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13 novembre 2022 7 13 /11 /novembre /2022 00:08

 

Icône de la Vierge du Signe

La Vierge du Signe
(Novgorod, début XVIe siècle)

 

par le Père Alphonse Goettmann

 

Depuis que l'homme existe, son cœur est déchiré par les deux puissances vitales qui l'habitent: le sacré et l'éros. Toute l'histoire des religions est traversée par cette double réalité: on va vers Dieu ou bien en renonçant à la sexualité ou, au contraire, en la vivant pleinement. Les uns considèrent l'éros comme obstacle majeur sur le Chemin spirituel, les autres pensent qu'il est la source même de toute spiritualité.


 UN LANGAGE ÉROTIQUE

Cette division intérieure dans nos forces les plus profondes est sans doute le signe manifeste de notre éloignement de Dieu. La Tradition chrétienne propose de les réconcilier. On ne peut pas rencontrer Dieu avec une partie seulement de son être, ou en le mutilant, mais avec sa totalité corps-âme-esprit. C'est un chemin de guérison où l'homme intègre et unifie toutes ses facultés. Dans ce devenir humain, la spiritualité est forcément érotique et l'éros forcément spirituel. Tous les vrais mystiques en témoignent, qu'ils soient mariés ou célibataires.

Cela suppose une profonde transformation de l'homme, que l'ascèse et le combat spirituel ne cessent d'approfondir. Seule l'expérience de Dieu peut nous libérer de nos dépendances et de nos blessures, et nous faire naître au mystère de notre identité personnelle, où tout est un. Un être devenu transparent à Dieu et pénétré de ses énergies, pense et agit par lui, le moindre geste rayonne alors de cette Présence.

Si la mystique c'est l'union amoureuse avec Dieu et l'éros l'énergie vitale de l'homme, celle qui le pousse à croître, à créer, à s'unir et à aimer, comment pourrait-on les séparer, alors que c'est dans leur fécondation mutuelle que se trouve le propre du Chemin ? Ainsi donc la Bible parle toujours de l'union mystique entre Dieu et l'homme en termes d'alliance nuptiale : Dieu se manifeste comme l'Époux de son peuple qui est son épouse.

 

Viens donc, ma bien-aimée, ma belle, viens ! dit Dieu à l'homme, que tu est belle, ma bien-aimée, tes yeux sont des colombes... Tu me fais perdre le sens, ma sœur, ma fiancée, par un seul de tes regards...(Ct 2, 13 ; 4, 1, 9)

Je te fiancerai à moi pour toujours, dans la tendresse et dans l'amour, je te fiancerai à moi dans la fidélité et tu connaîtras le Seigneur (Os 2, 21).

On pourrait multiplier à volonté ces passages merveilleux où la Bible utilise indifféremment le même vocabulaire pour le mariage et la communion de l'âme avec Dieu. Toute la Tradition mystique s'origine dans ces textes révélés. Déjà Origène (II°s.) parle du rapport de l'homme à Dieu dans un langage proprement érotique. Mais Évagre le Pontique (IV°s.) étend ce rapport à toute la création, car le Créateur est le fond de chaque chose. On n'a donc de vraie relation avec la réalité qui nous entoure qu'en allant jusque dans son intériorité la plus intérieure, là où elle est habitée, par une approche amoureuse.

Seul l'amour ouvre à la connaissance, qui est naissance à la vérité. Mais cet amour est toujours un attouchement. Si je rencontre vraiment l'être d'un arbre, d'une fleur, d'un rocher... c'est par la pénétration des cinq sens, puis par le cœur à cœur ; là, il n'y a plus d'objet, mais présence réciproque, dialogue de deux intériorités et finalement union. L'Être m'est devenu palpable, je sens le mystère derrière toute chose, je touche Dieu lui-même qui a dit : Je suis Celui qui suis (Ex 3, 14). Tout est habité par un Buisson Ardent et la beauté est l'expérience qui me fait entrer dans cette flamme des chosesflamme du Seigneur (Ct 8, 6).

La conscience ne s'éveille évidemment à cette pureté, capable de transcender les formes extérieures et l'objectivation, que par la mort à tous les concepts fabriqués par l'ego et par la libération des dépendances passionnelles.

