11 mars 2016
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Notre saint Père Sophrone naquit à Damas, la patrie des mélodes, vers 550. Doué de rares aptitudes intellectuelles et d'un grand talent poétique, il y fit ses études et obtint le titre de "Sophiste"1. Mais, demeurant insatisfait par les sciences et désirant une plus grande perfection, il entreprit un pèlerinage en Palestine, en vue de vénérer les Lieux Saints et de s'entretenir avec les ascètes vivant dans les monastères et dans les déserts. Il parvint au monastère fondé par Saint Théodose (cf. 11 janv.) et y trouva là l'homme selon son coeur. Jean Moschos. Compatriote de Sophrone et de peu plus âgé que lui, celui-ci y était devenu moine et, par sa grande austérité de vie, il avait acquis, en plus de la connaissance de la philosophie et des sciences "du dehors", une admirable sagesse spirituelle. Il devint pour Sophrone, qui était resté dans l'état laïque, non seulement le frère et le compagnon mais encore le maître et le père spirituel. Unis par cette sainte amitié, les deux serviteurs de Dieu décidèrent de se rendre à Alexandrie, afin d'y acquérir une formation philosophique plus complète (578) auprès des savants qui s'y trouvaient, mais surtout pour y rencontrer des saints ascètes, "philosophes du SaintEsprit". Rendant visite un jour à l'un d'eux, le vénérable vieillard leur dit : « Fuyez, mes enfants, parce que le temps approche! Habitez dans une cellule, où vous voudrez, vivez dans la sobriété et dans la quiétude (hésychia), en priant sans cesse; et j'ai l'espoir que Dieu vous enverra sa connaissance pour illuminer vos esprits... »2. Ces paroles furent décisives pour inciter Sophrone à abandonner définitivement la vaine recherche de la sagesse humaine, et les deux amis entreprirent dès lors de vivre en étrangers et pèlerins à la recherche de la Jérusalem d'En-Haut, en recueillant partout où ils passeraient les enseignements et les traditions des Saints Pères.
De retour en Palestine, Sophrone fit sa profession monastique au Monastère de Saint-Théodose, et ils repartirent bientôt pour le Mont Sinaï, qui était alors illustré par de grands luminaires de la science ascétique comme Saint Jean Climaque (cf. 30 mars). Au bout de dix ans, ils reprirent leur vie errante à travers les déserts d'Egypte et de Palestine, pour y récolter les fleurs de leur Pré Spirituel Puis, sous la menace de l'invasion perse (vers 603), ils passèrent en Phénicie, visitèrent Antioche et les déserts monastiques de Syrie, Tarse (Cilicie) et Séleucie, puis ils revinrent en Egypte et restèrent plusieurs années à Alexandrie pour venir en aide, par leur éloquence et leur science théologique, au Patriarche Saint Euloge (cf. 13 fév.) et à son successeur Saint Jean le Miséricordieux (cf. 12 nov.) dans la lutte contre les monophysites. Ils réussirent à décupler le nombre des églises appartenant aux Orthodoxes à Alexandrie et ramenèrent également beaucoup de villages et de monastères dans le sein de l'Eglise. Pendant ces tournées missionnaires, ils ne manquaient pas de rassembler d'autres récits édifiants qui nous donnent une vivante image de la vie religieuse de cette époque. Atteint d'une maladie des yeux, Saint Sophrone en fut miraculeusement guéri par l'intervention des Saints Anargyres Cyr et Jean (cf. 31 janv.). En signe de reconnaissance il rédigea un grand recueil de leurs miracles, dans lequel il montrait que c'est seulement dans la communion de l'Eglise que l'on peut trouver la Grâce. Au cours de l'une de leurs visites, ils rencontrèrent un Ancien qui leur dit : « Rien d'autre dans l'Eglise n'a causé les schismes et les hérésies, sinon le fait que nous n'aimons pas pleinement Dieu et notre prochain »3
En 614, la nouvelle leur parvint que Jérusalem était tombée entre les mains des Perses, au prix de sanglants massacres et de pillages sans limites, et que le Patriarche Zacharie avait été emmené en exil avec la précieuse Croix. Les derniers temps semblaient arrivés et la recommandation de fuir ce monde, qu'ils avaient reçue au début de leur vie monastique, se faisait d'autant plus pressante que l'invasion perse menaçait maintenant l'Egypte. Saint Jean le Miséricordieux alla se réfugier à Chypre, sa patrie, où il mourut en 620, et les deux moines philosophes se rendirent à Rome, en s'arrêtant en route à Samos et à Chypre pour y rencontrer des hommes de Dieu. Pendant ce séjour à Rome, Jean, sentant sa fin prochaine, se mit à rédiger avec l'aide de Sophrone le compte rendu des entretiens spirituels qu'ils avaient rassemblés depuis des années. Puis il quitta le tumulte de cette vie pour passer à la quiétude éternelle (619), en recommandant à son frère et fils spirituel d'aller déposer son corps au Monastère du Sinaï. Imitant Joseph qui emporta le corps du Patriarche Jacob d'Egypte dans la terre de leurs pères (cf. Genèse 50), Sophrone s'embarqua avec douze condisciples. Mais, ayant appris qu'il était impossible d'aborder au Sinaï à cause des incursions arabes, ils allèrent inhumer le corps au Monastère de Saint-Théodose, où Sophrone s'installa pour y achever la rédaction du Pré Spirituel et d'autres oeuvres, comme les vies de Saint Jean le Miséricordieux et de Sainte Marie l'Egyptienne (cf. 1er avril).
