AVERTISSEMENT.
Les trois homélies suivantes, dont la première a pour texte les paroles de saint Paul : Propter fornicationes, etc., la seconde, roule sur la répudiation , la troisième sur le choix d'une épouse, ont évidemment été prononcées de suite. Un passage , au commencement de la seconde, montre qu'elle a suivi de près la première, dont le texte s'y trouve reproduit. La troisième dut pareillement être prononcée peu de jours après la seconde : nous en avons pour preuve le témoignage même du Saint dans son exorde. Il est principalement question , dans la première, de la célébration du mariage et de l'inconvénient des danses licencieuses, des chansons obscènes qui, au temps de Chrysostome, accompagnaient ordinairement cette cérémonie. L'orateur s'élève ensuite contre ceux qui persistent dans la fornication, même après le mariage, et aussi contre l'opinion mondaine qui réserve le nom d'adultère à l'infidélité des femmes mariées et à la complicité de leurs séducteurs. Dans le discours suivant, saint Jean Chrysostome traite de la répudiation, et conclut, contre les maximes et la pratique des Grecs de nos jours, qu'il n'est pas permis d'épouser une femme répudiée pour cause d'adultère. Enfin, le titre même de la troisième homélie, du choix d'une épouse dit assez quel en est le sujet. Chrysostome y fait l'éloge d'un Maxime, qu'il désigne en langage figuré comme son coadjuteur, et qui était peut-être cet évêque de Séleucie, en Isaurie, qui avait précédemment porté la parole à sa place : de ce même témoignage on peut inférer que saint Jean Chrysostome était alors évêque de Constantinople.
ANALYSE.
1° Effets de la parole sacrée. — Qu'il faut savoir maîtriser sa langue.
2° De la célébration du mariage. — Des abus qui l'accompagnent.
3° Que le démon a part à ces abus. — A quoi tend l'institution du mariage.
4° Réfutation de l'erreur mondaine concernant l'adultère.
5° Châtiment de l'époux adultère en ce monde et dans l'autre.
1. Je veux encore aujourd'hui vous conduire par la main vers les sources de miel, le miel étant une chose dont on ne peut se lasser. Telle est la nature des paroles de Paul, et tous ceux qui s'abreuvent à ces sources, parlent sous l'inspiration du Saint-Esprit; ou plutôt, la douceur du miel n'est rien auprès du charme attaché aux paroles divines. Et c'est ce que le prophète exprime en ces termes : Que tes paroles sont douces à mon gosier; ma bouche les préfère au miel. (Ps. CXVIII, 103.) Mais ce n'est pas seulement le miel que passe en douceur le charme des célestes paroles, c'est l'or, ce sont les pierres les plus rares qui lui cèdent en valeur, c'est l'argent le plus raffiné qui lui cède en pureté. Les paroles du Seigneur, dit le même, sont des paroles pures, un argent passé au feu, purgé de sa terre, sept fois purifié. (Psal. XI, 7.) Voilà ce qui faisait dire à un sage : Il n'est pas bon de manger beaucoup de (180) miel ; mais il faut honorer les paroles glorieuses. (Prov. XXV, 27.) En effet, le miel peut causer une maladie à l'homme sain, tandis qu'à l'aide de ces paroles, l'homme infirme peut se guérir; de plus, le miel se corrompt dans la digestion, tandis que les paroles divines, lorsqu'on les digère, deviennent encore plus agréables et plus salutaires, et pour ceux qui les ont goûtées, et en même temps pour beaucoup d'autres. Enfin, celui qui s'assied à une table matérielle où règne le luxe, la quitte souvent avec des nausées qui le rendent incommode à tout ce qui l'entoure : au contraire, celui qui exhale l'odeur de l'instruction spirituelle, délecte ceux qui l'approchent par des parfums enivrants. Aussi David, qui goûtait sans cesse à ce festin béni, a-t-il pu dire : Mon coeur a exhalé le parfum de la bonne parole. (Ps. XLIV, 2.) En effet, il est aussi une mauvaise parole, dont on peut exhaler l'odeur. Et comme dans les festins du corps, la nature des aliments détermine la qualité de l'odeur qui revient à la bouche des convives; ainsi, quand il s'agit de paroles, la qualité de celles dont on s'est nourri se reconnaît généralement à l'arrière-goût qu'elles laissent après elles. Par exemple, vous allez vous asseoir sur les degrés d'un théâtre, vous entendez des chansons lubriques : vos conversations sentiront encore les propos que vous aurez entendus. Mais vous venez à l'église, vos oreilles participent aux discours spirituels; votre bouche en rendra le parfum. De là cette parole du prophète : Mon coeur a exhalé le parfum de la bonne parole, par où il veut nous faire entendre l'aliment dont il avait coutume de se nourrir. Et Paul, sur la foi du prophète, nous exhortait en ces termes : Qu'aucun discours mauvais ne sorte de votre bouche ; que s'il en sort quelqu'un, qu'il soit bon. (Ephés. IV, 29.) Et qu'est-ce qu'un discours mauvais ? dira-t-on; si vous apprenez ce que c'est qu'un bon discours, vous connaîtrez en même temps ce que c'est qu'un discours mauvais, car ces deux choses sont ici opposées l'une à l'autre. Ce que c'est qu'un bon discours ! il n'est pas besoin que je vous l'apprenne, car Paul lui-même nous en a expliqué la nature. En effet, après ces mots: qu'il soit bon, il ajoute, propre à édifier l'Eglise, montrant par là qu'un bon discours est celui qui édifie le prochain. Par conséquent, si le bon discours est celui qui édifie, le discours mauvais et condamnable est celui qui détruit.
