qu'ils usèrent du mariage qui devint comme l'apanage de leur condition mortelle et servile. Car, dit l'Apôtre, celui qui est marié s'occupe des choses du monde. (I Cor. VII, 33.)

Voilà donc la raison d'être du mariage,voilà quels principes l'ont produit: la désobéissance, la malédiction et la mort. 11 n'est institué que pour réparer les désastres de la mort, et un état permanent d'immortalité le rendrait inutile. Il n'en est pas ainsi de la virginité : soit que vous la preniez avant la mort , ou après son apparition dans_ le monde ; soit que vous la considériez avant le mariage , ou après son institution, toujours vous la trouverez utile, heureuse et bénie. Je vous demande si Adam a dû sa naissance à l'usage du mariage , et si Eve. a fait souffrir le sein qui l'a portée. Non sans doute, vous vous alarmez donc vainement sur cette prétendue extinction du genre humain qu'amènerait, selon vous , l'extension de la virginité? Des millions d'anges exécutent les volontés du Seigneur, et des millions d'archanges environnent son trône : aucun d'eux cependant ne doit l'existence à l'union des sexes ; et pourquoi Dieu ne pourrait-il multiplier l'homme par les mêmes moyens qu'il l'a créé?

 

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15. L'accroissement du genre humain vient moins de la fécondité du mariage, que de celle de cette bénédiction divine : Croissez et multipliez, et remplissez la terre. (GenI , 28.) Le mariage n'avait donné aucun héritier à Abraham; et après tant d'années d'une union conjugale, il s'écriait amèrement : Que me réservez-vous, Seigneur? je mourrai sans enfants. (Gen. XV, 2.) Mais nous savons que Dieu lui donna dans une vieillesse épuisée le fils qui le rendit père d'une nombreuse postérité. Adam, lui aussi, s'il fût demeuré fidèle, et s'il eût repoussé l'esprit tentateur, n'aurait pas eu à s'inquiéter de la propagation de sa race. Le Dieu qui veut cette propagation, est celui qui peut et rendre la virginité féconde et frapper le mariage de stérilité. Il a donc institué le mariage comme une suite de notre corruption et de notre révolte. Nous ne le voyons en' effet paraître qu'après le péché. Pourquoi nos premiers parents ne connurent-ils point l'union des sexes dans le paradis terrestre? Et pourquoi Eve n'éprouva-t-elle point, avant la sentence de malédiction, les douleurs de l'enfantement? C'est qu'alors le mariage et toutes ses suites étaient inutiles. Mais le péché le rendit nécessaire à notre faiblesse, et avec lui naquirent soudain ces besoins multipliés: construction de villes, culture des arts, nécessité des vêtements, toutes choses qui forment le cortége de la mort. Il serait donc injuste de mettre la virginité au-dessous du mariage qui ne nous a été donné que comme un secours, à défaut de la virginité, et il faut même éviter de les égaler en dignité , autrement vous pourriez soutenir qu'il vaut mieux, selon la tolérance mosaïque, avoir deus femmes qu'une seule, et qu'il est permis de préférer les richesses à la pauvreté volontaire, les plaisirs à la tempérance , et la vengeance au pardon des injures.

16. Vous condamnez donc la loi ancienne, me direz-vous. Non, je ne la condamne pas; car Dieu en est l'auteur; et elle était utile en son temps, mais je la crois imparfaite, et plus appropriée à des enfants qu'à des hommes mûrs. Aussi le Seigneur, voulant amener les chrétiens à un état plus parfait, leur ordonne-t-il de rejeter ces vêtements de l'enfance qui ne peuvent aller à l'homme fait, et qui ne conviennent point à la plénitude de l'âge du Christ. C'est pourquoi il leur substitue dans la législation évangélique un vêtement plus splendide; et cependant il ne se contredit point lui-même, car si les préceptes de la loi nouvelle sont plus élevés , l'intention du législateur n'est point changée. Or, cette intention est d'extirper le vice de notre nature et de nous conduire à la perfection. Supposez au contraire que Jésus-Christ, loin de promulguer une doctrine plus excellente, eût laissé le genre humain sous le joug pesant d'une loi faible et infirme ; nous serions en droit de censurer l'économie de sa providence. Et en effet, si dette providence n'avait point voulu, dans ces premiers temps, que l'on peut nommer les siècles de l'enfance du genre humain, circonscrire le mariage dans les règles sévères de l'Évangile, l'homme n'eût pu supporter cette rigueur, et il eût infailliblement succombé. Mais aussi lorsque tant de siècles écoulés dans la pratique d'une législation facile, eurent enfin amené pour l'homme un âge nouveau de vertu et de perfection, Jésus-Christ se devait à lui-même d'élever nos pensées et nos désirs au-dessus des pensées et des affections de la terre. La condescendance qu'il eût montrée en agissant différemment eût été une inconséquence, puisqu'elle n'aurait pas rempli le but qu'il se proposait : être utile au genre humain en le rendant plus parfait.

17. Ici le Seigneur déploie envers nous cette prévoyante sollicitude , que nous observons dans l'oiseau pour sa jeune couvée. Lorsque la mère a nourri et élevé ses petits, .elle les fait sortir du nid; et si elle les voit encore faibles et délicats, elle les y rappelle aussitôt, et les y retient jusqu'à ce qu'enfin, plus forts et plus confiants dans leurs ailes, ils puissent prendre heureusement leur vol. C'est ainsi que, dès le commencement des âges, le Seigneur a toujours cherché à nous attirer au ciel; il nous en a montré le chemin; il savait bien que nos ailes étaient encore trop faibles pour un tel essor; mais il tenait à nous prouver que nos chutes provenaient de notre faiblesse, et non de sa volonté. Aussi, sous la loi ancienne, laissait-il l'homme se reposer dans la facile jouissance du mariage, ainsi que le jeune passereau repose dans son nid; et il attendait, en toute patience, que notre vertu croissant peu à peu, comme l'aile naissante de l'oiseau, nous puissions quitter la terre et nous élever jusqu'aux cieux.

