D’Augustin à Bernanos, le thème du repos et de la confiance en Dieu est omniprésent dans la littérature spirituelle chrétienne.
Il n’y a pas de repos, l’expérience commune le montre, sans quelque chose ou quelqu’un sur lequel s’appuyer.
Pour se reposer, il faut pouvoir compter sur un autre, déposer ses inquiétudes, ses peurs, relâcher une vigilance devenue tension, dans la confiance. Dans les Évangiles, le Christ se présente comme celui qui offre le repos.
« Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos » (Mt 11, 28), promet-il à ceux qui désespèrent sous le joug de la loi et de son observance impossible.
Dans le christianisme naissant, le thème du repos résonne avec aisance.
Le monde chrétien a hérité de la sagesse stoïcienne antique qui déjà valorisait la paix du cœur, la sérénité et la quiétude.
Dès ses débuts, le discours chrétien énonce le caractère central du repos en Dieu. « Tu nous as faits pour toi Seigneur et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en toi », proclame saint Augustin dans ses Confessions, dans une phrase qui sera pour longtemps un phare spirituel de l’Occident chrétien.
« Augustin perçoit que l’homme est habité par un désir infini, un “toujours plus”, un “toujours autre chose”, un “jamais assez”, dont Michel de Certeau fera la marque du mystique, souligne le père Dominique Salin, enseignant émérite au Centre Sèvres. Au regard de cette dynamique, le repos est donné par l’union avec Dieu. »
Au XVIe siècle, la mystique espagnole reprendra avec une fécondité toute particulière ce thème du repos. Jean de la Croix évoque « ce calme, ce repos de la quiétude intérieure où (l’âme) se remplit de paix et se nourrit de Dieu », dans La Montée du Carmel (Livre 2, 12, 7) (1).
De son côté, Thérèse d’Avila témoigne des délices de « l’oraison de quiétude », stade ultime de la prière.
Dans son autobiographie (2), elle invite à considérer l’âme comme un jardin où Dieu vient se promener.
Dans le premier degré de la prière, l’âme arrose son jardin avec beaucoup d’efforts, après avoir creusé un puits.
Dans le deuxième, elle utilise une roue, ce qui lui facilite le travail d’arrosage.
Dans le troisième, Dieu vient à son aide en se faisant « quasiment jardinier » et des canaux irriguent le jardin, ce qui dispense d’avoir à manipuler l’eau.
Dans le quatrième degré, enfin, Dieu pourvoit aux besoins de l’âme.
« L’oraison de quiétude, l’oraison de repos en Dieu, c’est quand il pleut dans le jardin de l’âme et que celle-ci n’a rien à faire qu’à laisser pleuvoir.
C’est un repos venu du ciel, un don, comme la rosée, comme la manne », commente le père Dominique Salin.
Au XVIIe siècle, saint François de Sales trouvera des mots très humains, merveilleusement simples et charnels, pour parler du « repos sacré » qu’il compare à celui des nourrissons tétant, béats, le sein de leur mère.
Par les bienfaits de Dieu, comparés au lait chaud maternel, « nous sommes rendus comme petits enfants aux mamelles de notre Seigneur », écrit-il dans son Traité de l’amour de Dieu (3).
François de Sales donne en exemple Marie, la sœur de Marthe, celle qui dans l’Évangile choisit « de demeurer en paix, en repos, en quiétude auprès de son doux Jésus », et saint Jean, représenté par les peintres au cours de la Cène « non seulement reposant mais dormant sur la poitrine de son maître ».
Durant les siècles suivants, les thèmes du repos et de l’abandon seront centraux chez Fénelon, Thérèse de Lisieux, Charles de Foucauld, ou dans L’Abandon à la providence divine qui fut attribué au père Jean-Pierre de Caussade.
Au XXe siècle, on le retrouve chez Péguy et Bernanos, associé à l’esprit d’enfance.
« Cette simplicité de l’âme, ce tendre abandon à la Majesté divine (…) nous consacrons notre vie à l’acquérir, ou à la retrouver si nous l’avons connu, car c’est un don de l’enfance qui le plus souvent ne survit pas à l’enfance », écrit ce dernier dans Dialogues des Carmélites (4).
Malgré les conseils abondants de tous ces spirituels, le repos en Dieu demeure pourtant un don qui ne peut se maîtriser.
« La paix et le repos nous sont donnés, mais toujours comme par surcroît.
On ne peut jamais acquérir le repos par l’ascèse, relève le père Dominique Salin.
C’est dans la marche à la suite du Christ qu’il est normalement donné au chrétien de goûter une forme de paix intérieure, de respiration retrouvée. »
Élodie Maurot
(1) Œuvres complètes, Cerf, 2001. (2) Œuvres, Pléiade, 2012. (3) Livre V, chap. II, Œuvres complètes, Pléiade, Gallimard, 1969. (4) Œuvres complètes, Pléiade, Gallimard, 1961.