Ainsi donc, mon cher auditeur, si tu as quelque chose à dire qui soit propre à rendre meilleur celui qui t'écoute, ne reste pas bouche close en cette occasion de salut: mais situ n'as rien de pareil, et seulement des propos répréhensibles et dissolus, tais-toi, ne parle point contre l'intérêt du prochain. Car, c'est là un discours mauvais, puisque non-seulement il n'édifie pas l'auditeur, mais encore fait tout le contraire. En effet, si cet auditeur pratique la vertu, de tels propos lui inspirent souvent de l'orgueil; et s'il est nonchalant pour le bien, il redouble son indifférence. Si tu dois prononcer quelque parole licencieuse et grossièrement risible, tais-toi. Car ce discours est mauvais qui rend plus déréglés et celui qui le profère et celui qui l'écoute et qui ravive en chacun les ardeurs coupables. Comme le bois est la matière et l'aliment de la flamme , ainsi les mauvaises pensées sont attisées par les paroles. Il ne faut donc pas dire indistinctement tout ce que nous avons dans l'esprit; mais travaillons sérieusement à bannir de notre esprit même, et les désirs coupables, et toute pensée honteuse. Que si par hasard, et à notre insu, nous laissons pénétrer en nous quelque sale imagination, gardons-nous de la produire indiscrètement, et plutôt étouffons-la sous le silence. Voyez, en effet, les animaux farouches et les reptiles pris au piége ; s'ils trouvent quelque issue pour s'échapper, ils deviennent plus féroces après leur évasion; si au contraire ils restent enfermés sans répit dans leur prison, bientôt, pour une cause ou une autre, ils sont détruits et exterminés. Ainsi des pensées coupables: notre bouche, nos discours leur offrent- ils quelque issue, leur flamme intérieure en reçoit de nouvelles forces. Mais si l'on ferme sur elles la porte du silence, elles s'affaiblissent, et, réduites par notre retenue à une sorte d'inanition, elles meurent emprisonnées dans notre âme. Par conséquent, alors même que tu éprouverais quelque honteuse convoitise, si tu sais t'abstenir de paroles honteuses, tu éteins dans ton coeur la convoitise elle-même. Ta pensée n'est point pure, du moins que ta bouche le soit; garde-toi de jeter ces ordures à ta porte, de peur de nuire à d'autres et à toi-même. En effet, les paroles honteuses souillent non-seulement ceux qui les prononcent, mais encore ceux qui les entendent. Je t'invite donc et t'exhorte à fermer, non-seulement ta bouche, mais encore (181) tes oreilles à tous propos de ce genre, et à rester attaché d'une manière inébranlable à la loi divine. Telle est la conduite de l'homme que proclame heureux le Prophète : Heureux l'homme qui n'a point marché dans le conseil des impies, qui ne s'est point tenu debout dans la voie des pécheurs, qui ne s'est point assis dans la chaire de pestilence; mais sa volonté est dans la loi du Seigneur, et dans sa loi il méditera le jour et la nuit. (Ps. I, 1, 2.)
2. Dans les conversations du siècle, s'il se glisse parfois quelques bonnes paroles, c'est au milieu de mille propos méprisables, qui laissent à peine de la place pour un discours sensé. Il en est tout autrement des saintes Ecritures : là, vous n'entendrez rien qui soit mauvais, rien qui ne soit salutaire et rempli d'une profonde sagesse : tel est, par exemple, le texte qui nous a été lu aujourd'hui. Ce texte, quel est-il ? Quant aux choses dont vous m'avez écrit, il est avantageux à l'homme de ne toucher aucune femme. Mais à cause de la fornication , que chaque homme ait sa femme et chaque femme son mari. (I Cor. VII, 1, 2.) Paul décrète en cet endroit, au sujet des mariages ; il n'en rougit pas, il n'en éprouve point de honte. En effet, si son Maître a daigné assister à un mariage, si, loin de s'en abstenir par pudeur, il a au contraire honoré la cérémonie de sa présence et de son cadeau (et nul ne se montra plus généreux que lui pour les époux, puisqu'il changea l'eau en vin), comment l'esclave aurait-il rougi de décréter au sujet des mariages? Ce n'est pas le mariage qui est une mauvaise chose , c'est l'adultère, c'est la fornication. Or le mariage est un remède contre la fornication.