Cependant aujourd'hui encore, les uns plongés dans une molle indolence, hésitent à quitter les douceurs du nid maternel, et s'attachent (135) aux biens périssables de ce monde; d'autres, au contraire, plus généreux et plus avides d'air et de lumière, s'élancent dans l'espace; ils brisent sans regret tout ce qui pourrait enchaîner leur vol, et, renonçant au mariage non moins qu'aux affaires du siècle, ils dirigent vers le ciel leurs brûlantes aspirations. C'est pourquoi le mariage, accordé autrefois à notre faiblesse, n'est plus sous la loi évangélique un précepte général ; et Jésus-Christ nous exhorte à nous en abstenir quand il dit : Que celui qui peut comprendre cette parole, la comprenne. Si Dieu s'est montré plus indulgent dans le principe, n'en soyons pas étonnés, il agissait comme le sage médecin qui diversifie ses prescriptions selon les divers états de son malade. Celui-ci est-il en proie à une fièvre violente, il lui interdit une nourriture trop forte; mais quand il voit que ce feu qui consumait le corps et l'affaiblissait, est devenu moins ardent, il l'affranchit d'un régime désagréable et lui permet de se nourrir comme par le passé. Au reste, nous reconnaissons que nos maladies viennent de ce que l'équilibre des fonctions vitales est altéré par défaut d'une juste abondance dans les éléments hygiéniques, ou par leur trop grande plénitude; et de même l'excès des passions détruit dans notre âme l'harmonie des vertus. Pour la guérison de l'âme comme pour celle du corps, ce n'est pas assez d'approprier le remède au mal, il faut encore l'appliquer en temps convenable. Que l'une ou l'autre de ces deux précautions manque, et la loi, remède de l'âme, sera aussi impuissante à guérir nos infirmités morales, que l'appareil médical à fermer seul une plaie.

Chaque jour, sous nos yeux, le médecin emploie le fer ou le feu, selon la gravité de la plaie qu'il veut guérir, quelquefois même il laisse la nature agir seul, et semble alors négliger son malade, et cependant nous ne lui demandons aucun compte de sa conduite , quoiqu'il se trompe souvent. Mais s'agit-il du Dieu dont la sagesse atteint infailliblement son but, faible mortel, vous vous élevez contre lui, vous le citez à votre tribunal, et vous blasphémez sa providence, n'est-ce pas le comble de la démence ! Oui, le Seigneur a dit à nos premiers parents : Croissez et multipliez; mais il a accommodé sa loi aux besoins d'un âge où le mariage seul pouvait calmer l'effervescence des passions, et, parmi les violences de la tempête, leur offrir un port paisible et assuré. Voudriez-vous qu'il eût dès lors prescrit la continence et la virginité? Mais un tel précepte eût attisé le feu de la concupiscence, et rendu notre chute plus grave.

Retranchez à l'enfant qui est encore à la mamelle la coupe du sein maternel, pour lui donner la nourriture de l'homme fait, et vous amènerez immédiatement sa mort. Tant le manque d'à-propos est un grand mal l Aussi le Seigneur n'a-t-il point prescrit la virginité dès le commencement, ou plutôt elle a précédé le mariage, et celui-ci, que la fidélité d'Adam eût rendu inutile, n'est devenu nécessaire que par sa désobéissance. Mais, sans le mariage, direz-vous encore, la terre serait-elle aussi peuplée qu'elle l'est aujourd'hui ? Cette idée de l'extinction du genre humain vous poursuit donc toujours comme un spectre effrayant? Eh bien ! je vous le demande, qui a créé Adam et Eve? Quoi donc ! l'homme se serait-il multiplié de la même manière? je l'ignore, et il me suffit de constater qu'en dehors du mariage Dieu eût pu multiplier le genre humain.

18. Le déluge qui aux jours de Noé engloutit les hommes et les animaux nous prouve combien la licence effrénée des passions arrête l'accroissement du genre humain. La virginité est hors de cause, et si les enfants de Dieu se fussent maintenus chastes et pudiques, s'ils n'eussent regardé les filles des hommes d'un aeil de concupiscence (Genvi, 2), le Seigneur ne les eût point submergés sous ces flots vengeurs. Loin de moi cependant d'imputer au mariage la cause de cet effroyable châtiment. Telle n'est point ma pensée, je veux seulement montrer que le péché, et non la virginité empêche l'accroissement de la population.

19. Le Seigneur s'est proposé dans l'institution du mariage de pourvoir à la perpétuité du genre humain, et surtout de nous donner un moyen facile d'affaiblir les ardeurs de la concupiscence. C'est ce dernier effet que signale l'Apôtre quand il dit : Que l'homme se marie pour éviter tout dérèglement, et, de peur que l'incontinence ne donne lieu à Satan de le tenter. Nous voyons ici qu'il ne s'agit dans la pensée de saint Paul ni de la perpétuité du genre humain, ni même du désir d'une nombreuse postérité; il se borne à montrer le mariage comme un préservatif contre le péché; C'est pourquoi il ajoute : Que ceux qui ne peuvent garder la continence, se marient. (I Cor. VII, 2, 5, 9.) Sans doute l'institution du mariage (136) avait dans le principe le double but que j'ai indiqué, mais depuis que la race humaine a peuplé le globe, il nous est laissé principalement comme un moyen d'éviter le vice. L'union conjugale présente en effet à tous ceux qui se sentent comme impuissants à maîtriser leurs passions une grande facilité pour se maintenir dans la vertu et la sainteté. Mais n'est-il pas temps de cesser une réfutation inutile? Car vous, qui vous posez en adversaires de la virginité, vous en comprenez tout comme nous le mérite et l'excellence , et toutes vos objections ne tendent qu'à justifier vos propres vices.

20. Mais quand il serait vrai que la virginité donnerait prise à quelques reproches, l'on devrait par respect s'abstenir de les faire. L'homme qui se plaît à déprécier dans ses frères la noblesse de l'âme et la générosité du coeur, se perd lui-même dans l'opinion publique : car tous peuvent apprécier combien son jugement est faux, et son esprit méchant. Ainsi ce premier motif devrait engager nos adversaires à réprimer l'intempérance de leurs discours; il serait plus digne de leur prudence de faire excuser leur faiblesse et leur peu de courage par l'éloge sincère d'une haute et sublime vertu. Celui qui poursuit de ses mépris et de ses outrages le noble héroïsme auquel il ne saurait atteindre, s'attire justement la haine de tous, et il passe aux yeux du monde pour un ennemi de la vertu, et un insensé. Un fou n'est point responsable de ses actes, parce qu'il n'en a pas la conscience; aussi le magistrat qui en serait outragé, loin de le punir, le regarderait avec plus de pitié encore; mais l'homme qui jouirait de toute sa raison, et qui se permettrait une pareille injure, serait poursuivi et condamné comme coupable envers la société.

