par Igor I. Sikorski
Igor Sikorsky (1889-1972) fut un pionnier russo-américain de l'aviation, inventant et construisant et des aéronefs à voilure fixe et des hélicoptères. Il conçut et pilota le premier avion à plusieurs moteurs en 1913. Après avoir immigré aux États-Unis en 1919, Sikorsky fonda la société Sikorsky Aircraft Corporation en 1923, qui développa un hydravion qui permit à Pan-American Airways de traverser les océans dans les années 1930. En 1939, il conçut le premier hélicoptère viable américain, qui a lancé la configuration des rotors qui s’imposa par la suite chez la plupart des constructeurs. Le succès du prototype de 1939 fut suivi de l’hélicoptère R-4, qui en 1942 devint le premier hélicoptère produit en série.
Sikorsky, homme de science et de technologie et un grand industriel, fut un profond croyant, membre de l’Église orthodoxe. Il publia deux livres de spiritualité, un commentaire sur le Notre Père (The Message of the Lord's Prayer) en 1942, et Rencontre avec l’Invisible (The Invisible Encounter) en 1947, ainsi que plusieurs essais, dont « L’évolution de l’âme » et « À la recherche des réalités supérieures ». Nous présentons ici pour la première fois en français son commentaire sur le Notre Père. (Cette première partie sera suivie de deux autres parties dans les Bulletins futurs.)
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Notre Père qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien, pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons à nos débiteurs. Ne nous soumets pas à la tentation mais délivre-nous du mal. Car à toi appartiennent le règne, la puissance et la gloire, pour les siècles des siècles. Amen. (Mt 6, 9-13).
Préface.
Depuis des temps immémoriaux, les hommes ont associé le soleil et les étoiles directement ou de manière figurée à l’idée de la Providence divine. La puissance solaire, source de lumière et de vie, ainsi que la calme et mystérieuse beauté des étoiles apparaissaient comme un reflet des voies et de la volonté de Dieu. Pendant des milliers d’années, l’humanité a essayé de lire et d’interpréter ce message céleste. Un enfant ou une âme humaine primitive comprendrait ce message à sa façon. Il serait impressionné par la calme simplicité dans laquelle il percevrait une grandeur solennelle et mystérieuse. Un contemporain qui essaierait d’étudier et de réfléchir à ce sujet aurait les mêmes sentiments, mais il réaliserait, avec crainte, l’immensité, la splendeur et la puissance dynamique de l’univers-céleste matériel créé par Dieu.
Les idées développées ci-dessus reflètent quelque peu l’impression créée dans ma conscience par la Prière du Seigneur eu égard aux réalités invisibles du monde spirituel. Les phrases brèves consistant en quelque soixante-six mots sont simples et peuvent être comprises par un enfant. Mais lorsqu’on commence à réfléchir et à les analyser attentivement, on réalise petit à petit l’immensité écrasante du message. On comprend alors que la Prière du Seigneur ne dit pas seulement tout ce qu’une créature humaine se doit de demander à son Créateur, mais jette indirectement sa lumière sur plusieurs questions fondamentales, comme le sens de notre vie, ainsi que notre relation à Dieu et à l’univers.
À part le fait que ce soit la prière chrétienne fondamentale de l’Église et de la famille, la Prière du Seigneur s’adresse spécialement à l’homme pour être dite en privé, dans la solitude. Dans les versets qui précèdent immédiatement le texte, nous pouvons lire : « Mais toi, quand tu veux prier, entre dans ta chambre la plus retirée ; verrouille ta porte et adresse ta prière au Père qui est là dans le secret » (Mt 6,6).
Il serait difficile d’insister davantage sur la fait qu’au moins quelques fois, l’être humain doive se retirer dans la solitude, fermer sa porter à toute influence extérieure quand il adresse hardiment ce message spirituel au Créateur de l’univers.
