Fête le 29 juillet
Sainte Marthe, sœur de Marie-Madeleine et de Lazare, appartenait à une famille illustre. Sa mère Eucharie était issue de la maison royale d’Israël et son père Théophile, noble syrien, avait été gouverneur de toute la contrée maritime, et il comptait parmi les premiers satrapes du royaume.
Dès son adolescence, Marthe reçut l’administration des biens patrimoniaux que ses parents avaient laissés dans la Judée et sur les bords du Jourdain. Elle se montra digne de la confiance qu’on lui témoignait. Douce et aimable envers les siens, elle avait renoncé aux joies légitimes du monde, et elle remplissait dans le célibat, auprès de son frère et de sa sœur, la charge de mère de famille, que ses parents lui avaient léguée. Elle n’usait des biens considérables dont elle avait la garde que pour soulager toutes les misères. C’est en se faisant l’hôtesse des pauvres qu’elle se préparait à donner un jour l’hospitalité au Sauveur.
La famille de Marthe entre en amitié avec N. S.
Notre-Seigneur avait été invité chez Simon le Pharisien et il était assis dans la salle du festin, lorsqu’une illustre pécheresse de la ville vint se prosterner à ses pieds, et, les baisant, elle les lavait de ses larmes, les oignait d’un parfum précieux, qu’elle répandait avec profusion d’un vase d’albâtre. Jésus ne repoussa pas la pécheresse qui témoignait tant de repentir et tant d’amour, mais le Pharisien Simon se scandalisa et, n’osant interpeller le divin Maître, son hôte, il se dit en lui-même : Si cet homme était véritablement prophète, il saurait bien que cette femme est une pécheresse et ne lui permettrait pas de le toucher.
Jésus, qui lit au fond des cœurs, lui reprocha bien vite son incrédulité, et lui montrant la pécheresse prosternée à ses pieds :
« En vérité, je vous le dis, beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu’elle a beaucoup aimé. » Et se tournant vers elle : « Tes péchés te sont remis. »
La pécheresse justifiée était Marie-Madeleine, la sœur de Marthe, et, à partir de ce jour, les deux sœurs se mirent sans doute à la suite du Sauveur avec les saintes femmes, et là le Sauveur daigna les distinguer de telle sorte que Marthe, Madeleine et Lazare leur frère devinrent ses amis privilégiés sur la terre, et il se reposa dans leur maison.
La meilleure part
Un jour donc que N. S. se rendait à Jérusalem, il entra dans le bourg de Magdalon, domaine de Marie-Madeleine. Ce fut Marthe qui le reçut. Pendant que la sainte se livrait avec agitation à tous les soins domestiques, sa sœur, comme au premier repas, demeurait aux pieds du Sauveur, et elle écoutait sa parole. Marthe ne sut pas alors le prix de cette contemplation divine, et trouvant que sa sœur ne comprenait pas les devoirs de l’hospitalité, et qu’elle en usait mal vis à vis d’elle qui se dévouait à tout préparer, elle ne put s’empêcher de s’écrier :
« Seigneur, ne considérez-vous pas que ma sœur me laisse tout préparer ? Dites-lui donc de venir à mon aide. »
Marie-Madeleine, tout entière à la contemplation de son Dieu, laissa au Christ le soin de prendre sa défense.»
« Marthe, Marthe, lui dit le Maître, pourquoi ce trouble et cette inquiétude ! il n’y a qu’une chose de nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, et elle ne lui sera pas enlevée. »
Résurrection de Lazare
N. S. chassé de Jérusalem par les Juifs qui avaient menacé de le lapider, était retourné dans la Galilée, quand Lazare, le frère de Marthe et de Marie, tomba malade à Béthanie. Aussitôt les deux sœurs envoyèrent dirent au Sauveur : « Seigneur, celui que vous aimez est malade.» Et Jésus, loin d’accourir auprès de celui qu’il aimait, répondit : « Cette maladie n’est point pour la mort de Lazare, mais elle est pour la gloire de Dieu, et afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle. » Il resta deux jours encore en Galilée, or dès ce moment Lazare était mort.