21. Ces nombreux et graves motifs devraient sans doute suffire pour nous interdire toute parole de mépris contre la sainte virginité, quand même nous pourrions le faire impunément. Mais cette impunité, n'y comptons pas, car le Seigneur enveloppe dans les mêmes châtiments l'imprudent qui élève la voix contre son frère, ou qui scandalise le fils de sa mère, et le téméraire qui blasphème le chef-d'oeuvre de la sagesse divine. Ecoutez plutôt ces paroles d'Isaïe : Malheur à vous, qui appelez mal le bien, et bien le mal; qui changez les ténèbres en lumières, et la lumière en ténèbres; l'amertume en douceur, et la douceur en amertume!

em> (Isaïe. V, 20.) Or, quoi de plus délicieux que la virginité ? de meilleur et de plus brillant? elle rayonne plus splendidement que l'astre du jour, et elle ne détache nos regards de tous les objets créés que pour les fixer sur le divin Soleil de la justice éternelle. Mais si le prophète Isaïe tonne ainsi contre ceux qui s'égarent eux-mêmes dans leurs vains jugements, Habacuc reprend avec non moins de forcé ceux qui répandent au dehors ces doctrines perverses. Malheur, dit-il, lui aussi, malheur à celui qui présente à son ami un breuvage empoisonné ! (Habac. II, 15.) Et notez que ce mot malheur comprend tout un ensemble de calamités et de châtiments irrévocables; et il signifie, dans l'Ecriture, l'exécution prochaine et assurée des menaces divines.

Un autre prophète reproche aux Juifs, comme une faute grave, d'avoir offert du vin aux Nazaréens. (Amos, II, 12.) Mais si cette action mérite un blâme sévère, quel supplice ne doit pas attendre le téméraire qui répand dans un coeur simple et innocent le breuvage empoisonné de l'erreur? Le Seigneur punit avec rigueur sur les Israélites la transgression de sa loi, même dans une de ses moindres prescriptions ; et il ne châtierait pas sévèrement l'audacieux qui par ses discours renverse tout l'ensemble des préceptes évangéliques ! Celui, dit Jésus-Christ, qui scandalise un de ces petits qui croient en moi, mériterait qu'on suspendît une meule de moulin à son cou, et qu'on le jetât au fond de la mer. (Matth. XVIII, 6.) Tremblez donc, ô vous qui ne scandalisez pas seulement quelques enfants, mais des multitudes entières ! L'Evangile nous assure que celui qui aura appelé son frère du nom de fou, n'évitera point les flammes de l'enfer : quels trésors de colère armassent donc sur leurs têtes les imprudents qui calomnient cette belle vertu qui nous égale aux anges !

Vous n'ignorez point que Marie, sueur de Moïse, fut sévèrement punie pour avoir murmuré contre son frère. Mais combien ses murmures comparés à vos blasphèmes, paraissent-ils légers et modérés ! Loin de calomnier Moïse et de déprécier son mérite, elle l'entourait d'estime et de vénération , et se bornait à dire qu'elle aussi possédait l'esprit de Dieu. Et cependant le Seigneur jugea que cette seule parole était une faute si grave qu'il repoussa les prières mêmes du frère qu'elle avait offensé, (137) et qu'il ne voulut point abréger la. durée de son châtiment.

22. Mais que parlé-je de Marie? Avez-vous oublié ces quarante-deux enfants des environs de Bethléem, qui par moquerie crièrent au prophète Elisée : Monte, chauve! (IV Reg. II, 23.) Cette raillerie irrita profondément le Seigneur, et sur-le-champ il envoya contre eux deux ours qui les dévorèrent tous. Rien ne les excusa devant lui, ni leur âge, ni leur nombre, ni le prétexte d'un simple badinage. Et certes ils méritaient bien ce châtiment. Supposons en effet que l'homme qui s'est imposé les rudes sacrifices de la virginité, puisse devenir impunément le jouet des grands et des petits; et dites-moi quel est celui dont le courage ne reculera pas en présence d'une perspective assurée de moqueries et de sarcasmes? Il n'y aurait qu'une âme suréminemment forte et généreuse qui pût embrasser une vertu ainsi ridiculisée. Aujourd'hui que la virginité excite dans ceux qui s'y dévouent un pieux enthousiasme, et même dans ceux qui s'en éloignent, une profonde admiration, elle ne rencontre encore trop souvent que des esprits craintifs et des coeurs pusillanimes : qui donc la choisirait pour son partage, si au lieu de respectueux hommages elle ne recueillait que le mépris et le blâme? Sans doute il est quelques âmes grandes et magnanimes, qui vivent déjà dans le ciel, et qui dédaignent les louanges du monde. L'approbation du divin Epoux suffit à leur bonheur. Mais permettons à celles qui sont moins énergiques et moins exercées de s'aider un peu de nos encouragements, jusqu'à ce que l'expérience des combats et de la victoire leur rende ce 'secours inutile. Au reste le châtiment qui vengea l'honneur d'Elisée, et qui punit ces enfants, fut salutaire à ceux-ci même dans sa rigueur, car en les retirant du monde, il les empêcha de commettre de nouvelles fautes.

Ce trait en rappelle un autre du même genre. Si deux ours mirent en pièces quarante-deux enfants pour venger Elisée, deux fois le feu du ciel consuma une compagnie de cinquante soldats pour venger son maître Elie. Ces hommes avaient crié moqueusement à Elie qu'il descendît de la montagne, et voilà que la foudre éclatant soudain les frappa tous ensemble. Ah ! méditez ces effrayantes leçons, ô vous tous qui êtes les ennemis de la virginité ! Cessez du moins vos discours imprudents, mettez une porte et un verrou à votre bouche de peur qu'au jour du jugement vous ne vous écriiez, en voyant la splendeur des vierges : Les voilà ceux que nous avions en mépris et qui étaient l'objet de nos outrages! Insensés, nous estimions leur vie une folie et leur fin un opprobre , et les voilà comptés parmi les enfants de Dieu , et leur partage est entre les saints ! nous avons donc erré hors des voies de la vérité, et la lumière de la justice n'a pas lui à nos yeux. (Sag. V, 3.) Ces regrets seront inutiles, car le temps du repentir et de la pénitence ne sera plus.