La déviation de l'éros ici, l'attitude pornographique, serait précisément de ne pas chercher Dieu, mais seulement l'objet pour lui-même. Alors c'est un rapport d'extériorité, de domination et de distance, l'objet est une fonction utilitaire que l'on manipule à son gré, et à partir de là tout est possible... Par cette manière d'être, l'homme réitère constamment le péché originel : il coupe, sépare la créature, l'objet, de son Créateur, son Origine profonde : c'est de la prostitution. Ils ont des yeux et ils ne voient pas ! dit Jésus (Mc 8,18 ). Nous ne voyons plus que la surface des choses, comme le constatait le philosophe Kant (XIX°s.), et nous voilà jetés dans un rapport de force et de violence avec tout, parce que l'éros est absent. L'éros a la capacité de percer jusqu'à la racine de l'être et de restituer aux choses leur transparence.

PAS DE MYSTIQUE SANS ÉROS

Saint Grégoire de Nysse (IV°s.) met l'accent sur le Dieu inconnaissable, le Tout-Autre. Mais, comme Dieu a fait l'homme à son image, on peut l'expérimenter au fond de soi. Le fond de l'homme est Amour, participation à l'Amour Divin. C'est cette "blessure" d'Amour de nos profondeurs, qui suscite en nous une extraordinaire nostalgie, une puissance érotique n'ayant de cesse jusqu'à ce qu'elle trouve cet Hôte Inconnu dans notre tréfonds. Quand alors la rencontre se fait, l'homme entre en extase, il est tiré hors de son moi, les limites s'effondrent et son cœur atteint les dimensions de l'univers qu'il contient tout entier.

La sexualité aspire à une expérience tout-à-fait identique : transcender son moi et devenir un avec le fond de tout être.

En Occident, on trouve sous la plume de saint Benoît (V°s.) la même expérience. Pour lui, l'échelle mystique qui élève vers Dieu plonge aussi profondément en terre, dans le corps, dans l'âme, dans la réalité du quotidien avec tout ce que cela signifie de peines, de travail et de relation aux autres. C'est Dieu qui a voulu qu'en l'homme ciel et terre soient intimement reliés, comme l'exprime avec force l'image de l'échelle. Ainsi, dans l'extase, saint Benoît se fond littéralement dans la création. Cela, non pas en contournant le corps et le sexe, mais au contraire en prenant appui sur eux, en les traversant, pour, par eux, s'unir à Dieu, comme le montre l'échelle ! Plus je descends dans mon corps, dans la réalité quotidienne pour l'épouser, plus aussi je suis en contact avec Dieu et m'élève en lui. C'est le mouvement même de l'Incarnation : Dieu descend, il devient homme, pour que l'homme monte et devienne Dieu. Si Dieu est descendu dans mon corps, dans la profondeur de mon humanité et de mon histoire, c'est donc là que je vais pouvoir communier à lui. La mystique investit par conséquent toutes mes puissances et n'a pas d'existence sans l'éros.

Même si je ne sens rien et que je n'ai pas encore cette expérience, il n'empêche qu'au fond de moi il y a cette zone de silence où Dieu réside. Là, en ce lieu secret de mon être, lui et moi sommes déjà un. C'est le lieu d'où sourd mon amour, ma liberté et ma joie. En leur croissance incessante se trouve le Chemin. Chaque fois que nous descendons en cette crypte intérieure et y demeurons, même un peu seulement, cela nous transforme. Là nous échappons à la domination unilatérale de notre petit moi, isolé et coupé de sa Source, rempli de complexes et d'illusions, pour nous ouvrir à une nouvelle conscience. Celle-ci est Lumière, et les degrés de cette illumination n'ont pas de limites.