Evitons donc de le déshonorer par des pompes diaboliques, et que, à l'exemple des mariés de Cana en Galilée, ceux qui prennent femme aujourd'hui aient pareillement entre eux Jésus-Christ. Mais comment, dira-t-on, cela peut-il se faire? Par le simple ministère des prêtres. En effet, il est écrit : Celui qui vous reçoit me reçoit. (Matth. X, 40.) Si donc vous chassez loin de vous le diable, les chansons lubriques, les poésies voluptueuses, les danses déréglées, les paroles obscènes, et tout cet appareil diabolique , et ce tumulte , et ces rires à gorge déployée; si vous bannissez enfin toute indécence et que vous introduisiez les saints serviteurs du Christ, le Christ lui-même, en leur personne, sera là, n'en doutez point, avec sa mère et ses frères. Car il est écrit : Quiconque fait la volonté de mon Père, celui-là est mon frère, et ma soeur et ma mère. (Matth. XII, 50.) Je sais que quelques-uns trouvent importunes et fatigantes ces exhortations, ainsi que nos efforts pour déraciner un antique usage. Je ne m'en inquiète nullement, car je n'ai pas besoin de vous plaire, mais seulement de vous être utile: je n'ai pas besoin de vos applaudissements ni de vos éloges, mais de votre avancement et de votre instruction. Qu'on ne vienne donc point me dire que c'est un usage : dès que le péché se commet, cessez de parler d'usage. Si l'usage ne vaut rien , détruisez-le , quelque ancien qu'il puisse être; s'il est innocent, vous fût-il inconnu d'ailleurs, il faut l'introduire et l'implanter. Mais la preuve que ces pratiques indécentes ne proviennent point d'un antique usage, et sont au contraire des nouveautés, vous la trouverez en vous rappelant la manière dont Isaac épousa Rébecca, dont Jacob épousa Rachel. En effet, l'Ecriture raconte leurs mariages; elle nous apprend comment les jeunes femmes furent conduites chez leurs époux, et elle ne mentionne rien de pareil. Seulement le festin fut plus brillant que le repas habituel, et les parents furent invités à la noce: quant aux flûtes, aux cymbales, aux danses d'ivrognes, à toutes les indécences qui sont à la mode aujourd'hui, elles furent laissées à la porte.
Chez nous, l'on danse en chantant des hymnes en l'honneur d'Aphrodite, on entonne des chansons où il n'est question que d'adultères, d'épouses séduites, d'amours illégitimes, d'accouplements monstrueux, enfin d'impiétés et d'infamies de tout genre, et cela dans un pareil jour ; et c'est en état d'ivresse, c'est à la suite de tous ces dérèglements, c'est au milieu de propos obscènes que l'on fait cortège publiquement à la jeune épouse. Et comment donc, dis-moi , peux-tu exiger d'elle la chasteté , quand , dès le premier jour, tu lui donnes de pareilles leçons d'effronterie; quand tu exposes à sa vue et à son oreille des spectacles, des propos dont le récit ferait horreur à des esclaves un peu réservés? Quand le père, conjointement avec la mère, a consacré si longtemps toute sa sollicitude à veiller sur sa fille vierge, à empêcher qu'elle ne dît rien, qu'elle n'entendît rien de pareil; quand il a multiplié pour cela les précautions : chambres particulières, appartements réservés, gardiens, portes, (182) verroux, soin de tout fermer le soir, défense de se laisser voir, même aux parents, que sais-je encore ? tu arrives, et dans un jour tu détruis tout cet ouvrage, tu dépraves toi-même ta femme par une ignoble cérémonie, tu ouvres son âme au langage de la corruption ! Et d'où viennent, si ce n'est de là, les maux dont on se plaint ensuite ? d'où viennent les adultères et les jalousies? d'où viennent les stérilités , les veuvages, les morts qui font de petits orphelins? Quand vous appellerez les démons par vos refrains, quand vous comblerez leurs désirs par vos discours licencieux, quand vous introduirez dans vos demeures des mimes, d'infâmes histrions et tous les scandales du théâtre ; quand vous remplirez votre maison de prostituées et que vous y mettrez en fête et en branle toute la troupe des démons, quel salut, dites-moi, pouvez-vous encore espérer? Mais pourquoi faire venir des prêtres , quand le lendemain c'est une pareille fête que vous devez célébrer?