23. Mais depuis ces terribles exemples lavertu n'a-t-elle jamais été outragée? Elle l'a été bien souvent, et dans bien des pays. Pourquoi donc tous les coupables n'ont-ils pas été punis? plusieurs ont été atteints par la justice divine, je pourrais erl citer de nombreux exemples, et les autres n'ont échappé que momentanément à son action. Car l'Apôtre nous apprend que : Les péchés de quelques-uns sont connus avant le jugement, et que d'autres ne seront découverts qu'après ce jour. (I Tim. V, 24.) Un législateur n'oublie point, pour effrayer le crime, de consigner dans ses lois les peines diverses dont il sera puni, de même Jésus-Christ sévit par intervalles contre les infracteurs de ses préceptes, afin que ce châtiment soit une leçon générale et permanente. Gravés sur l'airain de l'histoire, ces exemples avertissent les générations futures que si les mêmes fautes ne sont pas toujours suivies des mêmes châtiments ici-bas, elles n'en seront que plus sévèrement punies dans l'éternité.

24. Le coupable qui multiplie ses offenses, ét dont le Seigneur diffère la punition a donc bien sujet de craindre, loin qu'il doive s'abandonner à une aveugle confiance. Car le Dieu qui nous épargne dans la vie présente, nous condamnera avec le monde dans la vie future. Et ce n'est pas moi qui vous l'assure, mais l'Apôtre, ou plutôt Jésus-Christ lui-même dont il était l'interprète. Voici ce qu'il écrivait aux Corinthiens, au sujet des profanateurs de l'Eucharistie : Il y en a beaucoup parmi vous qui sont malades et languissants, et plusieurs sont morts. Que si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés de Dieu : mais lorsque nous sommes jugés, c'est le Seigneur qui nous reprend, afin que nous ne soyons pas condamnés avec le monde . (I Cor. II, 30-32.) Il est en effet des fautes (138) légères qu'il suffit de punir d'une peine temporelle pour arrêter de nouvelles chutes, et empêcher que les coupables n'imitent le chien qui revient à son vomissement. Mais il est aussi des péchés plus graves qui méritent d'être châtiés dans ce monde et dans l'autre. Enfin, il est des crimes si énormes qu'ils sont entièrement réservés aux feux dé l'enfer. Ceux qui les ont commis, ne sont pas même dignes d'être flagellés avec les hommes, c'est-à-dire en ce monde selon la parole du Psalmiste (Ps. LXXII, 5), et ils sont destinés à partager les supplices du démon. C'est pourquoi ils entendront cette parole foudroyante : Retirez-vous de moi, maudits, allez aux ténèbres extérieures qui ont été préparées pour le diable et ses anges. (Match. XXV, 41.)

Depuis Simon le Magicien (Act. VII), bien des prêtres ont acheté le sacerdoce; et parce qu'un nouveau Pierre ne leur a point reproché cet indigne sacrilège, croyez-vous qu'ils en éviteront le châtiment? Non, sans doute : et je dis même que ce châtiment sera d'autant plus terrible que l'exemple de Simon ne les aura pas corrigés. C'est ainsi encore que plusieurs imitent la faute de Corée (Nomb. XVI), sans partager sa punition, parce que la justice divine leur en réserve une plus grande. Tous ceux qui renouvellent l'impiété de Pharaon (Exod. XIV), ne sont point, comme lui, submergés sous les flots, mais ils seront un jour plongés dans un étang de feu. Enfin la vengeance céleste ne frappe pas immédiatement tous ceux qui blessent la charité fraternelle (Match. v), parce qu'elle se réserve de les atteindre dans l'éternité. Ne croyez donc point que les menaces du Seigneur ne soient qu'une vaine parole; il les réalise même quelquefois 'sous nos yeux, comme nous le voyons à l'égard de Saphire (Act. V), de Charmi (Jos. VII), , d'Aaron et de plusieurs autres (Nomb. III), afin de détromper, les esprits incrédules. Ainsi le pécheur serait bien téméraire s'il continuait à s'abuser lui-même, en se promettant une heureuse impunité. Sans doute, Dieu est indulgent, mais c'est pour nous donner le temps de nous repentir, et jamais il n'a promis l'impunité au coupable endurci.

Je pourrais poursuivre ce sujet, et montrer quel sort funeste se préparent les détracteurs de la virginité. Je m'arrête néanmoins : ces quelques mots suffisent pour contenter des esprits sages; et de nouveaux développements ne sauraient ramener des esprits rebelles et insensés. C'est pourquoi je ne veux désormais m'adresser qu'aux premiers, et j'aborde enfin avec eux l'explication de ces paroles de l'Apôtre : Sur ce que vous m'avez écrit, je vous dirai qu'il est avantageux à l'homme de ne s'approcher d'aucune femme. (I Cor. VII, 1.)  Ecoutez donc, ô vous qui condamnez le mariage, et vous aussi, qui l'élevez au-dessus de la virginité ! ces paroles de saint Paul, et celles qui les suivent, vous imposent également un respectueux silence.

25. Le mariage est bon, puisqu'il retient l'homme dans le devoir, et l'empêche de tomber dans la fornication. Ne le condamnez donc point, car il est fécond -en heureux résultats. Par lui les membres de Jésus-Christ ne deviennent point les membres d'une vile prostituée, et le temple saint de notre corps n'est point profané. Oui, le mariage est bon; il soutient le faible, et il affermit ses pas. Mais cet .appui est inutile à l'homme fort et robuste, et loin de lui être nécessaire , il ne ferait que semer sur sa route mille obstacles qui entraveraient sa marche, et diminueraient sa gloire et son mérite.