Prenant ces indications au sérieux, j’ai commencé, à un moment de ma vie, à étudier et analyser sérieusement le texte de la Prière afin de comprendre, autant que je le pouvais, la pleine signification de la phrase que je prononçais. Souvent, me promenant seul à travers les forêts ou escaladant les montagnes, je réfléchissais à cette grande prière jusqu’au moment où je commençais à réaliser qu’à côté du sens immédiat de quelques phrases simples en apparence, la Prière comportait indirectement un message de grande et profonde envergure.
Dans les pages qui suivent, j’ai essayé de développer quelques idées personnelles et quelques conclusions à ce sujet.
La Prière du Seigneur
L’ingénierie électrique moderne sait comment envoyer simultanément plusieurs messages différents en se servant d’un seul fil. De même, le fondateur du christianisme, en plus de sa parole puissante et précise, avait l’admirable capacité de glisser, à souhait, plusieurs sens ou messages en une seule phrase. En guise d’illustration, prenons la discussion qui précède le récit de la parabole des vignerons (Lc 10, 1-8).
Le tragique dénouement de la vie terrestre du Seigneur approchait. La rupture entre lui et ses adversaires était complète ; ils cherchaient toute opportunité pour jeter le discrédit sur lui, et si possible, l’accuser. Un jour qu’il prêchait dans le Temple, les grands prêtres et les anciens s’approchèrent de lui et lui demandèrent par quelle autorité il faisait cela.
L’attaque était habile, probablement bien préparée. Cela se passait dans le Temple même où ses adversaires étaient maîtres et entendaient bien faire valoir leurs droits. Ils se devaient d’exiger une preuve patente de la personne qui prêchait dans le Temple. Ils se targuaient de détenir des accréditations célestes pour agir ainsi. La seule preuve probante pour les personnes rassemblées là aurait été un miracle évident. Moïse avait le pouvoir d’ordonner aux eaux de la Mer Rouge de se retirer, il pouvait faire se fissurer la terre, pour y engloutir les hommes qui osaient mettre son autorité en doute. Josué pouvait arrêter la course du soleil, etc. Ces histoires et d’autres semblables étaient crus au pied de la lettre par les gens de l’époque. On acceptait alors que ces miracles s’étaient vraiment produits ; c’est ainsi qu’un messager céleste devait donc prouver son autorité
Les grands prêtres savaient déjà que le Christ ne faisait jamais usage de son autorité miraculeuse pour prouver son importance personnelle. C’est pourquoi ils pouvaient s’attendre à ce que le Christ soit ne donne pas de réponse, soit qu’il les oblige à entrer dans une dispute théologique avec des adversaires habiles et malhonnêtes, devant un groupe de personnes ignorantes. Cela offrirait à ses ennemis l’occasion de le discréditer et de le dénoncer. Toutefois, ce plan échoua. Le Christ, de fait, ne fit pas usage de ses pouvoirs surnaturels ; il justifia sa position par une simple phrase et mit ses ennemis en déroute à tel point qu’ils n’osèrent même pas continuer la discussion. Cette réplique, elle-même en forme de question, était la suivante : « Le baptême de Jean, d’où venait-il ? Du ciel ou des hommes ? » (Mt 21,21 : Lc 20,4).
Cette phrase était une réponse complète : trois significations géraient les phases différentes de la situation :
1. Le Christ mentionne un témoin, sa qualité dont personne n’aurait osé mettre en question l’autorité et l’intégrité. Jean Baptiste, qui était déjà mort à cette époque, était considéré par les gens de Jérusalem comme un prophète ; cependant on savait que le Baptiste considérait le Christ comme plus grand que lui-même.
2. Certaines personnes, pourtant prêtes à écouter et accepter le Christ, pouvaient avoir été perturbées par les critiques et la méfiance des grands prêtres. La même phrase pourrait leur fournir un autre exemple : celui d’un homme qui prouvait par sa vie et sa mort être un prophète, tout en n’étant pas reconnu par les prêtres.
3. Les adversaires du Christ commencèrent la discussion afin de le discréditer. Par une simple phrase, sous forme de question, le Christ les obligea de répondre ; ce qui changea toute la situation. En se référant à Jean Baptiste, il était de leur devoir de scribes et de prêtres, soit de reconnaître et d’accepter un prophète, soit de le dénoncer comme imposteur. S’ils étaient incapables de faire la différence entre les deux ou s’ils n’avaient pas le courage de dire la vérité, ils prouvaient dans les deux cas qu’ils ne méritaient pas d’être les guides religieux du peuple.