Vers 627, Sophrone doit fuir de nouveau, cette fois-ci sous la menace de la conquête arabe, et il va se réfugier avec d'autres moines en Afrique du Nord. C'est là que Saint Maxime le Confesseur (cf. 21 janv.), fuyant pour sa part son Monastère de Chrysopolis devant l'invasion perse qui approchait de Constantinople, se joignit à eux, dans le monastère de fortune qu'ils avaient fondé, et se lia d'une profonde amitié spirituelle avec Sophrone qu'il appelle : « Mon seigneur béni, mon père et maître... ». C'est à son école que Maxime, le grand docteur de la Personne du Christ, qui jusque-là avait exercé surtout la profondeur de son esprit pour réfuter les doctrines origénistes, comprit que tout le mystère de la déification de l'homme et la réalité de notre salut résident dans la relation des deux natures, divine et humaine, en l'unique Personne du Verbe incarné, et qu'il forgea les armes nécessaires pour engager la lutte contre une nouvelle forme de l'hérésie monophysite : le monothélisme4 imaginée par l'empereur Héraclius et le Patriarche de Constantinople Serge dans l'espoir de rallier l'Egypte dissidente.
En 633, Sophrone retourne en Egypte, malgré son âge avancé, afin de lutter sur place pour la Vraie Foi. Refusant tout compromis sous prétexte d'obtenir une unité politique de l'Empire menacé de toutes parts par les Perses et les Arabes, il enseignait qu'il faut confesser deux opérations naturelles du Christ, et non pas une, puisqu'Il est à la fois Dieu et homme. Mais comme le Patriarche Cyrus, demeurait obstinément dans son hérésie, Sophrone se rendit alors à Constantinople pour se jeter aux pieds du Patriarche Serge, en le suppliant de revenir au dogme confessé par le Saint Concile de Chalcédoine, car la formule dogmatique de compromis qu'il avait proposée, sans réaliser l'union espérée, faisait dire aux hérétiques : « Ce n'est pas nous qui communions avec Chalcédoine, mais plutôt Chalcédoine avec nous! » Serge feignit de résoudre l'affaire, en interdisant de parler ni d'une, ni de deux opérations dans le Christ; mais celle-ci devait rebondir quelques années plus tard, au temps de la confession de Saint Maxime.
Lorsqu'à l'issue de cette mission Sophrone revint à Jérusalem qui, restaurée grâce aux efforts de Saint Modeste (cf. 16 déc.), était en deuil de son Patriarche, les habitants, les Clercs et les moines unanimes le contraignirent à accepter cette charge. Soumis à la volonté de Dieu, le vieillard entreprit de soutenir la foi de son peuple, menacée par les hérésies, et de raviver son espérance ébranlée par les invasions, dans des sermons et des hymnes liturgiques5 où la beauté poétique se met au service de la profondeur des dogmes. Dès son élection, il rédigea, selon l'usage, une Lettre synodale qu'il envoya aux Patriarches de Rome et de Constantinople pour leur proposer la communion de leurs Eglises respectives dans la même Foi. Cet admirable document6 est un exposé complet de la Doctrine de l'Eglise sur la Personne du Christ. Le Saint Patriarche y confesse un seul et même Christ, Fils unique de Dieu, qui opère les oeuvres de chaque nature, divine et humaine, conformément aux propriétés respectives de celle-ci. C'est le même Christ qui, sans confusion ou mélange (comme le supposent les monophysites) et sans séparation (comme l'impliquent les nestoriens), opère en tant que Dieu les miracles, et qui souffre en tant qu'homme, nous ouvrant ainsi, à nous autres hommes, la possibilité d'être unis à Dieu par la Grâce.
Saint Sophrone, dont toute la vie avait été placée sous le signe de la proximité des derniers temps, accédait au siège de Jérusalem au moment de la levée inattendue de l'Islam qui, unifiant les tribus arabes, s'abattait sur l'Empire chrétien en saccageant villes et campagnes. Damas fut prise peu de temps après son élection, et quelques mois plus tard, au début de 638, c'est la Ville sainte elle-même qui tombait aux mains des envahisseurs. Le Saint Patriarche obtint du calife Omar qu'il y entrât en pèlerin et non en conquérant, et qu'il garantisse la sauvegarde des sanctuaires chrétiens. Accablé par les fatigues de la Confession de Foi et par l'affliction de voir la cité sainte aux mains des infidèles, Saint Sophrone se retira une dernière fois, pour rejoindre la Jérusalem d'En-Haut, la Ville de la Paix, qui ne connaît ni trouble ni variation, le 11 mars 638 (ou 639).
1. C'est-à-dire professeur de rhétorique.
2. Pré Spirituel 110 (SC 12, 16 1).
3. Idem chap. 74 (SC 12, 115).
4. Encore sous sa forme du monoénergisme qui consistait à reconnaître dans le Christ une seule opération naturelle. Mais, comme l'opération et la volonté se rapportent également à la nature, l'une et l'autre variante de cette hérésie revient finalement au monophysisme.
5. Il composa en particulier la magnifique prière de la Bénédiction des Eaux, lue le jour de la Théophanie. On lui a attribué parfois à tort l'hymne Lumière joyeuse, composée par St Athénogène (cf. 16 juillet).
6. Traduction dans l'excellent livre de C. von Schönborn, Sophrone de Jérusalem, Vie monastique et confession dogmatique. "Théologie historique 20", Paris, Beauchesne. 1972. pp. 201-209.
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Vie des saints