26. Donner une armure au combattant qui peut vaincre sans ce secours, ce n'est pas lui rendre service, c'est au contraire lui faire injure, c'est lui ravir l'admiration des spectateurs, et dépouiller sa couronne de son plus bel éclat. Elle ne permet en effet ni à ses forces de se déployer tout entières, ni à sa victoire de briller de toute sa splendeur. Mais le mariage est encore bien plus funeste au mérite de la vertu, puisqu'il la prive des applaudissements de la foule, et, ce qui est plus grave, des récompenses réservées à la virginité. Aussi l'Apôtre conseille-t-il le célibat. Il permet néanmoins le mariage pour empêcher le dérèglement des moeurs. Je n'ose, semble-t-il nous dire, vous élever jusqu'à l'état sublime de la virginité, de peur que vous ne tombiez dans l'abîme de la fornication, car les ailes de votre âme sont encore trop faibles pour atteindre ces hauteurs célestes. Eh quoi ! ô bienheureux apôtre, ne voyez-vous pas cet essaim nombreux de vierges qui s'élancent au combat et à la couronne? pourquoi donc ces craintes et cette inquiétude? ah ! je crains, me répond-il, que le principe de cette ardeur ne soit l'ignorance: des périls et des difficultés. C'est l'expérience qui me rend si timide, et même si réservé à donner un conseil.

 

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27. Je connais, poursuit l'Apôtre, les difficultés de cette lutte, la violence de ces combats et les dangers de cette guerre. On ne peint vaincre l'ennemi que par une grande énergie de courage, et une entière mortification des sens. Il faut fouler des charbons ardents sans se brûler (Prov. VI, 28.), marcher sur un glaive sans se blesser. Les passions sont en effet un feu dévorant, et un glaive acéré; aussi notre âme ne peut se conserver pure et chaste qu'à la condition d'être invulnérable. C'est pourquoi nous devons donner à notre coeur la dureté du diamant, défendre le sommeil à nos paupières, et prescrire à notre esprit une exacte vigilance. Nous devons comme entourer notre âme de murs et de remparts sur lesquels seront placées de nombreuses sentinelles. Mais surtout il faut implorer la protection divine, car : Si le Seigneur ne défend une cité, inutilement veillent ses gardiens. (Ps. CXXVI,1.)

Ainsi parle l'Apôtre. Mais voulons-nous obtenir ces secours divins, soyons exacts à consulter des hommes sages, à nous fortifier par le jeûne et les veilles, à garder fidèlement les préceptes du Seigneur, et à ne mettre aucune confiance en nos propres forces. Et en effet quelque grands que soient nos travaux, nous devons toujours dire : Si le Seigneur ne bâtit lui-même une maison, les ouvriers auront travaillé en vain. (ibid.) Car nous avons à combattre non contre la chair et le sang, mais contre les principautés, contre les puissances, contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits de malice répandus. dans l'air. (Eph. VI, 12.) Il faut donc que nuit et jour notre âme soit disposée pour le combat, et toujours prête à repousser les attaques de l'ennemi. Eh ! ne voyez-vous pas le démon qui nous épie insidieusement, et qui, la torche à la main, s'apprête à incendier le temple de Dieu. C'est pourquoi soyons sur nos gardes, et ne nous permettons aucune négligence , car nous devons résister aux penchants de la nature, devenir les émules des anges, et disputer la palme de la pureté à ces pures intelligences. Terre et cendre, nous devons égaler les habitants des cieux, et faibles mortels- rivaliser avec des êtres immortels.

Qui serait donc assez insensé pour élever le mariage et ses jouissances au-dessus des nobles sacrifices de la virginité? C'est parce qu'il en comprenait toute la sublimité que l'Apôtre disait aux Corinthiens : Que chaque homme vive avec sa femme, et chaque femme avec son mari. (I Cor. VII, 2.) Il hésite à leur parler directement de la virginité, et semble n'insister que sur les devoirs du mariage. Son but est certainement de les amener à un état plus parfait, mais il n'en glisse d'abord que quelques -mots, il craindrait qu'une instruction trop prolongée ne blessât par sa sévérité des oreilles encore délicates. En effet l'orateur qui n'ourdit la trame de son discours qu'avec des sentiments austères et des pensées ardues, finit infailliblement par fatiguer son auditoire et par provoquer dans les esprits une réaction fâcheuse. Celui au contraire qui varie son discours, qui le compose de manière que les choses difficiles et pénibles qu'il est obligé de dire se fassent accepter à la faveur et sous l'enveloppe des choses aisées et commodes qu'il fait dominer à dessein dans la composition, celui-là s'attire la bienveillance de l'auditeur et réussit d'autant mieux à le persuader et à lui communiquer ses sentiments et ses pensées. C'est ainsi que l'Apôtre, après avoir dit que l'homme ferait bien de s'abstenir de la femme, parle aussitôt du mariage , et le conseille comme un moyen d'éviter le vice. On dirait qu'il ne se propose que d'expliquer les motifs de ce conseil, mais cette explication devient elle-même un éloge tacite de la virginité. Son silence parle éloquemment à la conscience de chacun; en effet, si vous comprenez que le mariage vous est conseillé non comme un état meilleur, mais seulement comme un frein à la violence de vos passions, vous rougirez de cette opinion injurieuse , et pour en secouer toute la honte, vous embrasserez la virginité.

28. Saint Paul nous dit encore: Que le mari rende à sa femme ce qu'il lui doit, et la femme ce qu'elle doit à son mari: car, poursuit-il en expliquant sa pensée, le corps de la femme n'est point à elle, mais à son mari; de même le corps du mari n'est pas à lui, mais à sa femme. (I Cor. VII, 3, 4.) Ces paroles qui semblent au premier abord ne se rapporter qu'au mariage, sont néanmoins comme un hameçon adroitement présenté pour attirer les Corinthiens à la virginité. Et en effet, puisque l'union conjugale nous ôte la libre disposition de nous-mêmes, qui ne se révolterait contre une loi aussi tyrannique? ou plutôt qui ne voudrait s'y soustraire par la profession de la virginité? Car, dès que le mariage est conclu, son joug ne peut être brisé. La réponse que firent (140) les apôtres au divin Maître, nous aide ici à pénétrer sûrement la pensée de saint Paul. Ils ne reconnurent les peines inhérentes au mariage qu'au moment où Jésus-Christ en prononça l'indissolubilité. C'est ce que l'Apôtre fait également. Jésus-Christ avait dit : Quiconque renverra sa femme, si ce n'est pour cause d'adultère, la rend adultère (Matth. V, 32) ; et saint Paul dit qu'aucun des deux époux n'est maître de lui-même. Les expressions sont différentes, mais la pensée est la ,même, bien plus le précepte de l'Apôtre aggrave le joug du mariage; car Jésus-Christ défend seulement au mari de renvoyer sa femme, et saint Paul veut qu'il lui soit assujetti. Mais n'est-ce pas river sur lui une chaîne plus pesante que celle d'un esclave? Celui-ci peut se racheter à prix d'argent; tandis que, du vivant de sa femme, fût-elle un tyran, le mari ne peut espérer sa liberté.