Le Christ avait montré, en de nombreuses occasions, cette capacité remarquable de condenser une vérité vaste ou un message, en une petite phrase. Des expressions comme : « Rendez à César ce qui est à César… », ou : « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre », sont des exemples bien connus, utilisés par des incroyants aussi. On pouvait donc bien s’attendre à ce que dans la prière, qui est une des parties les plus importantes de tout l’Évangile, un message fort et profond y soit inclus. Il semble qu’il n’y ait aucun doute que ce soit le cas.
Me référant à la Prière du Seigneur, je suis un fondamentaliste, prêt à accepter chaque parole et phrase dans leur sens plénier, direct et complet. Il n’y a aucun doute historique au sujet de l’auteur de la prière. Même si nous imaginons que, par accident, la prière n’ait pas été écrite dans le véritable Évangile mais ait atteint l’humanité par quelque source obscure et douteuse, j’ai la conviction qu’il y aurait nombre de chrétiens intelligents et cultivés qui reconnaîtraient immanquablement l’Auteur sur base de la valeur spirituelle suprême et de la puissance de la prière. La prière serait alors tout simplement acceptée comme d’origine humaine ou surhumaine, selon notre reconnaissance de l’Auteur. Et nous serions biens inspirés de prendre chaque mot et chaque phrase dans le sens le plus direct et précis que nous sommes capables de comprendre.
L’importance universelle et remarquable de la prière est bien connue. Des centaines de millions de personnes la répètent chaque jour. Pour des millions, la Prière du Seigneur est sans doute le seul lien avec la religion. Pour nombre de personnes, en exil ou persécutées, qui ne disposent pas de la Bible et ne peuvent pas s’assurer d’une guidance nécessaire auprès d’un ami religieux, la prière mémorisée depuis l’enfance peut devenir le seul lien fiable avec les réalités supérieures de la vie.
Prenant en considération ces faits, nous pouvons facilement comprendre que l’Auteur a mis dans la prière un sens tellement grand qui ne couvre pas seulement tout ce qu’un homme peut demander à son Créateur mais qui comprend également, indirectement, des vérités majeures sur Dieu, sur l’homme et sa place dans l’univers.
Un enfant ou l’âme la plus simple peut comprendre cette grande prière apte à satisfaire ses besoins spirituels, et à guider le savant le plus sage jusqu’à la fin des temps.
Nous trouvons une soigneuse sélection de mots et d’expressions dans le texte de la prière de façon à en protéger le sens profond contre des changements dus aux traductions et à l’usure du temps. Des mots comme « juge » ou « despote », par exemple, peuvent avoir des significations dissemblables à différents moments de l’histoire et lorsqu’ils sont traduits dans des langues différentes.
Dans la Prière du Seigneur, nous trouvons donc de nombreux mots et expressions choisies de telle façon que le sens, indépendamment de l’influence du temps et des traductions, en soit préservé. Des mots tels que père, royaume, volonté, pain, tentation, terre etc. ont une signification précise et identique dans toutes les langues et époques. Il est vrai que quelques expressions et plus particulièrement les mots ciel et mal, s’avèrent des sujets très difficiles sur lesquels des opinions divergentes existent. Mais si controverse devait y avoir, elle ne serait pas due à l’emploi de mots particuliers ou de traductions mais bien au caractère profondément mystérieux des concepts que chacun de ces mots recouvre.