Voulez-vous déployer votre munificence d'une manière profitable? Invitez des pauvres en guise de danseurs. Mais vous avez honte, je crois, vous rougissez? Et quelle pire déraison que d'attirer le diable chez vous comme s'il n'y avait rien là de honteux, et de rougir quand on vous parle d'y laisser entrer le Christ ! Car, de même que les pauvres, en entrant, sont accompagnés du Christ, de même, au milieu des danses que forment ces mimes et ces infâmes, le diable est là qui prend part à la fête. En outre , de tels frais ne rapportent rien, ou plutôt ils produisent un grand dommage, tandis que la dépense dont je vous parle ne vous laissera pas longtemps sans une riche récompense. — Mais personne dans toute la ville ne s'est comporté de la sorte. — Eh bien ! songe à donner l'exemple et à prendre l'initiative de cette noble coutume, afin que ceux qui viendront ensuite t'en reportent l'honneur. Si l'on t'imite, si l'on t'emprunte cette pratique, les petits-neveux et les enfants des petits-neveux pourront dire à ceux qui en rechercheront l'origine : Un tel, le premier, a mis en honneur ce bel usage. Voyez ce qui se passe dans le inonde au sujet des jeux publics : c'est à qui, dans les festins, célébrera ceux qui se sont acquittés avec munificence de ces stériles devoirs ,envers l'Etat. A plus forte raison cette fonction spirituelle vaudra-t-elle des éloges et des actions de grâces unanimes à celui qui en aura pris l'admirable initiative et elle lui vaudra, en même temps, une réputation de munificence et profit. En effet, si d'autres suivent ce bon exemple, c'est à toi, qui auras semé, que reviendra le prix de la moisson. Ce mérite fera que tu seras bientôt père; il protégera ensuite tes enfants et sera cause que l'époux vieillira aux côtés de son épouse. En effet, si Dieu ne cesse de menacer les pécheurs, s'il leur dit : Vos enfants seront orphelins et vos femmes seront veuves (Exod. XXII, 24) ; à ceux qui lui obéissent en toutes choses il promet et une vieillesse heureuse, et tous les biens avec celui-là.
3. Paul nous apprend encore que les morts prématurées résultent souvent du grand nombre des péchés. C'est pour cela, nous dit-il, qu'il y a parmi vous beaucoup d'infirmes et de languissants, et que beaucoup s'endorment. (I Cor. XI, 30.) Mais, que la nourriture donnée aux pauvres prévient ces accidents, ou, dans le cas d'un malheur imprévu, y porte promptement remède, c'est ce que vous prouvera l'exemple de la jeune fille de Joppé. Elle gisait privée de vie, mais les pauvres nourris par elle l'entouraient : leurs larmes la réveillèrent et la rendirent à la vie. (Act. IX, 36.) Tant il est vrai que la prière des veuves et des pauvres est préférable à tous les rires et à toutes les danses ! - Ici, un plaisir éphémère : là un profit durable et constant. Songe au prix que valent tant de bénédictions réunies sur la tête d'une jeune femme, au moment où elle entre dans la maison de son époux. Combien de couronnes ne faudrait-il point pour en effacer l'éclat ! Combien d'or pour en. égaler la valeur ! aussi vrai que la mode actuelle est insensée et absurde au suprême degré. En effet, en admettant que nulle punition, nul châtiment, ne soit le prix de pareilles indécences, songez si ce n'est pas déjà un cruel supplice, que de supporter ce torrent d'injures en public, devant une foule qui les entend, de la part d'hommes ivres qui n'ont plus l'usage de leur raison. Les pauvres bénissent la main qui leur fait l'aumône, et forment mille voeux pour leur bienfaiteur; au contraire, les gens dont je parle ne quittent la table où ils se sont enivrés et repus que pour lancer les quolibets les plus orduriers à la tête des époux, et apporter à ce jeu je ne sais quelle émulation diabolique : on dirait que les mariés sont des (183) ennemis, tant leurs parents semblent faire assaut à qui profèrera sur leur compte les plus inconvenants sarcasmes; c'est comme une bataille rangée : et cette lutte entre les invités a pour résultat de remplir l'époux et l'épouse de honte et de confusion.