29. L'Apôtre poursuit son raisonnement; et après avoir dit que les deux. époux n'ont point la libre disposition de leur corps, il ajoute : Ne vous refusez point l'un à l'autre, si ce n'est d'un consentement mutuel, et pour un temps, afin de vaquer à' la prière; et ensuite vivez ensemble comme auparavant. (I Cor. VII, 4, 5.) Peut-être ici, plusieurs parmi les vierges s'effrayeront de cette excessive indulgence. Je les prie d'être sans inquiétude, et de ne pas blâmer témérairement le saint Apôtre. Cette recommandation paraît tout d'abord plus favorable au mariage qu'à la virginité, mais quand on l'examine de près on voit qu'elle revient parfaitement à ce que nous avons vu être la pensée intime du Docteur inspiré. Il importe donc de l'approfondir sérieusement, afin d'y trouver, non le propos d'une matrone instruisant de nouveaux époux, mais une communication vraiment apostolique. Mais pourquoi l'Apôtre s'arrête-t-il aussi longtemps sur ce sujet, et pourquoi ne se borne-t-il pas à ce qu'il a dit précédemment? Ces paroles : Ne vous refusez pas l'un à l'autre, si ce n'est d'un mutuel consentement , et pour un temps, sont-elles plus impératives que celles-ci: Que le mari rende à sa femme ce qu'il lui doit, car le corps du mari n'est pas à lui, mais à sa femmenon sans doute; elles sont seulement plus claires et plus explicites. C'est ainsi qu'autrefois Samuel énumérait aux Israélites les privilèges de la royauté, bien moins pour les engager à choisir et préférer cette forme de gouvernement que pour les en détourner, et leur en inspirer du dégoût. L'Apôtre insiste donc sur les lois tyranniques du mariage, afin d'en éloigner les Corinthiens. Aussi après avoir dit que les deux époux ne sont point maîtres de leur corps, ajoute-t-il: ne vous refusez pas l'un à l'autre, si ce n'est d'un mutuel consentement, et pour un temps, afin de vaquer à la prière.

Voyez donc avec quelle prudente habileté il amène les époux eux-mêmes à aimer la continence; il a d'abord loué cette vertu, et proclamé qu'il est avantageux à l'homme de ne s'approcher d'aucune femme, et il exhorte maintenant à la pratiquer en disant : Ne vous refusez point l'un à l'autre, si ce n'est d'un mutuel consentement. Pourquoi insinue-t-il, sous forme d'exhortation, ce qu'il veut dire, au lieu de le proposer résolument sous forme de précepte? car, remarquons-le, il ne dit pas Refusez-vous l'un à l'autre pourvu que ce soit d'un consentement mutuel, mais ne vous refusez pas l'un à l'autre à moins que ce ne sort d'un consentement mutuel. C'est que cette manière de s'exprimer est plus douce, et qu'elle rend ainsi plus parfaitement la pensée de l'Apôtre. Il est en effet bien éloigné d'exiger impérieusement la pratique d'une vertu qui doit être toute de bonne volonté. Enfin, pour gagner de plus en plus la bienveillance des Corinthiens, il abrège les enseignements austères, il n'y insiste pas de peur d'affliger les auditeurs, il se hâte de passer à quelque chose de plus agréable, s'arrêtant avec complaisance sur une matière qu'il sait conforme à leur goût.

30. II n'est pas sans intérêt de rechercher pourquoi l'Apôtre, qui veut que le mariage soit honoré, et le lit nuptial sans tache, recommande la continence aux époux pendant le temps qu'ils consacrent au jeûne et à la prière. Et d'abord rappelons-nous que les Juifs qui étaient tout charnels, qui pouvaient avoir deux femmes à la fois, et auxquels il était permis de les répudier et d'en prendre d'autres, durent néanmoins s'abstenir du mariage pendant plusieurs jours, afin de se rendre moins indignes d'entendre la promulgation de la loi. Eh ! quoi, nous qui vivons sous le règne de la grâce et de l'amour, nous qui avons reçu les dons de l'Esprit-Saint, nous qui, morts et ensevelis avec le Christ, avons été élevés à la dignité de l'adoption divine, nous ne saurions imiter l'exemple d'un peuple grossier et ignorant l Mais voulez-vous presser encore la question, et demander (141) pourquoi Moïse prescrivit alors la continence aux Juifs? Je vous répondrai que le mariage, quelque honorable qu'il soit, se borne à préserver l'homme du vice, et que la continence seule le rend pur et le sanctifie.

Ce sentiment au reste n'est point particulier à Moïse et à saint Paul; le prophète Joël ordonne également qu'aux jours du jeûne le peuple se réunisse, que les vieillards se rassemblent, et que l'époux sorte de sa couche, et l'épouse de son lit nuptial. (Joël, II, 15, 16). Cette parole du prophète aggrave même beaucoup la rigueur du précepte mosaïque, et, lorsqu'elle prescrit à deux jeunes époux de surmonter l'ardeur d'un plaisir nouveau, et de combattre l'instinct brûlant de la jeunesse et de l'amour, pour mieux vaquer au jeûne et à la prière , quelle excuse pourraient alléguer l'homme mûr ou le vieillard? Nous ne saurions en effet remplir convenablement le double devoir du jeûne et de la prière, si notre esprit ne se dégageait de toute pensée terrestre, non moins que de toute préoccupation d'affaires, et ne se recueillait profondément en la présence de Dieu. Le jeûne est souverainement efficace pour écarter toute sollicitude trop distrayante, et pour concentrer notre attention sur nousmêmes. C'est pourquoi l'Apôtre, qui envisage ces avantages, conseille la continence aux époux; mais admirez l'heureux euphémisme de son langage. Abstenez-vous du mariage, leur dit-il, non dans la vue d'une plus grande pureté, mais afin de vaquer plus librement au jeime et à la prière; il évite ainsi de leur présenter la continence sous tout autre aspect que celui du repos de l'esprit et de la tranquillité de l'âme.