La signification de certaines expressions de la Prière du Seigneur s’est considérablement élargie grâce aux informations scientifiques modernes. Je crois cependant fermement vous livrer ici un développement correct des idées que les paroles mystérieuses et puissantes de la prière nous ont transmises. La mention du mot science peut demander quelque clarification. Dans le passé et parfois même aujourd’hui on a tenté de discréditer les sciences naturelles, en général parce que quelques découvertes semblent être en désaccord avec le livre de la Genèse ou quelque autre livre de l’Ancien Testament. Alors que de telles tendances ont jadis retardé le progrès scientifique, elles sont regrettables aujourd’hui parce qu’elles font du tort à la religion en l’associant à l’ignorance. Sans vouloir rouvrir le soi-disant conflit entre la science et la religion, ou plus exactement la théologie, je voudrais simplement mentionner que les premiers hommes qui trouvèrent et acceptèrent le Christ étaient des savants astronomes riches et étrangers. Ils ont à leur enviable crédit le fait d’avoir été parmi les premiers à reconnaître et à adorer le Christ, d’avoir été les premiers à l’aider de façon significative, parce que leurs dons opportuns et précieux ont sûrement aidé Joseph à entreprendre l’expédition en Égypte, nécessaire pour sauver la vie de l’enfant nouveau-né. Bien que la signification immédiate de l’étoile de Bethléem puisse demeurer inconnue, le sens indirect est clair et important. Il signifie que la science peut conduire les hommes au Christ et à Dieu.
La plupart des premiers chrétiens ne s’intéressaient pas aux sciences naturelles. Nous pouvons en comprendre facilement le motif. Selon les conceptions de la grande majorité des gens de l’époque, la terre formait la partie la plus importante et la base de l’univers avec le soleil et les étoiles comme accessoires seulement. Les premiers chrétiens croyaient que la terre allait être détruite bientôt, probablement du temps de leur vie ou peu après. La catastrophe serait suivie par la création d’une terre nouvelle; ce qui signifiait pratiquement pour eux un nouvel univers. Nos idées à ce sujet sont aujourd’hui tout à fait différentes. L’univers, dans lequel la terre n’est qu’un point minuscule s’est montré d’une majesté, d'une dimension et d'une beauté immensément plus grandes. Elle existe depuis probablement des centaines de milliards d’années et on peut raisonnablement penser que son avenir est d’un ordre semblable de grandeur. Alors que la destruction de la terre par le feu a été prédite dans le Nouveau Testament, cette catastrophe future peut être considérée comme un événement local, sans importance en dehors du système solaire. Il n’y a pas de doute que cet univers grand, majestueux et mystérieux demeurera encore pendant des milliards d’années comme monument visible de la puissance et de la sagesse du Créateur. Ce n’est pas sans raison qu’il s’ouvre à notre observation et notre étude par cette faculté mystérieuse de la vue combinée avec les caractéristiques assez rares de l’atmosphère terrestre, ce qui permet l’observation et l’étude des corps célestes. Et alors que tout être humain raisonnable devrait être intéressé simplement à cause de leur beauté et de leur majesté, une personne religieuse se doit, pour ces mêmes motifs, de s’y intéresser par révérence et amour pour son Créateur.
Un professeur âgé et respecté de l’Académie navale où j’étudiais me demanda un jour si j’avais lu les livres que mon père avait écrits ; il mit l’accent sur le fait qu’un fils doit s’intéresser à l’œuvre créatrice de son père. Je crois que cette sage suggestion peut s’appliquer directement au cas d’une personne religieuse qui considère le Créateur de l’univers comme son Père des cieux. Que dirions-nous d’un fils de Raphaël ou de Shakespeare, s’il existait, qui ne s’intéresserait pas à regarder ou à lire l’œuvre de son père ? Ou bien que dirions-nous d’un commentateur qui nous parlerait de Thomas Edison, en n’employant que des données biographiques mais qui se désintéresserait des écrits mêmes d’Edison comme sans importance ou du moins sans mériter une quelconque considération ? Les raisons pour lesquelles je mentionne ces idées, tout en discutant un sujet religieux, seront reprises plus tard.
Lorsque nous analysons la structure de la Prière du Seigneur, nous remarquons d’abord une composition symétrique précise qui en rend la mémorisation facile. Un enfant apprend et retient les vers beaucoup plus facilement que la prose, même s’il n’en connaît pas la différence. La forme en vers serait déplacée pour la prière à cause du caractère sérieux et solennel du sujet et parce que l’intention était clairement sa traduction en des centaines de langues différentes, mais la belle symétrie d’une formule mathématique précise convenait très bien.