Faut-il maintenant, dites-moi, chercher une autre preuve que ce sont les démons qui, agitant leurs âmes, leur font tenir cette conduite et ce langage? Et qui donc pourrait contester, désormais, que ce soit l'impulsion du démon qui les incite à parler et à agir de la sorte? Personne assurément, car ce sont bien là les rémunérations du diable : injures, ivresse, déraison. Si maintenant quelqu'un tire un présage de l'invitation adressée de préférence aux pauvres, et juge que ce serait entrer en ménage sous de fâcheux auspices, je veux lui apprendre à mon tour que ce n'est pas l'accueil fait aux pauvres et aux veuves, mais celui qu'on fait à des infâmes et à des prostituées qui présage des afflictions de tout genre et des milliers de maux. Plus d'une fois, en effet, ce jour même vit un jeune époux arraché à sa nouvelle famille par les mains d'une courtisane qui, du même coup, éteignit en lui tout amour pour son épouse, ruina l'harmonie du ménage, rompit ses liens avant qu'ils fussent formés, et y jeta les semences de l'adultère. Voilà ce que devraient craindre les parents, ne craignissent-ils rien autre chose ! et ce serait assez pour qu'on dût interdire l'accès des noces aux mimes et aux danseurs. Car le mariage n'a pas été institué dans l'intérêt de la débauche et de la fornication, mais dans celui de la chasteté. Voici du moins ce que dit Paul : A cause des fornications, que chaque homme ait sa femme et chaque femme son mari. En effet, il y a deux raisons pour lesquelles le mariage a été institué : c'est à savoir, afin que nous soyons chastes, et afin que nous devenions pères: mais de ces deux motifs, le plus important est celui de la chasteté. C'est du jour où s'est introduite la concupiscence que s'est introduit le mariage, qui coupe court à l'incontinence, et amène l'homme à se contenter d'une femme. Car pour la procréation, ce n'est point tant l'effet du mariage que de cette parole de Dieu qui dit : Croissez et multipliez, et remplissez la terre. (Gen. I, 28.) Témoins tant d'hommes qui ont usé du mariage et ne sont point devenus pères. En sorte que la raison dominante est celle de la chasteté, surtout aujourd'hui que notre espèce a couvert la terre habitable. Dans le principe, chacun devait désirer d'avoir des enfants, afin de laisser un souvenir et une trace de son existence. En effet, lorsqu'il n'y avait point encore d'espérances de résurrection, et que c'était le règne de la mort, et que les mourants pensaient être anéantis à l'issue de leur carrière terrestre, Dieu donna aux hommes cette consolation de la paternité, en. sorte que ceux qui partaient se survécussent dans de vivantes images, que notre race se conservât, et que ceux qui allaient mourir aussi bien que leurs familles eussent dans leurs rejetons un sujet incomparable de soulagement.
Et pour vous faire bien comprendre que c'était ce motif surtout qui faisait désirer des enfants, je vous citerai la plainte de la femme de Job à son mari, dans leur adversité : Voilà, dit-elle, que tout souvenir de toi a disparu de la terre, tes fils comme tes filles. (Job, XVIII, 17.) Et de même Saül dit à David : Jure-moi dans le Seigneur que tu n'extermineras pas ma race et mon nom après moi. (I Rois, XXIV, 22.) Mais puisque désormais la résurrection nous attend à la porte, que la mort ne compte plus pour rien, que nous nous acheminons de cette vie vers une vie meilleure, tout soin de ce genre est superflu. En effet, si tu souhaites des enfants, il en est de bien meilleurs, de bien plus souhaitables, dont il ne tient qu'à toi d'être le père, maintenant qu'il existe des gestations spirituelles, des enfantements d'un ordre supérieur, et des bâtons de vieillesse d'une espèce plus précieuse. En conséquence, le mariage n'a qu'une fin, empêcher la fornication : et c'est pour ce mal qu'a été inventé ce remède. Mais si tu devais, même après le mariage, te laisser aller à la fornication,'c'est en vain que tu aurais eu recours au mariage, c'est inutilement, c'est sans profit. Que dis-je? ce n'est pas seulement pour rien, c'est plutôt pour ton malheur. En effet, la faute n'est point la même à commettre la fornication quand on n'a point de femme, et à y retomber après le mariage : dès lors ce n'est plus fornication, c'est adultère. Ce que je dis peut paraître étrange c'est vrai pourtant.