31. Notre propre expérience nous apprend assez que, malgré tous nos efforts, pour nous tenir recueillis pendant la prière, le démon parvient à nous distraire; mais que ne ferat-il pas, s'il nous trouve tout dissipés, et tout préoccupés des plaisirs de la chair. Aussi, l'Apôtre conseille-t-il aux époux d'observer alors la continence, afin qu'ils se rendent plus facilement le Seigneur favorable, et qu'ils ne s'exposent point à l'irriter par une prière vaine et futile.

32. Nous voyons que le sujet en présence du prince, le particulier devant le magistrat, et l'esclave en face de son maître, ne parlent que les yeux baissés et l'esprit attentif. Viennent-ils, ou se plaindre d'une injure reçues ou solliciter unegrâce , ou demander le pardon d'une faute, toujours ils se tiennent profondément recueillis. Ils savent, en effet, que la moindre légèreté empêcherait le succès de leur démarche, et même serait sévèrement punie. Mais s'il faut tant de précautions pour apaiser la colère d'un homme; que deviendrons-nous, malheureux et infortunés , nous qui abordons avec une insouciante légèreté le Dieu souverain, contre lequel nous avons si souvent péché ! Oui, quel est l'esclave qui offense son maître, ou le sujet son roi, comme nous offensons le Seigneur? Jésus-Christ, pour nous le faire comprendre, compare les péchés contre le prochain à une dette de cent deniers, et les offenses à la Majesté divine à une dette de dix mille talents. C'est pourquoi l'Apôtre agit avec sagesse, quand il exhorte les époux à s'abstenir du mariage, dans les jours où ils veulent fléchir la colère du Seigneur, et obtenir le pardon de leurs fautes. Mes chers amis, semble-t-il leur dire, il s'agit du salut de votre âme; et plus ce salut est important, plus aussi vous devez être saisis de crainte, de trouble et d'effroi. Nous nous présentons devant un maître sévère, que nous avons souvent offensé, et qui exigera un compte rigoureux; ce n'est donc plus le temps des tendres caresses et des molles voluptés, mais bien celui des larmes et des gémissements, de l'humiliation et de la confession, du repentir sincère et de la prière fréquente. Heureux encore si nous pouvons, à ce prix, nous rendre le Seigneur propice et favorable. Ah ! sans doute, loin d'être dur et cruel, il est la douceur et la bonté même, mais la grièveté de nos fautes ne lui permet pas, malgré sa bonté, sa clémence et sa miséricorde, de nous accorder facilement notre pardon.

Telles sont les raisons pour lesquelles l'Apôtre prescrit la continence, pour vaquer au jeûne et à la prière. Comprenez-vous maintenant combien le joug du mariage est lourd et pesant. Je voudrais réaliser quelques progrès dans la -vertu, et m'exercer à la pratique du jeûne et du recueillement. Je voudrais purifier mon âme, et sur l'aile de la prière m'envoler aux cieux, mais mon épouse n'y consent point, et je dois m'incliner devant son caprice. Qu'elle est donc vraie cette parole de saint Paul : Il est avantageux à l'homme de ne s'approcher d'aucune femme! et les apôtres, eux aussi, avaient bien raison de s'écrier : Si telle (142) est la condition des époux, il n'est pas bon de se marier. (Matth. XIX, 40.) Cette exclamation était comme le cri d'une âme, qui comprend tout ce que l'union conjugale apporte avec elle d'entraves et de difficultés.

33. L'Apôtre n'insiste donc tant sur le mariage, que pour en mieux faire sentir tous les inconvénients. Que chaque homme, dit-il, vive avec sa femme, et chaque femme avec son mari. Que le mari rende à sa femme ce qu'il lui doit, et la femme ce qu'elle doit à son mari. Le corps de la femme n'est point à elle, mais à son mari : de même le corps du mari n'est point à lui, mais à sa femme. Ne vous refusez point l'un à l'autre, si ce n'est d'un mutuel consentement, vivez ensemble. (I Cor. VII, 2-8.) Les Corinthiens ne saisirent pas d'abord le but et l'intention de saint Paul, mais insensiblement ils pénétrèrent le sens caché de ses paroles. Le divin Maître avait aussi inspiré à ses apôtres le désir de la continence en leur exposant les lois du mariage dans son sermon sur la montagne, et dans plusieurs autres occasions. Car :un enseignement souvent répété ne peut manquer de se graver profondément dans l'esprit. Aussi l'Apôtre, à l'exemple de Jésus-Christ, revient-il fréquemment sur la question du mariage. S'il le permet, ce n'est jamais sans en expliquer les motifs; et ces motifs sont la fuite du péché, de la tentation et du vice. Jamais il n'oublie de mêler adroitement l'éloge de la virginité à ce qu'il dit du mariage.

34. Nous venons de voir que l'Apôtre n'ose conseiller aux époux une trop longue séparation, de peur que Satan ne les circonvienne. Quelles palmes et quelles couronnes ne méritent donc pas ceux qui, sans ce secours, savent toujours vaincre et triompher, et contre lesquels cependant le démon déploie toutes ses ruses et toute son audace ! Il est moins violent envers les personnes mariées, parce qu'il sait qu'au plus fort de la tempête elles trouvent dans le mariage un port et un refuge assuré. D'ailleurs l'Apôtre ne leur permet qu'une courte navigation, et il veut qu'ils reviennent promptement au rivage pour s'y reposer de leurs fatigues, et s'y abriter contre l'orage. Mais les vierges ne peuvent ni ralentir leur course à travers les ondes et les écueils, ni aspirer, au milieu des tempêtes, au calme d'une rive hospitalière. Les pirates craignent d'attaquer les vaisseaux qui ne s'éloignent qu'à une

faible distance du port ou de la rade, car ils s'exposeraient eux-mêmes à un très-grand péril. Mais s'ils rencontrent un navire en pleine mer, son isolement accroît leur audace. Ils l'abordent, et le combat ne cesse que par la prise et la perte des uns ou des autres. C'est ainsi que le démon, cet implacable ennemi de toute vertu, déchaîne contre les vierges les vents, les flots et les orages, et qu'il soulève tous les éléments afin de submerger leur frêle nacelle. II sait en effet qu'elles ne peuvent reculer, (Ephés. VI, 42.) et qu'il leur, faut sans cesse lutter contre les puissances du mal, jusqu'au jour où la mort les déposera au rivage sûr et paisible de l'éternité. Pour l'Apôtre, les vierges sont comme ces vaillants soldats qui dans une sortie voient les portes de la ville se refermer sur eux. La seule voie du salut qui leur reste est de vaincre un ennemi farouche, avec lequel elles ne peuvent conclure ni paix, ni trêve.