Dans les structures qui suivent plusieurs faits intéressants se reconnaissent de suite.
Notre Père qui es aux cieux : la salutation.
La première prière traite principalement de la destinée finale et éternelle de l’humanité dans ses rapports à Dieu et à l’univers :
1. Que ton nom soit sanctifié,
2. Que ton règne vienne,
3. Que ta volonté soit faite,
4. Sur terre comme au ciel.
La deuxième prière considère spécialement les besoins matériels et spirituels du présent :
1. Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour,
2. Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés,
3. Et ne nous induis pas en tentation, mais délivre-nous du mal.
La conclusion :
Car à toi appartiennent le règne, la puissance et la gloire pour les siècles des siècles. Amen.
Quel que soit le sens que nous accordons aux nombres, nous savons que trois et sept sont employés de façon importante dans toutes les religions. La Prière du Seigneur se compose essentiellement de ces deux nombres. À part l’adresse, elle consiste en sept propositions précises, qui à leur tour présentent deux prières séparées différentes en trois phrases chacune et une conclusion.
Les trois phrases de la seconde prière se rapportent au temps présent et à notre niveau terrestre de vie. Le reste de la prière traite principalement d’un ordre plus élevé d’existence et d’événements. Les anciens écrivains inspirés avaient l’habitude d’appeler cet ordre, l’« éternité ». Ceci est en accord parfait avec les idées modernes ; ce n’est que maintenant que nous pouvons comprendre que l‘éternité n’est pas une répétition infinie de jours et de siècles mais une vie d’un ordre d’existence plus élevé au-delà des limites du temps.
En analysant la Prière du Seigneur, nous suivrons cette répartition en deux parties et nous étudierons chaque phrase. Nous essayerons de comprendre, entre autre, son sens direct et aussi ce que l’on peut considérer comme message inclus indirectement ou rendu dans des paroles profondément significatives de la plus grande des prières.
« Notre Père qui es aux cieux ».
Il est difficile de réaliser pleinement l’immense importance des deux premiers mots de la prière. C’est à peine si un livre entier pourrait communiquer le message d’une telle profondeur sémantique incluse dans ces deux paroles.
L’expression « Notre Père » nous est familière. Nous nous référons souvent à cette prière par ces deux paroles. Nous sommes quelque peu habitués à les prononcer de façon mécanique sans en réaliser vraiment la profonde signification. Une bonne partie des conceptions religieuses médiévales et même de l’époque contemporaine ne s’accordent pas sur la pleine signification de ces paroles. Pour être en harmonie avec ces conceptions désuètes, les paroles auraient du être : « Notre dictateur éternel et juge sévère », mais grâce à Dieu, ce n’est pas le cas.
Les mots « Notre Père » précisent et expliquent la relation qui existe entre Dieu et l’homme, en la comparant à l’expression très familière des relations humaines. Un sentiment irrésistible de confiance optimiste et d’espérance très joyeuse se crée dans le cœur de quiconque accepte ces paroles sérieusement avec leur sens plénier.
En général, un brave père humain est bienveillant à l’égard de son enfant. Il pourvoit à tout ce qui est nécessaire au développement de celui-ci, s’attendant à ne recevoir rien ou peu de choses en retour. Si nécessaire, un père peut imposer une punition temporaire afin d’améliorer le caractère et la personnalité de son enfant. Il ne lui causera cependant jamais des souffrances, à moins de croire qu’elles entraîneraient un bénéfice durable. La punition permanente la plus grande qu’un père humain puisse envisager, peu importe la faute commise, serait de renier son enfant pécheur et de lui donner l’ordre de s’en aller et de ne jamais revenir.
Si on croit profondément que même le meilleur et le plus noble des pères sur la terre doit se situer incomparablement en dessous du Père des Cieux, un être humain peut trouver un réconfort spirituel immense de pouvoir s’adresser au Seigneur de l’Univers par ces paroles « Notre Père ».