Cet endroit caché de notre cœur (Saint Pierre) est la forge où l'énergie sexuelle se transfigure en énergie spirituelle, mais cela reste une et même énergie. Le tout, c'est de descendre en ce lieu qui est mon " chez moi " ; une fois que j'y suis l'alchimie se fait d'elle-même, car elle est l'œuvre de l'Amour Divin qui entre en fusion avec l'amour humain. Mais pour y descendre, il faut l'ascèse, celle-ci est l'œuvre de l'homme. Elle suppose la lente libération de nos passions, la désidentification avec l'ego et ses émotions, la profonde réorientation du désir en Dieu. Mais c'est la prière qui unit le tout ; elle nous met à la fois en contact avec notre cœur et par là donne le vrai motif à l'ascèse. Une ascèse de renoncement et de mortification risque plus d'engraisser le petit moi que de faire rencontrer Dieu. La prière porte sa grâce interne, elle est confiance et abandon : en cela, elle permet à Dieu d'agir et d'entrer en synergie avec nous. Quand vraiment Dieu est là, tout le reste pâlit et finit par disparaître.

Ce qui est le plus libérant dans la prière, c'est l'éveil de la pure conscience. Elle consiste à être pleinement dans l'instant présent, sans aucune interférence de l'ego pour juger, critiquer, se plaindre ou s'emporter... Devenir un avec ce qui est, ici et maintenant. Dans cet acte, les pensées cessent, le mental s'éteint, la conscience n'est occupée par aucun objet, image ou émotion... Cette paix est pure Présence.

Malheureusement, comme dit Évagre, notre prière et nos exercices spirituels sont souvent une résistance et un obstacle à cet état. Nous voulons rencontrer Dieu, et plus nous le voulons, plus nous nous écartons de lui ! Tant que la prière ne devient pas abandon de soi et confiance totale en Dieu, nous ne faisons que graviter autour de notre moi au sein même de la prière...

La vie amoureuse et sexuelle se caractérise par les mêmes effets que la prière d'union à Dieu : seul vit l'instant présent dans l'extase d'amour et l'abandon à l'autre, le non-vouloir et le laisser être, la non-possession et l'amour qui accueille, englobe tout, même les blessures. Un tel amour ne repose plus sur nos projections, les phantasmes de nos désirs et les dénis, il est une mort de l'ego.

L'AMOUR EST CHARNEL

Quand deux êtres s'aiment de cet amour et sentent couler en eux l'énergie vitale, ils pressentent toujours quelque chose de Dieu comme la plénitude de cette même expérience. Aimer Dieu vivifie tout l'homme, corps-âme-esprit. Le mystique est quelqu'un qui porte la vie à son maximum d'intensité. Vivre et aimer, c'est une et même réalité. L'amour sans éros n'est qu'un sentiment illusoire dont le centre est l'ego. Il rapporte tout à soi, même Dieu. L'éros, au contraire, est la puissance inhérente qui donne à l'amour la passion de s'unir, de devenir un avec Dieu et de se décentrer totalement en lui. Tout le ressenti amoureux, qui s'expérimente dans une relation érotique entre homme et femme, se retrouve aussi dans la relation des mystiques avec Dieu ; quand deux époux vivent un chemin spirituel, leur érotisme est un haut-lieu de grâces et d'expression mystique. L'homme est un être sexué, il va à Dieu avec tout son être et ne peut l'aimer pleinement qu'avec la force et la tendresse de son éros. Ou, pour mieux le dire avec Jean Bastaire : La puissance du sexe est en réalité la force de l'esprit incarné, l'énergie créatrice concentrée en son lieu d'élection le plus immédiat : celui de la transmission de la vie... là où Dieu dépose la charge maximum de déflagration ontologique..., les réserves profondes de l'être.

