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10 novembre 2024 7 10 /11 /novembre /2024 00:41
Le sexe passe par Dieu dans la Bible

Comment vivre une sexualité de don et d'accueil, à l'image de la relation à Dieu ? Le bibliste Philippe Levèbre éclaire pour nous le rapport tumultueux du sexe au sacré, du corps à l'esprit.

"Loth et ses filles", Albrecht Altdorfer (1537)

"Loth et ses filles", Albrecht Altdorfer (1537)

 

L’exultation extrême de la chair lors du face-à-face avec un être aimé désigne bien souvent dans la Bible la rencontre avec Dieu. Si le terme jouissance est limité dans le vocabulaire d’aujourd’hui au domaine sexuel, il est usité dans la tradition de l’Église comme une notion théologique. La jouissance désigne la fréquentation intense, délectable, de Dieu, la jubilation de le connaître et d’être connu par Lui, dont la chair demeure durablement déployée et heureuse.

Adam et Êve faisaient-ils l'amour au paradis ?

Une question a souvent été débattue dans l’Antiquité : l’homme et la femme au paradis faisaient-ils l’amour ? Pour certains, l’activité sexuelle, mélangée qu’elle est de concupiscence, ne peut être qu’une conséquence du péché. Pour d’autres, au contraire, les deux premiers habitants du jardin, qui étaient nus sans éprouver de honte (Genèse 2, 25), vivaient une sexualité à la hauteur de leur relation à Dieu : toute de don et d’accueil émerveillé. Le mot « Éden », qui est le nom donné au jardin ori­ginel, se retrouve en une forme très proche, édéna, en Genèse 18, 12. Trois messagers du Seigneur ont annoncé à Sara qu’elle enfanterait un fils dans sa vieillesse ; elle rétorque alors : « Maintenant que je suis usée, aurai-je du plaisir (édéna), alors que mon ­seigneur (c’est-à-dire Abraham) est vieux ! » L’usage de ce terme suggère rétrospectivement que le nom Éden est connoté sexuellement. Ainsi, parmi les délices du paradis figuraient les plaisirs de la rencontre charnelle.

"Devenir une seule chair"

Revenons au commencement. Dès que Dieu a conduit auprès de l’homme la femme qu’Il avait « bâtie », une promesse est lancée : ils deviendront « une seule chair » (Genèse 2, 21-24). On a eu tendance à limiter cette annonce à la seule activité sexuelle. Elle englobe en fait toute l’aventure que cet homme et cette femme vivront ensemble, dont la sexualité fait partie. « Devenir une seule chair » s’avère une formule très mystérieuse : quelle est au juste cette réalité de la chair que Dieu vient de créer ? Qu’est-ce que cette unité qu’Il appelle de ses vœux ? Toute la Bible nous l’apprendra : il n’y a pas d’unité, pas de communion de la chair, sans que Dieu la mène « ultimement » à terme. S’il faut évoquer les rencontres amoureuses d’Adam et de son épouse, postulons qu’elles se font dans l’enthousiasme de la chair confiante qui vit en Dieu un mystère d’unité, la chair de l’un s’ouvrant à la chair de l’autre.

Désir et connaissance

La formule stéréotypée « L’homme connut Ève, sa femme » (Genèse 4, 1)n’apparaît qu’au chapitre 4, une fois le paradis quitté. Le verbe connaître désignera régulièrement la relation sexuelle, mais ce verbe impose toujours la nécessité d’un discernement. Depuis les premiers chapitres de la Genèse, en effet, où le vocabulaire de la connaissance a été inauguré (qu’on se rappelle l’arbre de la connaissance du bien et du mal), nous avons appris qu’il y a connaître et connaître. La connaissance s’acquiert-elle, comme le serpent l’a évoqué (Genèse 3), en accaparant ce qu’on désire, sans en parler à quiconque, sans prendre de temps de l’attente ? Ou bien est-elle de l’ordre de la lente maturation, de la parole échangée, de l’intimité avec Dieu, comme le chapitre 2 de la Genèse le suggérait ? 

Dès lors, il conviendra toujours de s’interroger sur le sens « réel » de connaître, employé pour désigner la relation sexuelle. Chez certains, ce verbe renvoie à une expérience qu’ils s’imaginent maîtriser et qui donne lieu à des gestes machinaux et pos­sessifs ; les habitants de Sodome sont ainsi prêts à « connaître » (autrement dit : à violer) les deux visiteurs de Lot, puis les filles de Lot (Genèse 19, 5 et 8). Chez d’autres, au contraire, connaître évoque un chemin qui ouvre vers l’inconnu : un homme et une femme s’avancent l’un vers l’autre, sans que leur rencontre réponde d’emblée à un programme fait d’avance. Selon un des auteurs du livre des Proverbes, une des réalités « qui me dépassent » et « que je ne connais pas » est « le chemin de l’homme chez la jeune femme » (Proverbes 30, 18-19 ; cette formule a une possible connotation sexuelle).

Le sexe et la relation à Dieu

Ceux qui « connaissent » trop bien en matière sexuelle manifestent la relation qu’ils ont plus généralement avec les autres et avec Dieu. Tout ce qu’on fait subir sexuellement aux plus humbles du peuple, c’est à Dieu qu’on le fait subir. Au début des livres de Samuel, on nous présente deux prêtres qui desservent le temple de Silo. Or, ces comparses prennent pour leur usage le meilleur des sacrifices qui revient à Dieu, de même qu’ils violent les ­femmes qui participent au service du ­sanctuaire (1 Samuel 2, 12-25). 