Il faut cependant reconnaître le fait que tous les êtres humains ne se considèrent pas comme des enfants de Dieu. Dans une des déclarations les plus sévères de l’Évangile, le Christ dit à un groupe d’adversaires : « Vous, vous êtes fils de votre père, le diable. C’est un assassin dès le début…. et un menteur » (Jn 8, 41).
On ne peut pas fermer les yeux sur une phrase aussi sévère et précise. Elle montre clairement que parmi les êtres humains, il y en a qui sont enfants de Dieu et d’autres pas. Il est hors de doute cependant qu’il y ait un troisième groupe, englobant sans aucun doute la plus grande partie de l’humanité. Ceci semble être la situation dans la parabole de l’enfant prodigue. Le jeune homme de l’histoire s’est servi de sa liberté pour s’en aller avec sa part de biens et « il gaspilla son bien dans une vie débridée » (Lc 15, 13). La logique de l’histoire consiste en ce que le jeune homme qui vivait de cette façon ne devint pas le fils du diable, ni même des ivrognes et des voyous en compagnie desquels il vivait et dépensait son bien. Il demeura toujours le fils de son père ; ce n’est qu’en partant qu’il se priva lui-même de recevoir la guidance et l’aide de son père. Finalement, lui-même se mit dans une situation de détresse et de danger. Réalisant ses fautes, il revint et fut accueilli par son père qui en exprima une grande joie et dit à son autre fils : « Car ton frère que voilà était mort et il ressuscite, il était perdu et il est retrouvé » (Lc 16,32).
Nous n’essayerons pas de discuter de ce vaste sujet en général, plutôt ce qui a rapport avec les idées inspirées par la Prière du Seigneur. La question fondamentale est celle-ci : « Est-il possible qu’un être humain tende ses mains vers Dieu et dise avec foi et espérance : « Notre Père » et que la prière n’aboutisse nulle part parce qu’il se pourrait que la personne en question ne soit pas digne de s’adresser à Dieu comme : « Notre Père » ? Y a-t-il une autorité qui puisse décider ou bien une loi qui pourrait indiquer si une personne déterminée peut s’adresser à Dieu comme « Notre Père » ?
L’auteur de ce texte croit sincèrement ce qui suit : La guidance de l’Église ou des prédicateurs a beaucoup de valeur et se révèle d’une aide précieuse pour assister quelqu’un dans sa quête spirituelle, mais aucune autorité ni institution ici-bas ne peut accorder ni refuser à quelqu’un le droit et l’occasion de s’adresser à Dieu comme « Notre Père ». Cette question ne concerne que la vie intérieure et spirituelle entre la créature et son Créateur.
En outre, plusieurs déclarations du Christ et plus encore ses actes justifient les plus hautes espérances dans ce domaine. Le jeune homme de la parabole ou la femme prise en flagrant adultère et même le larron sur la croix, qui avait probablement plusieurs vols et meurtres sur la conscience, n’encoururent aucun mot de condamnation. Ils furent tous considérés comme des enfants perdus de Dieu et non pas comme des descendants du diable.
Mais si c’est le cas, quels sont alors ceux à qui le Christ a adressé ces paroles terribles : « Vous avez comme père le diable » ? Sans pour autant vouloir me justifier par des raisonnements philosophiques ou scripturaux, je tiens cependant à développer ma pensée personnelle.
Parmi les différentes transgressions et fautes qui séparent l’homme de Dieu, on peut reconnaître deux groupes en général : celles qui concernent les faiblesses de l’homme en particulier et d’autres qui soulignent le pouvoir orgueilleux et auto-satisfait du mal. Ce dernier groupe semble être le plus dangereux. Il est caractérisé par une haine intentionnelle du Christ et une insulte à sa puissance divine. L’avertissement de Matthieu 12, 21 : « Tout péché, tout blasphème sera pardonné aux hommes, mais le blasphème contre l’Esprit Saint ne sera pas pardonné », ceci fut adressé à un groupe de Pharisiens qui disaient que le Christ chassait les démons par le pouvoir du malin. De même la phrase : «Vous avez pour père le démon » citée auparavant, était adressée à ceux qui disaient au Christ : « N’es-tu pas possédé par un esprit mauvais ? » (Jn 8,48). Le plus grand danger consiste donc en une haine délibérée, des insultes, des moqueries, à l’égard de la puissance divine et de la personne du Christ. De toute façon il est clair que, quelqu’un, animé de pareils sentiments, ne réciterait pas la Prière du Seigneur.