Il n’avait cependant pas dédaigné la prière de Marie et de Marthe, et le troisième jour n’était pas encore écoulé, lorsqu’il dit à ses disciples : « Retournons en Judée. » Et comme les disciples, effrayés pour leur propre vie, lui rappelaient la haine des Juifs et lui représentaient les périls du voyage : « Lazare notre ami dort, répondit-il, mais je vais le réveiller de son sommeil. » Les disciples ne comprirent pas le sens de ces paroles, et ils lui objectèrent que ce sommeil bienfaisant était un indice de sa guérison. Jésus leur dit ouvertement : « Lazare est mort, et je me réjouis de ne pas me trouver là, afin que vous croyez. » Et, sans écouter leurs craintes, il se rendit à Béthanie, où Lazare était déjà depuis quatre jours dans le tombeau.
Beaucoup de Juifs étaient accourus pour consoler Marthe et Marie. dès que Marthe apprit l’arrivée de Jésus, sans rentrer à la maison où Marie reposait, elle courut au-devant de lui et elle s’écria :
« Seigneur, si vous eussiez été ici, mon frère ne serait pas mort ; mais je crois que tout ce que vous demanderez à Dieu, Dieu vous l’accordera.
- Ton frère ressuscitera, » dit Jésus.
Marthe ne pouvait croire que sa prière fut exaucée.
« Je sais qu’il ressuscitera au dernier jour.
- Je suis la résurrection et la vie, et celui qui croit en moi, même s’il est mort, vivra, et celui qui vit et croit en moi ne mourra point dans l’éternité ; crois-tu cela ? »
Et Marthe, éclairée par la lumière d’en haut, s’écria : « Seigneur, je crois que vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant, qui êtes venu dans ce monde pour le salut du genre humain. » Cette parole de foi, qui avait valu à Pierre les grandes promesses, allait être récompensé ici par le plus grand miracle du Sauveur.
Marthe, après cette parole, courut vers sa sœur et lui dit à voix basse : « Le Maître est là, il t’appelle. »
Marie se leva précipitamment et courut se jeter aux pieds de Jésus, qui était encore à une distance de la maison, au lieu où Marthe l’avait rencontré.
« Seigneur, si vous aviez été ici, il ne serait pas mort ! »
Jésus, à la vue de Marie qui pleurait et des Juifs qui l’accompagnaient en pleurant, sentit son âme se troubler, et il demanda : « Où l’avez-vous placé ? » On lui répondit : « Venez et voyez. » Et Jésus se mit à pleurer.
Les Juifs eux mêmes, touchés par cette grande douleur, se dirent entre eux : « Voyez comme il l’aimait ! » Mais plusieurs murmuraient encore : « Ne pouvait-il pas, lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle-né, empêcher Lazare de mourir ? »
Conduit dans la grotte funéraire, le Christ, frémissant de douleur, s’avança vers le tombeau, et il demanda qu’on enlevât la pierre. Mais Marthe, craignant que l’odeur du cadavre ne l’incommodât : « Maître, il sent déjà mauvais, il y a quatre jours qu’il est mort. » Jésus lui repartit avec une autorité pleine de douceur : « Ne vous ai-je point dit que si vous croyez, vous verrez la gloire de Dieu ? » Et s’avançant vers la tombe ouverte, il rendit témoignage à son Père qui est dans les cieux et, d’une voix forte, il s’écria : « Lazare, sors du tombeau. »
A l’appel de son Dieu, le mort se réveilla soudain, et en se levant malgré les entraves qui lui liaient les pieds et les mains, et le linceul qui lui voilait la face, il apparut dans l’horrible pompe sépulcrale, environné de bandelettes, rendant un éclatant hommage au Dieu qui l’avait arraché à la mort. Et Jésus, s’adressant aux Juifs, s’écria : « Dégagez-le de ses liens, et laissez-le aller. »
Cette victoire du Christ était complète ; elle n’était cependant que le prélude de la victoire définitive qu’il devait remporter sur la croix.
A la passion
L’heure de la dernière victoire était venue, et Jésus quitta Béthanie (la maison de l’obéissance), pour se rendre à Jérusalem. Les deux sœurs l’y suivirent, et elles assistèrent avec les saintes femmes aux péripéties émouvantes de la passion. Pendant que Marie, la pécheresse justifiée, fondait en larmes en voyant souffrir pour effacer les péchés du monde celui qu’elle avait tant aimé, Marthe, plus calme dans son affliction, soutenait avec une tendre sollicitude la Mère de Dieu, dont le cœur était percé de sept glaives de douleur.
Avec les autres saintes femmes, elles demeuraient au pied de la croix pendant la journée du vendredi-saint, et quand vers le soir Joseph d’Arimathie vint ensevelir Jésus, elles l’accompagnèrent en pleurant jusqu’au tombeau.