4. Je le sais: beaucoup de gens s'imaginent qu'on ne se rend adultère que par la séduction d'une femme en puissance de mari. Et moi je prétends que quiconque, étant marié, a des rapports coupables et illicites avec une femme, (184) fût-ce une fille publique, une servante, une personne quelconque non mariée, commet un adultère. En effet, ce n'est pas seulement la personne déshonorée, c'est encore l'auteur de son déshonneur, dont la qualité constitue l'adultère. Et n'allez point, en ce moment, m'alléguer les lois du monde qui traînent les épouses séduites devant les tribunaux et leur font subir un jugement, tandis qu'elles ne demandent point de comptes aux hommes mariés qu'ont débauchés des courtisanes. Moi, je vous lirai la loi de Dieu, qui sévit également contre l'homme et contre la femme, et les déclare pareillement adultères. Après ces mots: Et que chaque femme ait son mari, viennent les suivants: Que le mari rende à sa femme l'affection qu'il lui doit. (I Cor. VII, 3.) Que veut-il faire entendre par ces mots? Qu'il faut avoir l'oeil à ses revenus? garder sa dot intacte? lui fournir de riches vêtements? une table somptueusement servie? une suite brillante? une nombreuse maison? Que veux-tu dire? quelle est cette affection que tu prescris? Aussi bien toutes ces choses sont-elles des preuves d'affection. Rien de tout cela, répondra Paul: je ne prescris que la continence et la chasteté. La personne de l'époux n'appartient plus à l'époux, mais à l'épouse, qu'il lui garde donc intacte cette propriété, qu'il n'en dérobe rien, qu'il ne la dissipe point. En effet, on dit qu'un serviteur a de l'affection pour ses maîtres, lorsque, chargé de gérer leurs biens, il n'en laisse rien se perdre. Puis donc que la personne du mari est la propriété de l'épouse, l'homme doit montrer son affection en veillant bien sur ce dépôt. Et la preuve que tel est le sens de ces paroles de Paul: Qu'il lui rende l'affection qui lui est due, c'est qu'il ajoute aussitôt: La femme n'a pas puissance sur son corps, c'est le mari; de même le mari n'a pas puissance sur son corps, c'est la femme. (I Cor. VII, 4.) Par conséquent, si vous voyez une courtisane vous tendre des piéges, chercher à vous attirer, s'éprendre de votre personne, dites-lui : Ce corps n'est pas à moi, mais à ma femme; je ne puis en abuser, ni le livrer à une autre femme. Et que de son côté la femme agisse de même. En effet, sur ce point, les droits des deux sexes sont égaux. D'ailleurs, Paul accorde dans le reste une grande prééminence au mari, comme l'attestent ces paroles: Que chacun de vous aime sa femme comme lui-même; mais que la femme craigne son mari (Ephés. V, 33); et ailleurs : L'homme est le chef de la femme et enfin: La femme doit être soumise à sort mari. (Ib., 22.) De même dans l'Ancien Testament : Ton recours est en ton mari, et il sera ton maître. (Gen. III, 16.) Comment donc a-t-il pu établir sur ce point une réciprocité parfaite d'esclavage et de, domination? En effet, cette maxime : La femme n'a pas puissance sur son corps, c'est le mari; de même le mari n'a pas puissance sur son corps, c'est la femme, annonce l'intention d'établir une complète égalité : et de même que l'homme est le maître du corps de la femme, de même la femme, à son tour, est maîtresse du corps de l'homme. D'où vient donc qu'il ait institué une égalité si parfaite? C'est que dans tout le reste la prééminence est indispensable. Au contraire, dès qu'il y va de la continence et de la chasteté, l'homme n'a plus aucune prérogative à l'égard de la femme, et encourt le même châtiment, s'il vient à enfreindre les lois du mariage. Cela s'explique parfaitement. En effet, si ta femme est venue à toi, si elle a quitté son père, sa mère, et toute sa famille, ce n'est pas pour que tu l'outrages, pour que tu lui substitues une vile courtisane, pour qu'elle soit en butte à une guerre perpétuelle : tu l'as prise pour qu'elle fût ta compagne, ton associée, pour qu'elle fût libre, et jouît des mêmes droits que toi-même. N'est -il pas étrange que la dot qu'elle t'apporte soit l'objet de toute ta sollicitude, que tu évites soigneusement d'en rien distraire: et que ces trésors, bien plus précieux qu'une dot, je veux dire la continence et la chasteté, et ta propre personne, qui est sa propriété, tu les prodigues et les corrompes? S'il t'arrive de toucher à la dot, c'est à ton beau-père que tu rends tes comptes. Mais si tu attentes à la chasteté, c'est Dieu qui te les demandera, Dieu qui a institué le mariage, et de qui tu tiens ton épouse. Si vous en voulez une preuve, écoutez ce que dit Paul au sujet des adultères : Celui qui méprise ces préceptes, méprise non pas un homme, mais Dieu, qui nous a donné son Esprit saint. (I Thess. IV, 8.)