Attaquées parle démon avec une rage particulière , les personnes non mariées sont encore tourmentées par l'aiguillon de la concupiscence plus violemment que les autres. Il est évident pour tout le monde que la liberté d'user d'un plaisir, en ralentit le goût et l'ardeur. Et en effet rien de plus vrai que ce proverbe Ce qui est en notre pouvoir, émeut faiblement notre vouloir. Le contraire a lieu lorsqu'après avoir été à notre disposition, une chose nous est interdite : rien n'enflamme le désir comme la privation. Sous ce rapport le mariage offre donc un avantage; il procure plus de paix; si le feu de la concupiscence se rallume dans le coeur des époux, ils peuvent l'éteindre. Mais cette ressource est interdite aux vierges, elles voient les flammes s'élever autour d'elles et les entourer d'un réseau brûlant, et sans qu'il leur soit permis d'arrêter l'incendie, elles doivent se préserver de ses ravages. Etrange condition de la vierge chrétienne ! elle porte au-dedans d'elle-même un brasier ardent, et ne doit pas en être brûlée. Elle nourrit dans son sein une flamme dévorante, et doit en éviter les atteintes. Elle n'est pas libre d'en affaiblir les brûlantes ardeurs, en là laissant se répandre au dehors, et il faut qu'elle réalise dans son âme le prodige que l'auteur des proverbes déclare impossible dans le corps : Qui marchera sur des charbons ardents et ne se brûlera pas les pieds? Or, la vierge chrétienne est soumise à cette épreuve et elle la supporte. Le Sage (143) ajoute : Qui portera du feu dans son sein sans enflammer ses vêtements? (Prov. VI, 27, 28.) Et le coeur de la vierge est le foyer d'une flamme plus vive encore et plus dévorante, et vous oseriez égaler le mariage à la sainte virginité ! L'Apôtre vous le défend, et il trace nettement la ligne qui sépare ces deux états, quand il dit que : Le second s'occupe de Dieu, et le premier du monde.

Nous trouvons même un éloge tacite de la virginité dans l'obligation qu'il impose aux époux de ne point se refuser l'un à l'autre, de peur que l'incontinence ne donne lieu à Satan de les tenter. Ce mot incontinence nous révèle toute la pensée de l'Apôtre; il explique le principal motif de la loi du mariage, et il est en même temps la critique de notre lâcheté. Oui, qui ne rougirait de mériter ce reproche, et qui ne tiendrait à s'en justifier? Car saint Paul ne s'adresse pas ici à tous les époux; il parle seulement à ceux qui sont moins courageux, et il semble leur dire : Si vous êtes dominés par la chair et le plaisir, et si vous ne respirez que la volupté, connaissez votre épouse. Mais certes il y a dans ce langage plus d'ironie et de blâme que de louange et d'approbation. S'il n'eût voulu atteindre fortement l'époux voluptueux, il eût employé le mot de faiblesse, et non celui d'incontinence qui renferme un reproche, et presque un outrage. Une expression plus modérée et plus indulgente n'aurait pas aussi énergiquement stigmatisé notre lâcheté. Ainsi il regarde comme incontinents les époux qui ne peuvent clé temps à autre vivre comme frère et sueur.

Que peuvent maintenant alléguer ceux qui considèrent la virginité comme inutile? Plus elle est rigoureusement observée, et plus elle est glorieuse. Le mariage au contraire mérite d'autant moins notre estime qu'on en use avec moins de modération. En effet l'Apôtre a dit : Je permets le mariage, et je ne l'ordonne pas. (I Cor. VII, 6.) Ce qui n'est que toléré peut-il être méritoire? Mais le même apôtres objecterez-vous, a dit, en parlant des vierges : A leur égard je n'ai point de précepte du Seigneur. (Ibid. V, 25.) Pouvez-vous conclure dé là qu'il place au même. rang le mariage et la virginité? nullement. Il conseille la virginité et il tolère le mariage. Sans doute il ne présente comme obligatoire, ni la virginité, ni le mariage; mais que les motifs de cette double réserve sont différents ! Saint Paul ne fait point une obligation du mariage, afin de laisser toute liberté à ceux qui veulent s'en abstenir, et il n'impose point la virginité, afin de ne pas induire dans le péché ceux qui ne seraient pas assez forts pour en porter le fardeau. Je ne commande pas la virginité, dit-il, parce que j'en connais les difficultés, mais je ne prescris pas non plus l'usage indéfini du mariage, ce qui serait porter une loi d'incontinence. J'ai dit seulement aux époux : Ne vous refusez pas l'un à l'autre, pour vous empêcher de vous dégrader par le péché, mais non de vous élever à un état plus parfait. Ainsi le but et l'intention de l'Apôtre est bien moins de permettre indéfiniment l'usage du . mariage, que de tolérer la lâcheté des époux. Et si vous désirez connaître toute sa pensée, écoutez cette parole: Je voudrais que vous fussiez tous en l'état ou je suis moi-même. (I Cor. VII, 7.) Voudriez-vous donc abolir le mariage, ô grand Apôtre? Non sans doute, répond-il, puisque je ne le blâme, ni ne le condamne, puisque même je le permets comme un remède contre l'incontinence , néanmoins je souhaite que tous soient vierges comme moi. 

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Published by Monastère Orthodoxe de l'Annonciation - dans Enseignement spirituel

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