Par Julien Baumann
On estime à 154'000 le nombre d'orthodoxes vivant aujourd'hui sur le territoire helvétique*. D'horizons très divers (voir encadré), ils représentent la 4e religion de Suisse. Dans le cadre du Programme national de recherche 58, la sociologue Maria Hämmerli a mené durant une année et demie des entretiens dans 14 des 42 paroisses orthodoxes du pays. Jamais une telle étude n'avait été réalisée en Suisse.
L'implantation de l'orthodoxie a échappé jusqu'ici à l'attention du grand public. La chercheuse explique ce phénomène par l'omniprésence des questions soulevées par l'islam ces dernières années, la proximité culturelle de l'orthodoxie avec les pays occidentaux et surtout la volonté des orthodoxes de trouver des consensus.
Malgré cela, la communauté ne fait pas recours. « Nous ne nous sommes pas battus car nous estimons que la venue d'une paroisse doit se faire naturellement », précise Michel Quenot. La communauté a finalement trouvé une solution à Fribourg dans un ancien monastère.
Pour Maria Hämmerli, cette affaire illustre bien la propension des orthodoxes à vouloir s'intégrer sans faire de vagues. « Ils recherchent le consensus avec les autorités, plutôt que de défendre des revendications. » La sociologue cite d'autres exemples. « A Zurich, les orthodoxes ont accepté qu'on leur impose un projet architectural pourtant très éloigné de l'église qu'ils avaient prévu de construire. » Selon elle, c'est une particularité orthodoxe d’éviter les relations conflictuelles.
La chercheuse affirme encore qu'à ce niveau-là, les lois locales priment. Qu'en est-il de la pratique de la religion? « Le nombre de personnes présentes régulièrement aux liturgies dominicales est très faible par rapport au nombre d'orthodoxes déclarés », répond la sociologue. « Mais, ajoute-t-elle, les pratiques sont très variées et plus diffuses que dans le christianisme occidental. » Et de préciser que les églises sont bondées à Pâques et à Noël.
Même s'il s'agit d'une communauté assez discrète, elle exerce des influences à certains niveaux. « Les effets de l'orthodoxie se font sentir à un niveau micro-social ou individuel, lorsque des personnes se convertissent par exemple. » La principale incidence se produit dans certaines paroisses catholiques et protestantes. « Cela se traduit par la présence d'icônes et la reprise de certains textes patristiques », explique l'auteur de l'étude.
Mais Maria Hämmerli avoue que cet organe peine à réunir les nombreuses communautés représentées. Elle mentionne encore la création d’une assemblée des évêques de Suisse depuis mars 2010. Une structure trop récente pour qu’on puisse en mesurer l’impact, relève notre interlocutrice. Le dialogue avec les autres églises semble lui aussi harmonieux.
Simon Weber, porte-parole de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse, est d'avis que les orthodoxes ne sont pas isolés. « Ils sont membres à part entière du Conseil suisse des religions. Les relations que nous entretenons avec eux sont courtoises. »
* Le recensement national de 2000 dénombrait 131'900 orthodoxes en Suisse. Le nombre de 154'000 avancé ici provient d'une estimation faite spécialement dans le cadre de l'étude.
Selon les chiffres du recensement national de 2000, les orthodoxes établis en Suisse sont originaires à plus de 60% d'ex-Yougouslavie. Les autres communautés représentées proviennent principalement de Russie, de Roumanie et de Grèce. Environ un quart des orthodoxes détient le passeport suisse.
Ces derniers sont pour la plupart naturalisés ou de seconde génération. Aujourd'hui, une grande partie des communautés est implantée en Suisse alémanique autour des grandes agglomérations.
En Suisse romande, elles sont généralement installées dans la région lémanique. Les premières paroisses orthodoxes sont apparues dans la deuxième partie du 19e siècle au travers des communautés russes à Genève et à Vevey. Puis, dans le courant des années vingt, une paroisse grecque s'est établie à Lausanne.
Par vagues successives
Dès lors, les orthodoxes sont arrivés par vagues successives de migrations: dans les années 20 suite à la révolution russe, après la Deuxième Guerre mondiale pour fuir le régime communiste, puis dans les années 70-80 pour des raisons économiques.
La guerre en Yougoslavie dans les années 90 a provoqué de nombreux regroupements familiaux: des personnes travaillant déjà en Suisse ont fait venir leurs familles. La majorité des orthodoxes restés en Suisse sont ceux qui ont pu garder leur travail.
Les différentes paroisses dépendent de leur Eglise mère en fonction de la provenance de la communauté. La majeure partie des offices sont célébrés dans la langue d'origine, dans quelques cas en français et, plus rarement, en allemand. J. B.
La confession orthodoxe approche à petits pas de ses 1000 ans. Mais comment est-elle née? Pour faire court, disons que le statut particulier accordé à l'Esprit Saint a précipité le Grand Schisme de 1054.
Du coup, pour l'Eglise orthodoxe, cette option théologique implique entre autres « une liturgie ample et développée, tout comme la lecture en Eglise de la Parole de Dieu », détaille Antoine Reymond dans l'encyclopédie du protestantisme. Sans oublier une lecture privilégiée des Pères de l'Eglise – les premiers théologiens chrétiens.
Membres du Conseil oecumlnqiue des Eglises
Ce rapport au texte, note le pasteur vaudois, aurait pu rapprocher l'orthodoxie et le protestantisme naissant à l'époque de la Réforme. Mais ce dialogue n'a pas eu lieu. Il se nouera seulement au milieu du 20e siècle, quand les orthodoxes participeront à la création du Conseil oecuménique des Eglises.
Aujourd'hui, selon M. Reymond, si les divergences se focalisent notamment sur la question de l'opposition entre la foi et les oeuvres, l'apport spirituel des Pères orientaux est pour beaucoup une occasion d'approfondissement de la foi. S. R.