L’évangile se tait désormais sur Marthe, l’hôtesse du Seigneur, et il ne raconte plus que les gloires de Madeleine au jour de la Résurrection. Mais nous savons que Marthe, associée à la vie de sa sœur, partagea toutes ses douleurs comme tous ses triomphes, et dans la seconde partie de sa vie, la tradition nous la fait voir participant à son apostolat pour la conversion de la France.
Après l’assomption de la sainte Vierge, Marthe, Marie-Madeleine et Marie-Salomé, qui s’étaient attachées au service de la Mère de Dieu, n’échappèrent pas à la persécution qui s’éleva en Judée.
Saisies par les Juifs, elles furent exposées aux flots avec Lazare leur frère, Maximin qui sera le premier archevêque d’Aix, et quelques autres, sur un navire sans voiles, sans cordages, sans gouvernail.
Mais, Jésus, qui au milieu de la tempête, avait sauvé et conduit la barque de Pierre, veillait sur celle de Marthe et de Marie ; les vagues irritées s’inclinèrent soudain devant les serviteurs du Christ, et la mer fit, à travers les montagnes, un libre passage au frêle esquif qu’elle menaçait d’engloutir. On eut dit que le tombeau de Lazare s’entr’ouvrait encore une fois pour rendre témoignage à la puissance et à l’amour de Jésus.
Les anges dirigèrent cette barque privée de gouvernail, et les flots la déposèrent sur la terre de France. Les Juifs persécuteurs avaient été à leur insu les instruments de la miséricorde divine ; ils avaient cru condamner à une mort certaine les amis de Jésus, et ils préparaient la conversion de la fille aînée de l’Eglise, en lui envoyant des apôtres.
Ce débarquement miraculeux a laissé sur la côte de Provence de vivaces souvenirs ; au lieu même où la barque est venue aborder, s’élève aujourd’hui le hameau des saintes Marie. On y conserve comme un précieux dépôt les corps des saintes Marie Salomé et Zébédée, et il s’y fait de nombreux miracles.
Les saints prirent possession de la terre que Dieu leur donnait : Lazare s’établit à Marseille, dont il fut le premier évêque et où l’on vénère son tombeau ; Trophyme et Maximin allèrent fonder la métropole d’Arles et l’archevêché d’Aix ; Marie-Madeleine se réfugia dans la solitude de Somme, où elle continua sa vie de pénitence et de contemplation ; Marthe et sa servante Marcelle s’adonnèrent à la vie active, et elles se dirigèrent du côté d’Avignon.
Sainte Marthe enchaîne le dragon
Au moment où Ste Marthe commençait son œuvre d’évangélisation dans les cités riveraines du Rhône, un monstre effroyable, connu sous le nom de Frusque, jetait la terreur dans toute la contrée. Son souffle répandait une fumée pestilentielle, et sa gueule, armée de dents aiguës, faisait entendre des sifflements perçants et des mugissements horribles. Il déchirait avec ses dents et ses griffes tous ceux qu’il rencontrait, et la seule infection de son haleine suffisait à ôter la vie.
Or, un jour que Marthe annonçait la parole divine dans la ville de Tarascon, près de laquelle le monstre avait établi son repaire, la foule s’écria : « Si vous parvenez à détruire le dragon, nous embrassons sans tarder votre foi. - Si vous êtes disposés à croire, repartit la sainte, tout est possible à l’âme qui croit. » Et, seule, elle s’avança vers l’antre redouté, suivie de loin par la foule qui osait à peine la regarder.
Pour combattre cet ennemi terrible, la sainte n’a qu’une arme, le signe de la croix ; mais voici qu’à ce signe l’animal farouche baisse la tête, il tremble, et Ste Marthe, l’enchaînant avec sa ceinture, l’amène comme un trophée de victoire aux habitants. Ceux-ci ont peine à en croire leurs yeux et tremblent encore devant le monstre captif. Marthe les rassure, ils immolent avec joie le dragon vaincu, en rendant grâces au Christ.
En effet, sous cette forme, c’est Satan lui-même, l’antique dragon qui venait d’être vaincu.
Depuis ce temps les Tarasconais célèbrent leur délivrance par une magnifique procession, où l’on porte un monstre enchaîné pour figurer la Tarasque. Plusieurs pensent que c’est le nom de cet bête enchaînée par Ste Marthe qui leur a fait donner le nom de Tarascon à leur cité.
Marthe est demeurée la patronne de Tarascon.