Leur sexualité fondée sur l’abus exprime la relation –  ou plutôt la non-relation – qu’ils entretiennent avec Dieu. Pour eux, l’« autre » n’existe pas : ils mettent la main sur tout et sur tous. La vie sexuelle est donc régulièrement évoquée dans la Bible, de manière à la fois pudique et ferme, parce qu’elle met en œuvre tous les grands enjeux des humains avec Dieu et des humains entre eux : vivre dans la chair, être convié à la rencontre, faire un choix entre l’attitude préfabriquée et la découverte imprévue. Elle est souvent présentée sous des jours étonnants, comme pour nous rappeler que la sexualité n’est pas la seule affaire des humains : elle intéresse Dieu au premier chef, Lui le créateur de la chair et le maître des rencontres.

Abraham et Sara

Ainsi le peuple que Dieu se constitue commence avec un vieux couple, Abraham et Sara. Dieu n’aurait-il pu choisir un couple jeune, en forme, capable de procréer une race vigoureuse ? Non, il a préféré à cette image convenue des vieillards qui ont passé l’âge d’avoir des enfants et qui, quand ils pouvaient engendrer, n’ont pu le faire pour cause de stérilité (Genèse 11, 29). Quand Dieu répète à Abraham et à Sara qu’ils auront un fils, né de leur chair, chacun des deux rit (Genèse 17, 17 et 18, 12-15). C’est bien plus tard, alors qu’Abraham a 100 ans et Sara, 90, que voit le jour Isaac, un garçon dont le nom rappelle le rire dont ses parents avaient salué l’annonce de sa naissance (Genèse 21, 1-7).

Il faut lire tous ces chapitres qui suggèrent comment Dieu vient habiter les corps vacillants de ces ancêtres, comment il est présent dans la rencontre qui les amène à concevoir Isaac. Être issu d’Abraham et de Sara empêche donc que l’on se prévale d’une quelconque arrogance de la chair, comme si l’on devait sa naissance à la vigueur de puissants géniteurs inauguraux. C’est plutôt de l’impuissance qu’on est né, une impuissance visitée, intimement, par Dieu lui-même. Avec ceux qu’il a choisis, en tenant compte de leur fragilité et de leur incapacité, Dieu a suscité un fils et par lui un peuple nombreux. On pourrait multiplier les exemples dans la Bible de ce Dieu attentif à la fragilité de la vie, aux aléas de la sexualité, qui occasionne des rencontres improbables et prolonge des lignées contre toute attente.

Un Dieu gynécologue

Le sexe, c’est d’abord l’affaire de Dieu. La circoncision le dit déjà : le sexe masculin porte le signe de sa consécration à Dieu ; quant aux organes féminins, ils sont avant tout évoqués par Dieu lui-même. C’est Lui qui ouvre les matrices fermées (Genèse 30, 22 ; 1 Samuel 1, 5-6…), Lui qui veille au ventre qui conçoit (Genèse 30, 2…). Quand Rébecca, après une longue période de stérilité, se trouve enceinte (Isaac, son mari, a imploré le Seigneur pour qu’elle le soit), il est dit que, s’inquiétant des mouvements qu’elle sent dans son ventre, elle va « consulter le Seigneur ». Cette belle expression manifeste un Dieu gynécologue, au sens propre du terme : il connaît, lui d’abord, les femmes et leurs questions intimes et il leur donne une parole appropriée (Genèse 25, 21-23).

Jouir de la présence de Dieu en soi

J’ai parlé au début de la jouissance éprouvée à fréquenter Dieu. Parlons-en en nous laissant guider par les psaumes. Les psaumes usent souvent d’une terminologie audacieuse pour parler de l’expérience de Dieu. Dans le psautier, un des lieux clés de la rencontre avec Lui est le lit : un endroit où le corps alangui se laisse atteindre durant les heures calmes de la nuit. Toute la chair frémit à l’approche de Dieu : « La nuit même mes reins m’instruisent... Oui, mon cœur se réjouit et ma “gloire” jubile, ma chair même demeure en sécurité » (psaume 16, 7 et 9). La « gloire », un terme plutôt réservé à Dieu, désigne l’épanouissement chez un humain de la chair que le Seigneur a visitée. Le psaume 63 évoque la prière comme une entrevue amoureuse. Le psalmiste se souvient du Seigneur sur sa couche et affirme : « Je crie de joie à l’ombre de tes ailes... ta droite me soutient » (psaume 63, 8 et 9). Frémissement, cris, sensation de rassasiement, chair totalement confiante  : bien des textes évoquent la joie débordante du corps que Dieu aborde, ­touche, emplit.

La jouissance de la présence et de la parole de Dieu est une réalité ouverte dans la Bible : certains s’en « contentent », d’autres la conjuguent avec la joie des épousailles. Dans tous les cas, c’est une réalité d’exultation qui est offerte : la jubilation de la chair en Dieu qui est le cœur de notre foi.

Pour aller plus loin

> Retrouvez dans La Vie du 14 juillet l'intégralité de notre dossier "Bible et sexe"

Philippe Lefèbvre - publié le 15/07/2011

 

 

 

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