Voyez-vous combien les preuves abondent à l'appui de notre proposition qu'il y a adultère, non-seulement quand on séduit une femme en puissance de mari, mais encore quand on a commerce avec une concubine quelconque, dès lors qu'on est marié? En effet, de même que nous appelons la femme adultère, soit que son complice soit un valet ou tout autre, dès qu'elle (185) est infidèle à son mari; ainsi nous devons donner le même nom à tout homme infidèle à son épouse, fût-ce avec une courtisane, ou la première venue des femmes publiques. Veillons donc à notre salut, et ne livrons point notre âme au diable par ce péché. De là les ruines, de là les guerres sans fin dans les ménages; par là fuit la tendresse, par là s'évanouit l'affection. En effet, s'il est impassible qu'un homme chaste dédaigne sa femme et la méprise jamais, il est également impossible qu'un homme livré à la débauche et à l'incontinence aime son épouse, quand bien même elle aurait des charmes incomparables. De la chasteté naît la tendresse, et de la tendresse des biens sais nombre. Considérez donc les autres femmes comme étant de pierre, dans la conviction qu'une fois marié, vous ne pouvez jeter un regard d'incontinence sur une autre femme, épouse ou fille publique, sans tomber sous le grief d'adultère. Répétez-vous chaque jour ces paroles au fond de vous-même; et si vous voyez que la convoitise d'une autre femme est éveillée pour vous, et que cela vous fait trouver votre épouse déplaisante, entrez dans votre chambre, ouvrez ce livre, et par la médiation de Paul, par la vertu de ces paroles constamment répétées, éteignez cette ardeur.
Par là vous reprendrez de l'amour pour votre femme, en l'absence de toute passion qui diminue votre attachement pour elle; et non-seulement votre femme vous semblera plus aimable, mais vous paraîtrez vous-même bien plus digne de respect et de considération. Car il n'est rien, non, rien de plus vil qu'un homme marié qui tombe dans la fornication. Ce n'est point seulement devant son beau-père, devant ses amis, devant ceux qu'il rencontre, c'est devant ses propres serviteurs qu'il est forcé de rougir. Que dis-je? ce n'est rien encore; mais sa maison même lui paraît plus affreuse que le plus odieux cachot, parce que ses regards et son imagination sont constamment tournés vers la concubine qu'il aime.
5. Voulez-vous vous faire une juste idée de cette misère ? Considérez l'existence que mènent ceux qui soupçonnent leurs femmes, combien ce qu'ils mangent, combien ce qu'ils boivent leur paraît insipide. On dirait que leur table est chargée de poisons mortels. Ils fuient comme la peste une maison où ils ne trouvent que chagrins. Plus de sommeil pour eux, plus de nuits tranquilles, plus de réunions d'amis; les rayons mêmes du soleil ne luisent plus pour eux; il n'est pas jusqu'à la lumière, dont ils ne se trouvent importunés, et cela, non-seulement lorsqu'ils ont surpris leurs femmes en flagrant délit, mais sur un simple soupçon. Eh bien ! songez que ces souffrances sont également celles de votre femme, si elle vient à apprendre de quelqu'un, ou seulement à soupçonner que vous vous êtes abandonné à une concubine. Que cette pensée vous fasse éviter non-seulement l'adultère, mais jusqu'au soupçon de ce crime; que si votre femme vous soupçonne injustement, calmez-la, persuadez-la. Car ce n'est point par haine ou par déraison, c'est par sollicitude qu'elle agit de la sorte, c'est par un excès de crainte pour sa propriété. Car, ainsi que je l'ai déjà dit, votre corps est sa propriété, et une propriété plus précieuse que tout ce qui lui appartient d'ailleurs. Craignez donc de commettre à son égard la plus grande des injustices, craignez de lui porter le coup mortel. Si vous la méprisez, à tout le moins, redoutez le Seigneur, qui punit les adultères, le Seigneur qui a prononcé contre les fautes de ce genre les plus terribles arrêts. Car pour cette classe de coupables, ainsi qu'il est écrit : Le ver ne mourra point et le feu ne s'éteindra pas. (Marc, IX, 47.)
Mais si vous vous mettez peu en peine de l'avenir, que le présent du moins vous épouvante. En effet beaucoup d'hommes après s'être livrés à des courtisanes ont succombé justement et misérablement aux intrigues dont les avaient circonvenus ces prostituées, jalouses de les détacher de leur constante et légitime épouse, et de les enchaîner complètement à leur propre amour; elles mettent en oeuvre les sortilèges, préparent des philtres, organisent mille enchantements, et souvent, par là , causent à leurs amants d'accablantes infirmités, les jettent dans la langueur et dans la consomption, les précipitent dans un abîme de maux où ils trouvent la fin de leur vie terrestre. Si tu ne crains pas la géhenne, toi qui m'entends, redoute les enchantements de ces femmes. Lorsque par ton incontinence tu t'es privé de l'appui du Seigneur, quand tu t'es dépouillé toi-même de sa céleste protection, c'est alors que ta concubine, te trouvant sans appui, peut impunément, avec l'aide de ses démons qu'elle invoque, des amulettes qu'elle fabrique, des embûches qu'elle dresse; c'est alors, dis-je, qu'elle peut sans nulle peine consommer ta perte, après avoir (186) fait de toi un objet d'opprobre et de risée pour toute la ville, au point qu'il ne te reste plus même la consolation d'être plaint. Car il est écrit : Qui donc aura pitié de l'enchanteur mordu par un serpent et de tous ceux qui approchent des bêtes féroces? (Eccli. XII, 13.)
