Roger-Michel BRET, prêtre
«La terre vierge dans laquelle fut façonné le Nouvel Adam , s'est établie sur la terre sans tache de l'héritage d'en haut.»
Saint Jean Damascène : Sur la Dormition de la Vierge
La terre d'août, jonchée bien avant l'automne de feuilles dorées par la sécheresse, une fois encore a reçu le corps de la toute pure. Marie, Mère de Dieu, s'est couchée volontairement pour mourir, pour rendre à la terre son corps tout préservé, pour rendre à son Créateur le sein qu'Il avait élu, le réceptacle du Fils unique, le temple terrestre de la Divine Trinité. Elle qui récemment se tenait droite aux pieds de Celui qui est mort dressé, voilà que maintenant et pour la dernière fois elle s'allonge.
La Mère se confie à la terre et sur elle se pose. Ce n'est plus l'oiseau céleste de la volonté divine, le lys immaculé plus rayonnant que la tunique de Salomon ; l'oiseau a replié ses ailes et délaissé les envolées, le lys a chu, défait de ses racines terrestres et célestes, tombé comme l'herbe des champs au temps de la moisson.
Couchée comme aux jours heureux de la grotte, l'inaltérée, la montagne imbrisable, le sein virginal se prépare au tombeau. Mais comme en elle sourd à jamais la vie, il n'est pas étonnant qu'épousant l'horizon, elle mette celui-ci en mouvement.
Voyez comme, des horizons lointains, surgissent les apôtres. Tous, sauf Thomas, sont réunis des extrémités du monde, avec Timothée d'Ephèse et Denys l'Aréopagite "…pour contempler le corps qui fut principe de vie... "(Saint Denys, Noms Divins 3, 2). Et Thomas cheminait. Voyez la convergence, vers la Jérusalem d'en bas, des présents sur la terre autour de la Terre-Mère ; foule rassemblée par le souffle immatériel dans la pesanteur de leur corps, la tristesse de leur âme, la joie de leur esprit. Ils entourent la partante et lentement, avec des hymnes inspirés, accomplissent les rites en une liturgie admirable, hommage des vivants. Puis vers Gethsémani la procession se fait. Sur le plat de la terre, chacun s'en va ému et l'on porte, gisante, l'Étoile du matin. Sur ce morceau de sol, sur ce pan de pays, dont le plan est connu, le corps étendu de Marie, la terre hospitalière, le cercueil, le rassemblement des apôtres, le déroulement de la procession, le thrène, le monde visible saisi par l'évènement, toutes ces attitudes étales tracent le "mouvement horizontal".
C'est la mort de Marie, dont nous savons maintenant qu'elle est dormition. Car voici : aussitôt, poussée complémentaire, vivifiant toute pesanteur, surgit le "mouvement vertical".
La tradition iconographique est très claire qui illustre les récits historiques : elle raconte ce qui est réellement advenu, peignant la réalité, la fait dans sa plénitude. Comme les témoins (martyrs) à travers leurs textes et leur dire, de même le "raconteur" n'oublie pas que le seul Dieu qu'il confesse est "Créateur du ciel et de la terre et de toutes les choses visibles et invisibles".
Voyez l'icône de la Dormition : le Christ est là debout derrière la couche de la Dormante. L'âme de Marie s'est échappée d'elle ; son Fils resplendissant tient cette âme en ses mains, lui communiquant ce resplendissement : naissance au ciel figurée par l'âme-enfant emmaillotée. Marie naît au ciel, portée par son Fils. Autour de l'Unique Engendré, voletant et Le servant, voyez les hiérarchies célestes, souffles, flammes, messages... Familière des anges, nourrie par eux dès la petite enfance, enseignée et visitée par Gabriel, plus vénérable que les Chérubins et plus glorieuse incomparablement que les Séraphins, l'épouse inépousée est accueillie comme la Reine. Souvent les portes de la Jérusalem d'en haut où le trône est préparé.
La migration sacrée s'opère en ce mouvement ascendant, en présence des témoins du ciel, dont les Prophètes, qui, de loin, annonçaient sa venue dans le temps. Depuis, ils sont en joie dans le temps sans déclin. Un parfum ineffable monte et s'exhale ; Thomas, arrivé si tard, en hume la fragrance : le tombeau vide ouvert à ses yeux incrédules émane comme une fleur rare. Rien ne peut retenir la Reine en sa partance. Un Hébreu, voulant profaner le lit funèbre dont il se saisit à deux mains, perdit l'usage de celles-ci et "apparut soudain mutilé, jusqu'au moment où, cédant à la Foi et au repentir, il vint à résipiscence" (Saint Jean Damascène, Dormition 2, 13). On voit sur certaines icônes Michel Archange trancher les poignets de l'égaré.
Maintenant le ciel et la terre sont mêlés en harmonie : chants, lumières, parfums, présences. Celui qui fit du trépas la source de la Résurrection, fait passer la Très Pure de la terre au ciel.
Endormissement de Marie puis éveil à la Vie sans crépuscule, soir de la vie terrestre et matin de la Vie nouvelle, douleur et joie se croisent.
A l'orée de la saison liturgique, projetant dès avant l'automne, sur l'hiver et sur l'univers son ombre lumineuse, la Croix vénérée au jour de son Exaltation trace les dimensions de l'équilibre spirituel.