Homélie de Saint Jean de Saint Denis
25 Mars 1962
L'Annonciation est la première fête de la Vierge Marie, Mère de Dieu et, en même temps, la conception de notre Seigneur Jésus-Christ. Cette double fête me pousse aujourd'hui à parler de la fraternité universelle.L’expression "fraternité universelle" se trouve dans le texte du rite antique des Gaules ; on dit aussi : "la communion des saints", mais je préfère "fraternité universelle", car j'ai souvent remarqué que les chrétiens n'ont pas le sentiment aigu de la fraternité universelle. Ils se ferment dans un cercle confessionnel, personnel, quelquefois même ils se placent comme des individus, face à Dieu, loin des hommes.
Quel sens donner à la fraternité universelle le jour de l'Annonciation ? Quel rapport existe-t-il entre elle et la fraternité universelle ?
Vous constatez tous que la technique a fait actuellement d'éminents progrès. Une des raisons de ce progrès, réside dans l'ensemble des personnalités connues qui inventèrent, trouvèrent, installèrent telle ou telle expérience. Mais il y a des milliers d'autres personnes anonymes qui ont collaboré et œuvré pour atteindre ces résultats. C'est le travail en commun de différents peuples, de sciences, ou de techniciens, un effort de longue haleine, séculaire pour pouvoir construire, par exemple, une machine qui, même perfectionnée, reste quand même une machine.
Le jour de la fête de l'Annonciation, j e veux que vous compreniez que Marie, Mère de Dieu, dans son obéissance et parfaite humilité, était forgée, modelée par une longue évolution de l'humanité. Nous connaissons la pureté d'un Joseph le Songeur, un des douze patriarches, nous connaissons les visions de Moïse, le Buisson ardent, nous connaissons l'esprit d'obéissance totale d'Abraham, nous connaissons d'autres grandes figures qui tissèrent progressivement cette fleur, cette coupe, ce chef-d'oeuvre de l'humanité ; mais en Elle palpite une multitude d'anonymes, d'ouvriers, coopérant à cette fraternité universelle, et réussissant, cette fois-ci, non à l'organisation d'une machine perfectionnée, mais à la personnalité la plus sublime engendrée par nous : Marie !
Je veux insister, j'insiste pour que vous preniez en considération combien d'actes de foi, de soumission, de contemplation, de pureté, de lutte, de multitudes de gestes ou d'actions imperceptibles sont parvenues toutes ensemble, lorsque le fruit était mûr et les temps accomplis, jusques à Marie. Ne pensez jamais que Dieu est un dictateur qui déciderait : bon, aujourd'hui, je veux les sauver. Pourquoi a-t-il tardé ? Pourquoi des centaines de milliers d'années ; ou je ne sais combien de temps, l'humanité a-t-elle attendu le Christ après le péché ? Parce que lui aussi attendait ce progrès, cette évolution, non seulement vers le mal, mais la progression vers le bien et, comme dit l'Ecriture : "La Sagesse se justifia dans ses enfants", c'est-à-dire que toute cette humanité a coopéré à la création de cette âme parfaite. Engendrée, ainsi que représente l'icône de l'Arbre de Jessé et non encore née elle accomplissait, dès son enfance les dernières étapes de l'évolution, afin que ses lèvres prononcent un jour : "Je suis ta servante" et accepte de devenir Mère de Dieu.
Mes amis, nous qui appartenons au Nouveau Testament, ainsi que l'humanité, mais nous, les chrétiens par excellence, nous devons apporter chacun notre part à la fin des temps, de telle sorte que cette Epouse que Paul nomme "sans rides et sans tache", l'Eglise parfaite - potentiellement elle est déjà là, en nous - devienne la Mère totale du monde déifié.
Prenez le goût d'être un humble collaborateur ; prenez le goût et dites en vous-même : Si dans ma vie, je n’ai eu qu'un peu de foi, si je suis arrivé à avoir un quart d'heure de pureté, si j'ai acquis une grande puissance de vertu - peu importe - j'ai toujours collaboré pour le monde futur, transfiguré qui sera à l'image des entrailles virginales de Marie, porteuse du Christ.
Parmi les ancêtres de la Vierge, vécurent des êtres sublimes, des êtres faibles et des pécheurs. Elle est fille de David ; David était l'inégalable psalmiste : Bonté, douceur, foi mais aussi, quel pécheur ! C'est lui qui nous a légué, après le meurtre, l'adultère, ce psaume nourriture de l’âme dans la pénitence : "Aie pitié de moi, Seigneur, selon ta grande miséricorde!" Il est notre pénitence, comme notre réjouissance.
Les ancêtres de la Mère de Dieu, grands ou petits, connus et inconnus, saints ou sages, collaboraient. Nous aussi, occupons notre place et pressons-nous de faire le mieux possible, rappelons-nous que nous sommes membres de la fraternité universelle. Nous construisons cette Eglise qui doit porter dans son sein le monde nouveau.
Il y a une collaboration universelle pour la paix du monde, la tranquillité et l'intérêt social, et c'est bien. Mais engageons-nous à ouvrir ce monde comme les entrailles oùDieu entre, réside, rayonne, pénètre tout.
Le danger de la fraternité universelle, n'est pas à notre époque dans ce qui est charitable ; il y a dans l'humanité plus de charité qu'autrefois, plus de vision universelle. Le danger est dans la charité parmi les frères, et il n'y en a guère, dans la préparation pour faire pénétrer l'Esprit-Saint qui descend sur terre, et l'ombre du Très-Haut pour qu'Il nous couvre et nous féconde par sa divinité.
Marie ! Tu es la plus grande œuvre accomplie par tous. Nous nous réfugions en Toi, nous cachons notre tête dans les plis de ton manteau, parce que Tu es cette humanité qui reçut Dieu, opposée à Eve qui s'écarta de Dieu. Porte-nous, protège-nous, fais comprendre aux chrétiens que ce n'est pas leurs propres destins qui sont intéressants, mais qu'ils sont appelés à travailler selon leur possibilité et les dons qu'ils possèdent, au ronde nouveau, transfiguré qui portera Dieu et dans lequel "Dieu sera tout en tous". Amen.