Ceci étant, l’auteur croit sincèrement qu’aucune permission ne peut être accordée ni refusée par aucune autorité sur terre et qu’aucune autorisation n’est nécessaire pour pouvoir dire cette grande prière. N’importe qui, ayant confiance, foi et amour pour le Christ peut entrer « dans sa chambre secrète, fermer la porte et prier le Père qui le voit dans le secret » avec l’espérance heureuse et assurée que sa prière sera entendue.
« Que ton nom soit sanctifié ».
Nous ressentons la signification de cette phrase dans notre for intérieur plutôt que d’en discuter les termes. Je crois qu’elle fut dite en relation avec la vie courante et encore davantage avec, en perspective, les destinées finales et l’ordre futur plus élevé de l’existence. Elle a aussi un autre sens et un autre but. Par le fait de pouvoir appeler le Créateur de l’univers « Père », l’homme peut se percevoir comme plus important que ce qu’il est. La deuxième phrase que l’homme prononce respectueusement, avec amour et de façon délibérée, comme s’il jurait sur sa vie et pour l’éternité, le remet à la place qui est bien la sienne. Cette place est très modeste en comparaison avec celui à qui il promet un profond respect et révérence pour toujours.
Je crois fermement, en me basant sur la logique et l’intuition, que les humains ici-bas ne soient d’aucune façon les seuls existants ou les êtres conscients les plus élevés, qui prononcent pareille phrase. Alors qu’un système planétaire proche d’une étoile doit être considéré comme une exception rare, cependant parmi une multitude immense d’étoiles dans l’univers, il est peu douteux que quelques unes au moins aient une multitude de planètes et il est probable qu’il y ait d’autres mondes habités que le nôtre. Si l’on comprend la religion non pas comme un produit de l’imagination humaine mais comme une réalité suprême, révélée par la puissance divine, il est simplement naturel de s’attendre à ce que des êtres spirituels éclairés par la même Providence divine et développés sous les mêmes lois fondamentales de l’univers, expriment leur révérence au Créateur de la même façon.
Des idées religieuses de tous les temps indiquent qu’à côté de notre sorte de vie matérielle, il y a aussi des degrés plus élevés d’êtres spirituels que nous croyons immortels, libres de toutes limitations et besoins, liés à notre existence physique, indépendants de la gravitation et pouvant apparaître n’importe où ils le désirent ou traversant l’espace plus vite que l’éclair. Ces êtres plus élevés, dont l’existence ne peut faire que l’objet de la foi, parce qu’on ne peut ni le prouver ni le réfuter, ne prient pas pour que le Royaume vienne parce qu’ils y vivent déjà. Mais voyant et réalisant la puissance de l’univers céleste divin, comme nous ne pouvons pas le rêver ni l’imaginer, ils expriment sûrement leur dévotion révérencielle d’une façon qui, si elle se ramenait aux maigres possibilités du langage humain, trouverait certainement sa meilleure expression dans les paroles : « Que ton nom soit sanctifié ».
Lorsque nous disons la Prière du Seigneur, nous nous unissons aux centaines de millions de chrétiens sur la terre et même à l’humanité entière parce que tous les hommes ont besoin des objectifs que nous demandons dans la prière, même si beaucoup ne s’en rendent pas compte. Mais les paroles : « Que ton nom soit sanctifié » détruisent, au sens figuré, les limites de notre petite planète. En les disant, nous nous sentons membres d’une immense famille d’êtres doués de conscience, à des degrés différents, qui habitent l’univers et sont unis dans la louange révérencielle de leur Créateur et Père commun.
Traduction Valère De Pryck.