Marthe s’établit dans la ville qu’elle venait de délivrer ; elle se fit la servante et l’hôtesse des pauvres, et une communauté de vierges se réunit sous sa direction. Bientôt les foules affluèrent auprès de sa demeure, qu’illustrèrent de nombreux miracles.
S. Trophyme d’Arles et S. Eutrope évêque d’Orange dédièrent dans la maison même de Marthe une basilique au Seigneur. L’affluence des pèlerins fut telle que le vin manqua. L’hôtesse du Sauveur, confiante dans la bonté du Maître, ordonna aussitôt de puiser de l’eau au nom de Jésus Christ et d’en servir abondamment à tous les convives. A la prière de sa servante, le Christ, renouvelant le miracle de Cana, changea en vin délicieux l’eau que l’on avait puisée, et les évêques décidèrent que la mémoire de ce miracle serait célébrée chaque année solennellement au jour de la Dédicace de la basilique.
Cependant la vie de Marthe touchait à sa fin. Déjà l’hôtesse du Seigneur avait vu dans une vision l’âme de sa sœur, environnée par les anges, s’envoler vers l’époux ; elle-même, en proie à une fièvre violente, étendue sur un lit de sarments, avait prévu sa mort prochaine.
Lorsque le jour désigné par elle fut arrivé, par son ordre on étendit sous un arbre touffu de la paille recouverte d’un cilice, et on la plaça dès le matin sur ce lit improvisé. Marthe demanda l’image de Jésus crucifié. Puis, tournant son regard vers les fidèles accourus pour recueillir son dernier soupir, elle les supplia d’accélérer par leur prière le moment de sa délivrance. Elle-même éleva les yeux vers la croix et s’écria : « O mon hôte, ô mon Sauveur, pourquoi tardez-vous !... » Elle eut à peine le temps d’achever cette prière : le Seigneur, dont elle avait été l’hôtesse sur la terre, était devenu son hôte dans le ciel.
C’était le quatre des calendes d’août, le huitième jour après la mort de Ste Madeleine, et elle avait 65 ans.
Ses obsèques, auxquelles assista une foule immense, furent illustrées par un éclatant miracle.
A l’heure où tout le monde était réuni pour la cérémonie d’inhumation, S. Front, évêque de Périgueux, qui avait promis d’assister à ses funérailles, se préparait à célébrer le saint sacrifice. Assis sur sa chaire épiscopale, il attendait les fidèles, quand soudain il fut saisi d’un sommeil mystérieux. Et Jésus lui apparut et lui dit : « Mon fils, venez accomplir votre promesse, venez ensevelir Marthe mon hôtesse. » A peine le Sauveur avait-il achevé ces paroles, que S. Front se trouva dans l’église de Tarascon ; le Christ était à côté de lui, et tous deux apparurent au peuple un livre à la main. Le Sauveur ordonna à S. Front de soulever le corps avec soin, et ils le placèrent dans le mausolée, en présence de tous les assistants étonnés par cette brusque apparition. Puis le Sauveur sortit de l’église, accompagné de S. Front ; un clerc s’approcha et Lui demanda qui Il était et d’où Il était venu. Pour toute réponse le Christ lui laissa le livre qu’il avait entre les mains, il y était écrit : « La mémoire de Marthe, l’hôtesse du Christ, sera éternelle. »
Cependant à Périgueux le peuple était arrivé dans l’église, et il se lassait d’attendre, quand le diacre vint éveiller l’évêque : « Ne vous troublez pas, dit le prélat, en s’adressant aux fidèles, je viens d’être ravi en esprit et transporté à Tarascon, avec notre divin Maître, pour y rendre les devoirs de la sépulture à sainte Marthe sa servante. »
Ce prodige, constaté à la même heure par les habitants de Périgueux et ceux de Tarascon, amena au tombeau de la sainte un grand concours de pèlerins. Chaque jour des sourds, des aveugles, des paralytiques étaient guéris et rendaient témoignage à la puissance de l’intercession de la sainte. Le premier roi des francs, Clovis, affligé d’un mal très grave, fut guéri en touchant le tombeau de sainte Marthe, et en reconnaissance il céda à la basilique tous les bourgs, villages, bois et terres qui s’étendaient de l’un et de l’autre côté du Rhône sur un espace de trois lieues.
Le tombeau de sainte Marthe à Tarascon, objet d’un culte immémorial, a été longtemps le centre d’un perpétuel et magnifique pèlerinage, qu’il faut reprendre aujourd’hui.