Il ne s'agit donc pas de juguler ou de vouloir maîtriser la sexualité pour aller vers Dieu, comme on le fait trop souvent, mais de l'accueillir comme étant précisément l'aide la plus précieuse pour l'union mystique. Le noyau même de l'éros, sa substance, c'est la nostalgie de cette union avec Dieu, sa puissante pulsion contient cette passion de l'Unique. La profonde blessure de l'éros, c'est de ne pas le conduire jusqu'au bout de son attente inouïe et de l'ensabler dans nos multiples pornographies sans issue. Celui qui pense être sur le chemin spirituel en fuyant sa sexualité sera peut-être quelqu'un de moralement bon, de vertueux ou même pieux, mais ne connaîtra pas l'union à Dieu et ne sait pas ce qu'est vivre en Christ. Toute la mystique chrétienne, si puissamment exprimée par saint Jean et saint Paul, est une incorporation au Christ, nourrie et réalisée charnellement par l'Eucharistie. Le Christ est chair de ma chair, sang de mon sang, os de mes os... (saint Grégoire Palamas XIV°s.). C'est bien d'une union physique dont il s'agit, c'est par son Corps que Dieu vient à moi et c'est par mon corps que je vais à lui. Le corps est le lieu de l'Alliance, puisqu'elle est nuptiale ! Dès la première Alliance de Dieu avec Abraham, il en était déjà ainsi : Dieu veut vivre ses épousailles dans la chair de l'homme et demande à Abraham et à ses descendants que le signe en soit la circoncision. Si étymologiquement en hébreu le mot " circoncire " signifie " s'allier en mariage " et que l'opération se fait sur le prépuce, on ne peut affirmer avec plus de force le symbolisme de la sexualité dans l'amour !

Cette cohérence de la révélation biblique culmine alors dans l'Alliance dernière et définitive : l'Incarnation du Verbe, Alliance dont la clause est l'amour et le signe l'Eucharistie. Tout est accompli, tout est intégré. Dans la Bible il n'y a même pas de mot pour dire le corps en tant que réalité séparée du reste. L'amour est charnel ou il n'est pas. Rien ne lui échappe, tout s'offre à sa lumière et à sa puissance de transformation... La tendresse infinie de Dieu s'est inscrite dans le corps de l'homme.

La morale asexuée et la spiritualité misogyne n'on rien en commun avec la Tradition judéo-chrétienne. Que dans l'histoire du christianisme des franges entières soient restées païennes à cet égard, montre l'urgence d'une vraie culture biblique de la sexualité. Etre chaste pour un moine ou un couple ne consiste pas à fuir l'érotisme ou à s'en abstenir, mais à découvrir en lui puis à explorer l'énorme potentiel pour tout progrès spirituel. Nous avons réduit l'éros à une fonction : elle est défunte chez le célibataire et utilitaire chez les personnes mariées. Comment laisser éclore son mystère et le vivre à part entière ?

TOUT SENTIR EN DIEU

La mystique consiste à devenir un avec la réalité. D'abord la mienne : savoir habiter son corps, vivre dans la détente, être centré et dans la bonne respiration. À partir de là seulement, il devient possible d'accéder à un nouvel état de conscience, qui est éveil de l'esprit, une vigile de la totalité de notre être, capable alors de s'offrir, au sens nuptial du mot, à la réalité profonde du monde, à la vie simple telle qu'elle se présente de moment en moment et, à travers elle, à Dieu lui-même, omniprésent. Dans cette alliance intime du cœur de l'homme et du cœur de la matière, la sexualité peut se déployer à profusion et s'exercer jusque dans le détail du quotidien. Le chemin spirituel se trouve dans notre rapport amoureux et donc sexuel à la vie matérielle. En s'incarnant, le Christ nous a rouvert la modalité paradisiaque du monde : le mystère de chaque chose nous conduit vers sa Présence intérieure et nous permet de communier à son Créateur.

Ainsi saint Denys l'Aréopagite (VI°s.) dira que l'homme doit s'unir à tout pour libérer la louange de la nature muette, car celui qui prie et loue comprend que tout prie, tout chante la gloire de Dieu, dit à son tour le Pèlerin russe. De son côté, Origène affirme que tout ce qui se voit est en relation avec quelque chose de caché et renvoie à une réalité invisible à laquelle il se réfère. C'est donc dans la manière de traiter les choses que se vérifie l'authenticité de ma vie spirituelle et l'intégration ou la désintégration de ma sexualité. Celle-ci s'exprime dans le toucher, le regard, le geste conscient et habité, la lenteur du mouvement senti où se ramasse toute l'attention dont on est capable, totale présence à soi et à Dieu qui permet une relation de tendresse aux choses... Voilà pourquoi saint Benoît recommande dans sa Règle d'approcher les ustensiles et toutes les propriétés du monastère comme s'ils étaient des vases sacrés de l'autel ! C'est dans le toucher, la profondeur de la sensation que naît la sensation du Divin, et c'est donc bien là que confluent la mystique et l'éros. Ce qui fait dire encore à saint Isaac le Syrien (VI°s.) : Il faut tout sentir en Dieu, car l'amour vient de la rencontre, et tout sentir en Dieu, c'est la vie immortelle.