Je passe sous silence les pertes d'argent, les défiances quotidiennes, l'arrogance, l'orgueil, l'insolence dont les courtisanes accablent leurs folles victimes, supplice mille fois plus douloureux que la mort. Tu ne supportais pas de ta femme une parole un peu vive, et tu courbes la tête sous les soufflets d'une prostituée. Et tu ne sens point de honte, tu ne rougis pas, tu ne souhaites pas que la terre s'entr'ouvre pour t'engloutir? Comment oseras-tu venir à l'église, et élever les mains vers le ciel ! Comment invoquer Dieu avec cette bouche souillée par les baisers d'une courtisane? Et tu n'as pas peur, tu ne trembles pas, dis-moi, que la foudre, tombant du ciel, n'embrase ce front sans pudeur? Tu as pu cacher à ta femme ta trahison, mais tu ne la cacheras pas à l'œil qui ne s'endort point; car, à cet adultère qui disait Les ténèbres et des murs m'entourent; qu'ai-je à craindre? Le Sage a répondu que les yeux du Seigneur ont mille fois plus de lumière que le soleil, pour regarder les oeuvres des hommes. (Eccli. XXIII, 26, 28.) Voilà pourquoi Paul a dit toutes ces choses: Que chaque homme ait sa femme, et chaque femme son mari; que le mari rende à sa femme l'affection qu'il lui doit, et pareillement la femme à son mari. (I Cor. VII, 2, 3.) Un miel, découle des lèvres de la courtisane, lequel, sur le moment, flatte ton gosier; mais plus tard tu le trouveras plus amer que le fiel, et plus acéré qu'un glaive à deux tranchants. (Prov. V, 3, 4.)
Il y a du poison dans le baiser de la courtisane, un poison secret et dissimulé. Pourquoi donc courir après un plaisir réprouvé, pernicieux, qui cause des plaies incurables, au lieu de vivre dans le bonheur et dans la sécurité? Auprès de ta femme légitime tu trouves à la fois plaisir, sûreté, délassement, respect, considération et bonne conscience; là, au contraire, tout est amertume, tout est dommage, et tu es sous le coup d'une accusation perpétuelle. Car, à supposer même que personne ne t'ait vu, ta conscience ne cessera de porter témoignage contre toi; vers quelque lieu gaie tu t'échappes, partout te suivront les reproches, les cris formidables de cet implacable accusateur. Si donc vous recherchez le plaisir, fuyez le commerce des courtisanes. Car il n'y a rien de plias pénible que cette fréquentation, rien de plus intolérable que ces rapports, rien de plus infâme que cette société. Qu'elle soit ta biche la plus chère, ton faon de prédilection; que ta fontaine soit la source où tu puises. (Prov. V, 19 et 15.) Quand tuas sous la main une source d'eau limpide; pourquoi courir à un marais fangeux qui exhale l'odeur de la géhenne et des inexprimables tourments? Quelle est ton excuse? ton titre à la miséricorde? Si ceux qui, tombent dans la fornication avant le mariage sont punis et expient leur faute, comme celui, qui était revêtu d'habits sordides, à plus forte, raison les fornicateurs mariés. Car, dans ce cas, le grief est double et triple, et parce que, les consolations dont ils jouissent ne les ont pas empêchés de se jeter dans de pareils désordres,. et parce que leur crime n'est plus compté seulement pour fornication, mais encore pour adultère, ce qui est le plus grave des péchés.
Ne cessons donc point de nous répéter à nous-mêmes et de répéter à nos femmes ces maximes; et c'est pourquoi je veux finir moi-même sur ces paroles: A cause de la fornication, que chaque homme ait sa femme, et chaque femme son mari. Que le mari rende à sa femme l'affection qui lui est due, et pareillement la femme à son mari. La femme n'a pas puissance sur son corps; c'est le mari. De même, le mari n'a pas puissance sur son corps, c'est la femme. Conservons précieusement ces paroles dans notre mémoire; sur la place publique, à la maison, le jour, le soir, à table, au lit, partout enfin; méditons-les, habituons nos femmes à nous les citer, à se les entendre citer par nous, afin qu'avant passé chastement, la vie présente, nous soyons admis au royaume des cieux, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui, gloire au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.