À quel point les occasions même où l'éros pourrait se fourvoyer dans la corruption et pourtant se transcende dans la plus haute mystique, cela est rendu dans un aphorisme extraordinaire de saint Jean Climaque (VII°s.) : Quelqu'un à la vue d'un corps de femme d'une extrême beauté fut poussé à glorifier le Créateur. Cette vue augmenta jusqu'aux larmes son amour pour Dieu. Et c'était étonnant de voir ce qui aurait pu être un gouffre pour l'un, devenir pour l'autre, d'une manière qui dépasse la nature, l'occasion de couronnes. L'homme qui ressent de tels sentiments en pareilles circonstances est déjà ressuscité incorruptible avant la commune résurrection (Échelle Sainte, p. 168).Quelle liberté et quel épanouissement, quelle joie en ce grand ascète du Sinaï pour avoir pu prononcer une telle parole !

LE PLAISIR ABSOLU

La mystique ne se confond pas avec des macérations lugubres et des renoncements destructeurs. Elle est la vie et elle aime la vie, elle y mord à pleines dents et se nourrit de sa joie. Le mystique reçoit la vie comme un don à chaque instant ; pour lui tout est grâce, et donc la plus haute expression de sa mystique c'est de rendre grâces en tous temps et en tous lieux, de rendre gloire à Dieu quoi que l'on fasse, que l'on boive ou que l'on mange comme insiste saint Paul. Celui qui est un avec Dieu a une manière particulière de faire les plus petites choses. Ses cinq sens sont absorbés par la Présence, il est entièrement dans ce qu'il fait, comme saisi par la flamme de l'attention. Pour lui, il n'y a que l'instant, l'instant vertical, disait Sullivan. C'est le rôle de l'éros d'y plonger comme dans une matrice, d'en faire son plaisir et d'en jouir à plein, et c'est le rôle de l'amour que ce plaisir ne soit pas solitaire, mais s'ouvre à l'Absolu, car Dieu est le plaisir absolu, disent les Pères. Alors on devient un avec la réalité de l'instant comme un homme et une femme deviennent un dans l'étreinte.

Cette extase, dans l'un et l'autre cas, est sortie de soi, mort à soi-même, " anéantissement " dans le " Toi ", une approche de l'Autre sans luxure, avidité ou convoitise. La conscience libre, qui épouse la réalité comme elle est, sans faire le tri entre ce qui plait ou déplait, entre ce qui est agréable ou désagréable, heureux ou douloureux, perce par son " oui " amoureux au-delà des opposés. Là on est en contact avec la Vie, on sent la Vie vivre en soi, c'est une plénitude physique et psychique, où l'on expérimente en quelque sorte viscéralement l'unité de l'éros et de la mystique, même si la tension entre les deux reste un chemin et un combat.

Mais dans le couple, cette tension même est un réseau de grâces. Chacun y apprend à s'oublier et en s'oubliant se trouve lui-même dans l'autre. Parce que l'un n'est posé dans l'être qu'en étant posé dans l'autre, il peut accéder à sa propre intériorité ultime. Celle-ci est faite d'oblations muettes qui parsèment le quotidien, d'attentions spontanées et d'égards inaperçus..., toutes tendresses qui montrent au couple, sans que les autres s'en aperçoivent, que l'amour se fait tout le temps, loin de la copulation, parce que l'éros habite la mystique. Le détail banal est devenu leur champ d'exercice, la beauté jaillit de l'ordinaire, l'incandescence brûle secrètement leur cœur toujours en feu, seule la lumière de leurs yeux qui ne cesse de contempler la splendeur voilée de l'autre, laisse deviner un peu leur joie.

Article paru dans Le Chemin, no. 46 (2000).
Reproduit avec l’autorisation 
de Père Alphonse Goettmann et Le Chemin.

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